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Enfants libres, il faut jeter vos albums d’animaux habillés

Enfants libres, il faut jeter vos albums d’animaux habillés

En cette période bientôt festive, qui peut échapper au désir de remplir la hotte de présents ? La lecture ne faisant plus recette chez nos contemporains, les plus jeunes enfants se voient offrir maintenant des livres, comme si ce tardif effort rachetait les misères de l’insuffisance de leurs ainés. La prolifération d’animaux dans la littérature enfantine ferait presqu’oublier qu’il existe des espèces en danger d’extinction sur cette planète.

C’est ici que le bât blesse. Car à se pencher sur l’économie littéraire réservée à nos enfants, il y a lieu de s’interroger sur ce qu’on leur inculque. Prenez ces ouvrages apparemment désinvoltes et innocents où une taupe habillée d’un tablier côtoie un lièvre vêtu d’un pardessus. D’autres exemples iraient tout aussi bien au fond des choses tant les livres d’animaux habillés font recette. Voilà des albums qui semblent avoir traversé les décennies sans avoir rien changé de leur message réactionnaire.

Dans ces oeuvres colorées, le père, qu’il soit lapin ou girafe, ne raconte la vie aux enfants que lors de ses activités de pêche ou de bricolage. Dans le trône de son fauteuil patriarcal, notre père animal lit, mais seulement le journal, innommable symbole de la fatigue répété du travailleur solitaire. La télé restant toujours éteinte (on ne sait si le réparateur s’est absenté), le père ne prend de loisirs qu’à des activités récréatives. Chaussé d’éternelles lunettes d’intellectuel et portant généreusement la cravate, ce père fantaisiste et si aimable ne connaît du travail que celui des responsabilités. Jamais n’apparaît aucune tension, l’exploitation capitaliste reste dissimulée, chose certes honteuse, mais dont l’enfant n’a rien à connaître dans le livre en tout cas. C’est autre chose ailleurs. Dans la vie quotidienne, la misère peut régner, l’univers du bouquin enfantin n’en livre jamais rien. Bien sur, s’il est castor, l’animal habillé portera une salopette digne d’un travailleur plus manuel…

Quant à la mère castor, qui, dans tes tenues dignes des années 50, prépare encore un repas, son horreur ordinaire apparaît dans le tablier nécessaire dont on affuble la pauvre bête. Sans doute parce que la démesure sexiste ne semble pas suffisante, cette mère poursuivra ses corvées ménagères en souriant à l’enfant-bête qu’elle a enfanté dans le plus grand secret du livre. Le cabas et le fichu rose ou gris marquent désespérément les attributs du sexe. Ces familles animales biparentales et caricaturales dans un sursaut de modernisme ne possèdent que deux enfants.

Plus la famille animale est habillée, plus la lecture confine à l’obscène. L’animal habillé répète l’absurdité d’un sexisme ordinaire récompensé par un capitalisme triomphant. Qu’importe les intentions virtuelles des dessinateurs et des scénaristes. L’idéologie la plus réactionnaire y côtoie la brutalité antisexuelle la pire. L’habit camoufle le sexe pour afficher le patriarcat et le capitalisme. Loin d’être drôles, ces figures pitoyables délivrent non seulement un propos machiste, mais parfois même discriminant. Les albums d’animaux habillés n’hésitent guère, non plus, à travers l’histoire de la petite graine, à mentir aux enfants en agrégeant de manière indélébile sexualité et reproduction. Bien entendu, nos anges blonds n’ont pas de sexualité, ni rien à connaître et celle qu’on leur révèle reste enfouie dans un obscur règne de la reproduction. Ici n’existent pas d’homosexuels ou des familles recomposées, mais seulement des rôles phallocratiques et des ainés retraités. Qu’on ne se méprenne pas, le monde décrit aux enfants est un autre monde, redoutable et obscène, de ceux qui enferment la diversité des humains dans des préjugés éculés et scandaleux.

Mais qui s’intéresse encore à nos enfants, cerveaux manipulables dont on fera des salariés aussi polis que père castor ?

Décidément, il ne faut pas habiller les animaux. Et le pire encore, c’est que des animaux méconnus servent ainsi cet objet d’idéologie réactionnaire. Pauvres bêtes qui pourraient au contraire raconter ce qu’est la réalité biologique de la vie sauvage sur cette planète inouïe…

Thierry Lodé

Professeur d’Écologie Évolutive

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