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Bolivie, après le référendum

Evo Morales ou le triomphe silencieux

Le président bolivien a remis en jeu son mandat présidentiel lors d’un referendum révocatoire pour contrer les velléités séparatistes et consolider son programme socio-économique. Sa très large victoire (63% en sa faveur) n’a eu qu’un faible écho dans le monde ; on n’ose imaginer de quelle façon une défaite aurait été tambourinée. Aussitôt la victoire confirmée, Evo a déclaré au grand dam de ses opposants politiques qu’il poursuivrait et approfondirait ses réformes.

La polarisation sociale suit en Bolivie la ligne de démarcation ethnique. Depuis toujours, les pouvoirs politiques et économiques sont concentrés dans les mains d’une minorité blanche installée dans les départements de l’est riches en hydrocarbures. Les nationalisations et la réforme agraire misent en oeuvre par le MAS (Movimiento Al Socialismo) qui visent à corriger cette anormalité cristallisent les antagonismes sociaux. Les indigènes sont sortis de la torpeur et de la passiveté qu’on leur attribue pour prendre leur destin collectif en main. Au vrai la lutte populaire ne date pas d’aujourd’hui. Des insurrections des mineurs, en passant par la guérilla du Che jusqu’aux luttes syndicales des cocaleros, il y a une continuité qu’Evo Morales lui-même revendique. La Bolivie est traversée depuis des décennies par des contradictions irrésolues : le pays accuse un coefficient d’inégalité effarant et est accablé par la pauvreté, l’analphabétisme et le racisme. La Bolivie ne souffre pas seulement d’un problème de répartition mais d’un problème de production et de reproduction des inégalités. La domination n’est pas exclusivement économique ; elle est aussi symbolique par l’accaparement de la culture, du savoir et du pouvoir. Les revendications légitimes des indigènes longtemps tenues muettes ont trouvé dans le chef d’un leader charismatique leur porte-voix.

Suite aux dernières consultations populaires relatives à l’assemblée constituante et à l’autonomie départementale qui ont renforcées Evo, l’opposition factieuse n’a eu de cesse de conspirer contre le pouvoir élu. La bourgeoisie nationale alliée aux impérialistes tente de saper par toutes les voies possibles les réformes structurelles engagées par le MAS quitte à scinder le pays. Les bourgeois plaident pour la démocratie bourgeoise et le système électoral tant qu’ils consacrent leurs privilèges. Dans le cas contraire, ils n’hésitent pas à prendre des libertés avec la légalité. Ils veulent changer les règles du jeu lorsque celles-ci ne les favorisent plus. Etre démocrate, c’est se soumettre au sort des urnes quoi qu’il en soit et surtout en cas de défaite. L’opposition vénézuélienne fait montre du même irrespect envers les valeurs démocratiques.

Les droits des indigènes ont été impitoyablement lésés pendant des siècles sans que ceux-ci s’en prennent à l’intégrité nationale. Les disparités régionales dans les élections sont courantes sans pour autant que le résultat général soit réprouvé. Les départements français qui n’ont pas voté pour Sarkozy ne réclament pas une plus large autonomie pour la cause.

Evo Morales n’use pas de la force mais de la persuasion. Son pouvoir n’est pas assis sur la crainte mais sur l’espoir. Il persuade par la raison, la diplomatie et l’exemple. Il pratique la philosophie des actes et son pouvoir n’en est que plus dangereux pour ses adversaires. Il est parvenu à mettre en place dans un contexte d’hostilité incessant des programmes d’instruction, de santé et d’alimentation inédits dans ce pays.

Incapables de le déloger par les voies électorales, ses ennemis intérieurs et extérieurs risquent d’être tentés par le complot et la subversion Gageons qu’il ait le temps de mener sa politique de développement social et de dignité à bien pour que tout coup de force devienne impossible.

Emrah KAYNAK

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COMMENTAIRES  

20/08/2008 04:17 par Jean-Michel Hureau

Les derniers résultats du referendum indiquent que Morales a obtenu un appui de 67,4% pour poursuivre dans ses fonctions, sur 99,89% des bulletins dépouillés par la Cour Nationale Électorale (CNE).

Quant aux préfets (gouverneurs), le scrutin final de la CNE confirme la ratification du partisan à Morales Mario Virreira dans le département (région) de Potosà­, et des opposants Rubén Costas (Santa Cruz), Ernesto Suárez (Beni), Leopoldo Fernández (Pando) et Mario Cossà­o (Tarija).

Dans le cas du préfet d’Oruro, le partisan à Morales Alberto Aguilar, le « oui » à sa gestion est, pour le moment, majoritaire avec 50,86%.

Le décompte officiel confirme également la révocation des préfets d’opposition : celui de La Paz, José Luis Paredes, et celui de Cochabamba, Manfred Reyes Villa.

20/08/2008 10:54 par elbahri

bien que je soutien sincerement les causes revolutionnaires
des latins, je ne suis pas d’accord avec le procedé de Morales. Le capitalisme lui ne met pas son systeme au vote et a l’apreciation des ouvriers .Ce que devrait faire le gouvernement de Morales c’est d’intensifier l’instruction et l’education du peuple comme l’a fait Castro. Et il est aussi
plus que necessaire pour preserver certains aquis sociaux
d’avoir un peuple vigilant .

20/08/2008 11:13 par vdj

comment peut-on etre d’accord ou pas avec les "procédés" d’Evo Morales (ou un autre) lorsqu’on vit si loin et que l’on ne connait pas les rapports de forces précises, les conditions précises, etc ? Bref, lorsqu’on n’est pas "dedans". Ne pas être d’accord, ça signifie qu’on a déjà un "procédé" de rechange dans à proposer.

Et si on se contentait de lui faire confiance (c’est un minimum) et de lui exprimer notre solidarité (peut-il en être autrement) ?

20/08/2008 14:07 par ciborg

C’est plus que de la confiance que nous avons en lui parceque nous le connaissons bien. Nous avons plus peur pour le peuple qu’il represente si les choses tourneés autrement. Nous n’aimons pas le gachis et nous savons parfaitement que ce pays est en danger comme le sont d’ailleurs le venezuela et Cuba. Et nous l’avons avertis du monde des altermondialistes qui rodent autour de lui. Dans tout les cas de figure c’est un risque qu’il a pris en remettons en jeu
son election qui d’ailleur ne souffrait d’aucune equivoque.

20/08/2008 16:09 par superdupont

Bof ! Si on regarde les français et les européens en général qui sont pourtant actuellement bien instruit et disposent des armes pour être vigilant on découvre que progressivement croyant servir leurs causes, au grand plaisir de la minorité capitaliste, ils laissent disparaitre deux siècles d acquit sociaux et de luttes parfois très dure.
Le peuple de Morales serait il plus intelligent une fois instruit je le souhaite, mais le doute s installe en moi !

Superdupont

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