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Cuba : Un cas unique qui ne passe pas

Greeen Left Weekly

Traduction : CSP

2 Juillet 2003

par Augusto Zamora R.

[Augusto Zamora R. est professeur de droit international et de relations
internationales à l’Université autonome de Madrid]

En 2003, 1060 personnes furent exécutées en Chine. Aux Etats-Unis, environ
400 ont été exécutées depuis 1990, soit une moyenne de 35 par an ou 3 par
mois. Des centaines d’autres exécutions ont eu lieu à travers le monde, et
ceci sans compter les exécutions non-officielles et les massacres effectués
par des appareils d’état en Afrique qui font partie du paysage politique.

En général, ces événements se déroulent sans commentaires. A part quelques
rapports détaillés et les condamnations prononcées par les organisations de
défense des droits humains telles Amnesty International, l’exécution d’êtres
humains fait rarement la une des journaux, déjà envahis d’images de sang et
de morts.

En contraste avec cette tendance naturelle au silence et à l’indifférence,
l’exécution de trois pirates d’une embarcation à Cuba a déclenché une
tempête politique et médiatique inhabituelle - dont l’épicentre est situé
aux Etats-Unis. En Espagne s’est produit une manifestation devant
l’ambassade de Cuba à Madrid à laquelle participèrent, fait rare, des
ministres du gouvernement et des dirigeants des deux principaux partis.

Ce n’est pas le seul domaine où Cuba est traité comme un cas à part. Les
appels constants pour une démocratisation de l’ile donnent l’impression que
Cuba est le seul pays au monde avec un système à parti unique, et que
l’Union Européenne et les Etats-Unis appliquent les mêmes règles à tous les
pays qui ne correspondent pas à l’idée qu’ils se font de la démocratie.

Deux poids deux mesures

Rien n’est moins vrai. En Tunisie, si proche de l’Europe, le président s’est
proclamé président-à -vie en 2002 par un référendum et 99,52 pour cent des
voix, et une participation record de 95,5 pour cent. Jusqu’à présent, aucun
gouvernement Européen n’a protesté contre cet évident fraude électoral.

Lors du coup d’état au Venezuela en avril 2002, l’ambassadeur d’Espagne se
précipita pour féliciter le président éphémère, Pedro Carmona. L’Espagne et
les Etats-Unis furent les seuls pays à soutenir la tentative de coup d’état,
qui fut condamné par l’OEA.

Il en va de même pour la question des droits de l’homme, invoqués pour Cuba
avec une application inversement proportionnelle que pour d’autres pays dans
le monde. L’obsession envers Cuba est pratiquement hypnotique, comme l’est
l’obsession des Etats-Unis à obtenir chaque année une condamnation de ce
pays devant la commission des droits de l’homme de l’ONU.

Rien de tel ne se produit, par exemple, avec la Colombie où on compte chaque
année 35.000 morts dans le cadre de la violence politique et où on assassine
le plus grand nombre de syndicalistes dans le monde. Ni au Guatemala, où on
assassine les militants des droits de l’homme et où les tribunaux acquittent
les criminels convaincus, sans oublier les cycles de massacres de paysans et
d’indiens en Bolivie, Mexique et Pérou.

Oublier l’Afrique serait presque un devoir, tant l’indifférence des pays
riches est grande devant les atrocités commises contre les populations, mais
un cas vient à l’esprit. Au Guinée-Bissau, un chef militaire accusé de
rébellion fut exécuté et le vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme
jeté en prison. Malgré cela, l’Union Européenne accorda à la Guinée-Bissau
un pret de 80 millions d’euros dans le cadre de la coopération, peut-être
motivée par les intérets économiques dans le domaine de la pêche
dont elle bénéficie dans ce pays.

L’existence de prisonniers politiques est un autre leitmotiv. Bien sur,
aucun amoureux de la liberté ne peut supporter qu’une personne soit
emprisonnée pour ses idées. Néanmoins, environ une centaine de pays
connaissent ce problème, et pour des raisons bien moins évidentes que celles
invoquées par Cuba.

Il y a des centaines de prisonniers politiques en Tunisie. En Guinée
Equatoriale c’est encore pire. Chaque année ce pays reçoit des centaines de
millions d’euros de l’Espagne, que le tyran Obiang consacre à 
l’accroissement de la répression et à alimenter sa tyrannie. L’ex-colonie
espagnole non seulement échappe à toute sanction, même symbolique, mais en
plus profite chaque année de la générosité du gouvernement espagnol.

Le cas le plus sanglant est la Turquie. Au mois de décembre dernier une
jeune femme, prisonnière politique, est morte après 512 jours de grêve de la
faim. Elle était la 58ème à mourir ainsi dans les prisons turques. Depuis
1990, 4500 cas de torture ont été denoncés et en 2000, 56 cadavres de
victimes des groupes paramilitaires furent découverts. Dans le même temps,
la persécution de la minorité Kurde, privée de tous ses droits, se poursuit.

Ci-git le socialisme ?

Il ne manque pas d’experts pour affirmer avec virulence que le socialisme a
échoué. Ces critiques auraient un minimum de poids si l’Amérique latine
pouvait présenter un exemple économique et social encourageant face à Cuba.
C’est tout le contraire. Malgré le blocus imposé par les Etats-Unis, malgré
le refus de crédits et le fait que Cuba soit obligé de payer comptant,
malgré les réticences de beaucoup, Cuba continue d’etre en tete sur le
continent, Etats-Unis inclus, dans tous les indicateurs d’éducation,
de santé, d’égalité.

Comparé au spectacle désolant des pays de la région qui ont sombré dans la
misère, le chomage, la faim et le désespoir, Cuba affiche des indicateurs
comparables aux pays industrialisés. La différence est encore plus criante
si on prend en compte le fait que Cuba, contrairement au Mexique (75 pour
cent de la population sous le seuil de pauvreté selon les chiffres de son
propre gouvernement), la Colombie (pas de commentaires) ou l’Equateur (un
tiers du pays a émigré), n’a pas de pétrole ou de ressources
naturelles convoitées.

Si nous prenons comme référence l’Indice de Développement Humain (IDH) des
Nations Unies, le système Cubain s’en sort pas trop mal. Selon les derniers
chiffres, devant Cuba (classé 55), on trouve seulement l’Argentine
(mystérieusement en position 34), le Chili (38), l’Uruguay (40), le Costa
Rica (43) et le Mexique (curieusement 54). Le reste passe derrière, la
plupart loin derrière, comme le Pérou (82), le Paraguay (90), la Bolivie
(114) ou le Guatemala (129).

Aucun gouvernement de pays riche ou gourou n’arrive à admettre que le
capitalisme a échoué dans pratiquement toute la région (et dans le monde)
pour tout ce qui concerne le niveau de vie des gens. Ils ne disent rien, non
pas parce que l’échec n’est pas évident, mais parce qu’un tel aveu
représenterait une menace pour le dogme moderne, à savoir l’inéluctabilité
du capitalisme en tant que système.

Les véritables préoccupation

Ce qui les préoccupe à propos de Cuba n’est pas la question de la démocratie
(les coups portés contre les gouvernements genants pour sauvegarder des
intérets illégitimes sont toujours applaudis). Ce n’est pas le peine de mort
(La Chine et les Etats-Unis mènent le peloton), ce ne sont pas les droits de
l’homme ou les libertés civiques (le cynisme occidental a de quoi faire
pleurer).

Si on veut vraiment trouver une explication plausible pour le traitement
particulier infligé à Cuba, il nous faut chercher ailleurs.

Avant tout, Cuba dérange parce que les Etats-Unis n’ont pas réussi à briser
l’ile au bout de 45 ans. Cuba est une épine dans le pied de l’Empire, ce qui
fait de Cuba une question d’honneur impériale. Cuba est aussi un symbole qui
rapelle à l’Amérique latine et au monde entier qu’il n’est pas nécessaire
d’etre une grande puissance pour résister au siège de l’empire.

Le courage et la dignité suffisent pour arriver à ce résultat. Comme le
faisait remarquer Karl Deutsh, un petit pays avec un gouvernement
particulièrement fort et une population motivée peut sauvegarder son
indépendance, meme au prix à payer qu’impliquerait sa conquête.

Une autre raison est l’attachement de Cuba au système socialiste proclamé
par Fidel Castro en 1961, un système qui a survécu, contre toute attente et
après la chute de l’Union Soviétique. Du point de vue de l’intégrisme
capitaliste, le socialisme Cubain est une grave anomalie qui doit etre
corrigée et Cuba doit etre remis sur le droit chemin, totalement intégré à 
la globalisation planétaire.

Ainsi, (la compagnie aérienne espagnole) Ibéria pourrait acheter Cubana de
Aviacion, le tabac irait à Philip Morris, le nickel à Anglo-American
Corporation, l’industrie pharmaceutique à Glaxo-SmithKline et le pétrole à 
Exxon, tandis que MacDonald ouvrirait une filiale dans la patrie de José
Marti.

Ensuite, seront organisées des élections rituelles qui donneront le pays à 
une minorité obscène, qui se fera un plaisir de mettre le pays à sac en
enfonçant la grande majorité de la population dans la misère. Le tout avec
l’aide des plans économiques du FMI et de l’ambassadeur impérial qui
tranchera sur les questions politiques et forcera le paiement de millions en
compensation aux compagnies et citoyens de l’empire.

De cette manière, oui, Cuba pourrait réintégrer le monde démocratique et
profiter de tous ses avantages. Le problème est que la grande majorité des
Cubains, conscients du sort reservé
aux pays de la région, montrent peu d’enthousiasme pour ce modèle.

Rien n’indique que le système Cubain pourrait s’effondrer à court terme. La
phase la plus difficile (la "période spéciale") est passée, les indicateurs
économiques montrent une amélioration.

Dans le classement de l’IDH Cuba est passé de la 86eme position en 1997 à la
55eme en 2002. La Commission Economique pour l’Amérique latine prévoit une
croissance de 5 pour cent en 2003, tandis que l’indépendance énérgétique
atteint un niveau record, tout comme se poursuivent les réformes
structurelles pour adapter l’économie nationale à la nouvelle situation avec
le minimum d’impact sur les dépenses sociales.

La position de Cuba dans la politique du continent s’est aussi améliorée.
Les Etats-Unis n’ont pas réussi à faire condamner Cuba par l’OEA ce qui
montre que la plupart des pays de la région ne parient pas sur un naufrage
du pays.

De même, les sanctions récemment adoptées par l’UE contre Cuba sont
négatives, stériles et tombent au mauvais moment. D’un coté l’UE renforce
les positions agressives et extrémistes des Etats-Unis, de l’autre, au lieu
d’encourager le gouvernement Cubain à s’ouvrir, ces mesures renforcent le
sentiment justifié d’une forteresse assiégée, et aggravent les problèmes
provoqués par le blocus US.

Il s’agit donc de mesures contreproductives, qu’on ne peut expliquer que par
le désir de l’UE de faire plaisir aux Etats-Unis après leur aggression
contre l’Irak. Mais nous sommes habitués à cette manie de l’UE de s’en
prendre aux faibles pour faire plaisir aux forts meme lorsque cela implique
une injustice profonde. Et, soit-dit en passant, c’est ce qui nous attend
pour le 21ème siècle.

(FIN)

Traduction CSP

Source : CUBA SOLIDARITY PROJECT

http://viktor.dedaj.perso.neuf.fr/html/

"Lorsque les Etats-Unis sont venus chercher Cuba, nous n’avons rien dit,
nous n’étions pas Cubains."

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