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De la “ titrisation ”

Pas d’affolement : on ne va pas évoquer les actifs financiers, les obligations boursières, les créances, mais plutôt la manière dont il convient d’écrire les titres d’ouvrage. On parlera donc littérature et cinéma.

Je crois qu’autrefois j’aurais aimé rejoindre les rangs des imprimeurs, d’authentiques savants capables d’appréhender des centaines de normes, de règles, en un mot des techniciens à la croisée des mondes manuel et intellectuel.

Il faut s’efforcer de respecter les règles en matière d’édition comme il convient de respecter les feux de circulation. Cela rend la vie plus simple. Si j’écris « J’adore les misérables » ou « On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset », ou bien « II faut qu’une porte soit ouverte ou fermée » du même Alfred, je risque d’installer la confusion chez mes lecteurs.

Comme presque toujours, nos errements viennent d’outre-Manche et d’outre-Atlantique (je ne parle pas de l’outre-Rhin car la langue allemande est un cas à part). Les Grands-Bretons et les Étasuniens ont tendance à mettre des majuscules un peu partout (What’s New Pussycat ? contre Quoi de neuf Pussycat ?, For Your Eyes Only contre Rien que pour vos yeux, “ Let It Be Me ” contre “ Je t’appartiens ”). Nous, non, mais nous sommes contaminés par ce qui n’est pas notre grammaire, notre culture, nos traditions.

Alors faut-il écrire « J’ai vu l’avare de Molière », « J’ai vu L’avare de Molière », « j’ai vu l’Avare de Molière » ou « j’ai vu L’Avare de Molière » ? Sans oublier que, depuis que nous disposons de traitements de texte, il vaut mieux mettre le titre de l’œuvre en italiques. Nous écrirons donc : « J’ai vu l’Avare de Molière ». Ça marche aussi pour la sculpture ou la peinture : « Quelle est l’influence de Camille Claudel dans le Baiser de Rodin ? ». Ou encore : « J’aimerais bien revoir la Joconde ».

Citer le nom d’une œuvre obéit à des règles simples mais précises. Autrefois, on soulignait les titres. Maintenant, les italiques des traitements de texte permettent d’écrire sans ambiguïté : “ Le Chêne et le Roseau ” compte parmi les Fables de La Fontaine. Á noter que roseau prend une majuscule car il est en miroir par rapport au chêne. Pour les journaux, revues, pour les émissions qui constituent une œuvre, les italiques s’imposent : France-Soir, Initiative Communiste, Affaires sensibles. Pour les sites internet, nous sommes encore en plein flottement : pour l’instant, j’écris Le Grand Soir et non Le grand Soir ou Le Grand Soir, ou encore Le grand soir.

Les textes courts – articles, chansons, chapitres, contes – qui font partie d’un ensemble et qui ne constituent pas des publications isolées sont le plus souvent mis entre guillemets : “ Un cœur simple ” de Flaubert fait partie du recueil Trois contes (et non 3 Contes).

Seul le premier mot d’un titre d’œuvre prend une capitale initiale : Voyage au bout de la nuit, Du contrat social, l’Éducation sentimentale. Les noms propres conservent leur majuscule : Michel Strogoff, Madame Bovary, Babbitt.

Si le titre commence par un adjectif ou un adverbe, on ne met pas de capitale après le premier substantif : Vingt Ans après, Cent ans de solitude.

Si le titre constitue une phrase à lui seul, seul le premier mot prend une capitale : Autant en emporte le vent, Touchez pas au grisbi !. Si le titre ne constitue pas une phrase, on capitalise le premier substantif : les grandes Espérances. Á noter l’exception des Fleurs du Mal, Baudelaire ayant exigé cette seconde capitale. Si un adjectif est placé entre l’article et le substantif ou après le substantif, il commencera par une capitale : les Trois Mousquetaires, la Vingt-cinquième heure, les Femmes Savantes, le Courrier Picard.

Lorsqu’un titre contient une comparaison ou une symétrie, les substantifs qui le composent commencent généralement tous par une capitale : Crime et Châtiment, le Zéro et l’Infini. Si le titre contient un mot composé, le deuxième élément commence par une capitale : le Procès-Verbal, l’Affaire Saint-Fiacre. On ne met jamais les titres en abrégé : Madame Bovary, Madame de.

Pour ce qui est des chiffres, il faut respecter les choix des auteurs : l’Assassin habite au 21, 1984 (version française, Nineteen Eighty-Four, version originale), Quatrevingt-treize, (Hugo ne s’était pas vraiment expliqué sur cette graphie : « J’ai déjà fait observer que Quatrevingt ne veut pas de trait d’union. C’est un seul mot. Ne pas l’oublier. »)

Attention à la Bible et au Coran : « J’ai lu la Bible », mais « J’ai une bible à la maison » ; « Passe-moi ton exemplaire du Coran », mais « Tu trouveras des corans en solde chez le bouquiniste ».

Problème de l’article contracté : « J’ai assisté à une représentation du Cid » (et non pas de le Cid), « J’aime le Baudelaire des Fleurs du Mal », « J’aime l’humour des Joyeuses Commères de Windsor  », « J’ai une édition du XIXe siècle des Trois Mousquetaires », « Je pense aux “ Petites madmaselles ” de Gilbert Bécaud », « Il nous a parlé du Rouge et le Noir » (et non du Noir), « Je n’ai pas trop aimé sa critique de les Salauds vont en enfer ».

Pour ce qui est des films, les règles peuvent être différentes. Lorsque le titre commence par un article défini, seul le premier substantif prend la majuscule : les quatre Filles du docteur March, le Rideau déchiré, la Femme du boulanger. Si un adjectif précède le substantif, il commence par une majuscule : le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Mais l’adjectif ne porte pas la majuscule lorsqu’il suit le substantif : la Lettre écarlate. Lorsque l’article commence par un article indéfini, les mots qui suivent ne portent pas la majuscule : Une si jolie petite plage. Si le titre est une phrase, aucun des mots qui suit l’article ne porte la majuscule : Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause ! Le cave se rebiffe. Si un titre est composé de plusieurs substantifs au même niveau, ils portent tous la majuscule : Le Bon, la Brute et le Truand. Mais dans Diabolo menthe, le statut de menthe est inférieur à celui de diabolo.

On l’a dit, les Britanniques et étasuniens mettent des majuscules un peu partout. Les Italiens sont parcimonieux : La dolce vita, La ciociara. Les substantifs allemands commençant par une majuscule, ça y va, outre-Rhin : das Kapital, die Entwicklung des Sozialismus von der Utopie zur Wissenschaft, die Brücke. Les Espagnols sont plus modérés : La piel que habito, Mar adentro, Abre los ojos, Cien años de soledad, Don Quijote de la Mancha.

E la nave va…

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COMMENTAIRES  

16/01/2021 18:59 par Assimbonanga

Bravo, super ! Merci pour tous ces rappels. Est-ce qu’il y a un piège, un intrus à deviner ? Les Étasuniens peut-être ? Parce qu’ils ne méritent pas la majuscule à leur nom propre, vu qu’il n’est pas propre en fait ?

19/01/2021 07:30 par Maxime Vivas

Quelqu’un (j’ai oublié qui) avait écrit : "Le Roman d’un jeune homme", pauvre pièce d’Octave Feuillet.
MV

19/01/2021 09:42 par charclot

Citer le nom d’une œuvre obéit à des règles simples mais précises

Comment se définit une « oeuvre » ????? J’écris en tant que "spécialiste" du genre... Comment peut on dire que tel ou tel travail d’un artiste est une « oeuvre » qui décide et surtout comment l’« oeuvre » entre dans le domaine public... S’esbaudir devant la joconde qui est du domaine tellement public qu’elle devient un objet de consommation courante surtout avec des moustaches est un choix personnel : perso, la machine me gonfle je lui préfère les flamands parce que j’en préfère la lumière la texture le mouvement ( en terme de mouvement la Mona Lisa elle a un peu un balais dans le fondement) ... Bref, Richard Mutt est passé par là entre temps et la perception bourgeoise et , surtout, économique de l’art , plutôt plastique, est à remettre nettement en perspective. L’ensemble des travaux réalisés avant la moitié du 19° sont des commandes dont une partie sert à décorer les bordels...et/ou les églises. En suite des mouvements artistiques vraiment contestataires voire vraiment consternants se sont mis en place et je ne suis pas sur que les dadas ou les surréalistes gouttaient tous au " TREEEES CCCCHHHHEEEERRR MMMAAAIITREEUUUUU,,,," . C’est clair que les conventions scripturales ont un rôle à jouer dans le description de l’Art et du monde mais, "Coucous Garbit", "Tropico" "Coca Cola" "Cambell Soup" peuvent être des "œuvres" d’art au même titre que "Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige" , comme l’écrit Gide : « que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée »... que donc ton analyse prime... C’est sûr que l’art soviétique ne ressemble pas au travail de Yves Klein , il y a chez les deux de quoi se nourrir mais de la à les majusculer ...
L’art est un boulot comme les autres , c’est pour ça que je ne vois pas de raison de ne pas mettre Réfrigérateur ou Talonnette avec une majuscule puisqu’ils sont les Œuvres de travailleurs...Je comprend très bien les conventions et je sais qui les met en place, ce sont nos """amis""" académichiens qui travaillent pour la structuration du langage français et la joliesse de ce dernier, cet art du convenu à la portée du premier con venu...mais je ne vois pas de raison de mettre une majuscule à un travail qui ne me plait pas, du houellebecq, par exemple, ou du dali...Peut être est ce la manière dont on majuscule un travail qui en fait une oeuvre pour soi : certains haïkus sont des œuvres alors que d’interminables sagas le sont justement....intermiiiinables... et qui permettrai ainsi de communiquer aux autres ce qu’émotionnellement nous ressentons...?

22/01/2021 09:52 par Assimbonanga

Autrefois, on soulignait les titres. Eh bien moi, j’aimerais beaucoup continuer de souligner les titres mais le formulaire électronique ne comporte pas cette option si bien que j’ai dû me contenter d’écrire (avec la majuscule au début) La servante écarlate et Trepalium dans mon précédent commentaire relatif à cette mise en scène hollywoodienne des studios Biden and Co.

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