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Force d’intervention au Darfour : les Etats-Unis et la France se disputent la direction des opérations au détriment de l’Union africaine, par Tony Busselen.








PTB, 25 juillet 2007


Depuis pas mal de temps, le Darfour, la partie occidentale du Soudan, est à feu et à sang. Le 17 juin, le gouvernement soudanais a accepté l’intervention de troupes de l’Onu et de l’Union africaine afin de protéger la population locale. Que se passe-t-il exactement et quel est l’enjeu du conflit ? Y a-t-il un génocide en cours ?



Ils se disputent la direction de la force internationale d’intervention.



L’Onu et l’Union africaine veulent une force d’intervention mixte, dirigée par un général africain. Les Etats-Unis et la France veulent la diriger eux-mêmes.


Le 12 juin, une délégation du Conseil de sécurité de l’Onu a obtenu l’accord du gouvernement soudanais pour déployer au Darfour une force mixte d’intervention de 20 000 hommes de l’Union africaine (UA) et des Nations unies.

Cette force d’intervention remplace celle de l’UA. Le Darfour est grand comme la France. Les 7 000 hommes de l’UA n’étaient pas en mesure d’assurer la stabilité et le calme et le gouvernement de Khartoum refusait toute extension en disant que les USA ne se sont jamais cachés de vouloir mettre une grande partie du Soudan sous tutelle internationale. Après l’accord, l’ambassadeur de l’Afrique du Sud aux Nations unies, qui dirigeait les négociations, a fait savoir que la Chine, le Pakistan et l’Inde étaient disposés à fournir des troupes et que cette troupe mixte d’intervention serait placée sous les ordres d’un général africain.

Mais, aux Etats-Unis, le secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique, Jendayi Frazer, n’est pas content. Depuis février 2006, tant le Congrès (Parlement) américain que le président Bush répètent qu’ils veulent une force d’intervention sous la direction de l’Otan. Frazer a dès lors immédiatement déclaré qu’il n’envisage aucunement de lever les sanctions américaines contre le Soudan. Entre-temps, le nouveau gouvernement français du président Sarkozy a fait savoir qu’il a l’intention de jouer un rôle prépondérant dans la région. Le 25 juin, Kouchner, le nouveau ministre français des Affaires étrangères, a organisé une conférence internationale sur le Darfour à Paris. Une vingtaine de pays y étaient invités, mais aucun pays africain, pas plus que l’Union africaine, n’ont répondu à l’invitation. La presse a surtout retenu le langage musclé de la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice et de Sarkozy contre Khartoum. Il a été décidé que ce « large groupe de contact » se réunirait à nouveau en septembre.

Cela pourrait encore prendre quelques mois avant que la force mixte d’intervention de l’Onu et de l’UA soit opérationnelle. D’ici là , le tintouin belliciste de Washington et de Paris aura tout le temps de foutre la pagaille partout.


La guerre civile déchire le Soudan depuis l’indépendance.



Le Soudan est divisé en trois parties : Nord, Sud et Ouest. Une division élaborée par le colonisateur britannique.

A la fin du 19e siècle, les colonisateurs britanniques ont mené dans le pays une politique approfondie de « diviser pour régner ». Le Nord du pays a été séparé du Sud. Les deux parties ont été soumises à des types de gestion très différents.

Le Nord a été dirigé à partir du Caire, la capitale de l’Egypte. L’islam et la langue arabe ont été autorisés et de nombreux jeunes Soudanais qui ont étudié dans les universités égyptiennes ont reçu des responsabilités au sein d’un appareil d’État fortement centralisé, avec Khartoum comme capitale.

Le Sud a été dirigé à partir de Nairobi, au Kenya. Ici, l’islam et la langue arabe ont été interdits et le pays a été soumis à une domination typiquement coloniale. Des fonctionnaires britanniques avaient tout à dire dans des petites provinces autonomes.

L’Ouest, la région du Darfour, forme depuis le 12e siècle un État séparé et ce n’est qu’en 1916 que les Britanniques l’ont définitivement rattaché au Soudan. Depuis lors, le Darfour fournit nombre de cadres à l’appareil d’État central de Khartoum.

Dans les années qui ont précédé l’indépendance (1956), le colonisateur britannique a voulu empêcher que le Nord adhère à la politique anticoloniale du président égyptien Nasser (venu au pouvoir en 1953). C’est pourquoi l’élite du Sud a été mobilisée contre le Nord, qui « opprime le Sud et le maintient dans l’arriération ». C’est ainsi que la guerre civile a déjà éclaté en 1955, un an avant l’indépendance. Dans les années 80 et 90, les rebelles du Sud ont reçu le soutien massif des États-Unis. En dehors d’une brève période de paix relative dans les années 80, cette guerre civile s’est poursuivie jusqu’en... janvier 2005. Son bilan : 2 millions de morts. L’accord de paix entre le Nord et le Sud prévoit une période de transition dans laquelle le Nord et le Sud constitueront une fédération. En 2011, par la voie d’un référendum, le Sud pourra s’exprimer à propos d’une éventuelle scission avec le Nord.

En 2003, une nouvelle guerre civile a éclaté dans le Darfour occidental.


Sources de la guerre : le climat et le sous-développement.



Le Darfour fournit des hauts fonctionnaires et des officiers supérieurs à l’État central, à Khartoum. Mais la région en soi stagne depuis des années dans le sous-développement. Au grand dam de la bourgeoisie locale.

En 2001, Hussein al Turabi, natif du Darfour mais idéologue principal du régime de Khartoum, est jeté en prison pour avoir critiqué le régime. Dans les pourparlers de paix entre le Nord et le Sud, on ne tient absolument aucun compte du Darfour. Ce fait provoque au sein de l’élite originaire de la région deux mouvements rebelles : le SLM (Mouvement de Libération du Soudan) et le JEM (Mouvement pour la Justice et l’Egalité). En février et avril 2003, ils lancent leurs premières opérations militaires sanglantes [1] .

Mais il y a une autre cause à la guerre au Darfour : le changement des conditions climatiques. « Selon des statistiques des Nations unies, les pluies y ont diminué de 40 % depuis le début des années 80 », déclare le secrétaire général de l’Onu, Ban-Ki-Moon. « Auparavant, les nomades vivaient en paix avec les paysans. Mais, à mesure que les pluies ont diminué, les paysans ont protégé leurs terres en ne permettant plus leur destruction par les troupeaux des nomades. En 2003, c’est ce qui a déclenché la tragédie d’aujourd’hui [2]. »

Au lieu de s’attaquer aux causes des problèmes, le gouvernement central de Khartoum a armé le groupe de population le plus faible, à savoir les nomades et les a opposés aux mouvements rebelles SLM et JEM. Ces groupes constituent les tristement célèbres Janjaweed qui, fréquemment soutenus par l’armée soudanaise, attaquent et terrorisent les villages rattachés au SLM ou au JEM. De la sorte, toute la région n’a pas tardé à être plongée dans une spirale de violence.

Depuis le début de la guerre au Darfour en 2003, 200 000 personnes ont perdu la vie et 2,5 millions d’autres cherchent à survivre dans des camps de réfugiés.


Assiste-t-on à un génocide au Darfour ?



Le Collectif Urgence Darfour en France et Save Darfur aux USA demandent que l’Occident mette un terme à ce qu’ils appellent le génocide du Darfour. Tout le monde est loin d’être d’accord.

Le Collectif Urgence Darfour (dont l’actuel ministre des Affaires étrangères du gouvernement Sarkozy, Kouchner, a été l’un des pionniers) et Save Darfur disent également que la Chine, en tant qu’important partenaire commercial de Khartoum, est coresponsable du génocide.

Durant la campagne électorale française, Urgence Darfour est même parvenu à faire signer à des candidats à la présidence - dont Bayrou et Ségolène Royal - une déclaration dans laquelle ils promettaient, une fois à la présidence, de boycotter les jeux olympiques de Pékin en 2008, si la Chine « continuait à refuser de forcer le gouvernement soudanais à mettre un terme au génocide ».

Mais les organisations humanitaires qui sont actives au Darfour même ne sont absolument pas d’accord avec ce point de vue. Ronnie Brauman, ancien président de la grande organisation humanitaire Médecins du monde (fondée par Kouchner) a donné le 10 juin une interview au journal français Le Journal du Dimanche. Braumann insiste sur le fait que la guerre civile a dépassé son point culminant depuis 2005. « Depuis 2005, nous connaissons un régime de violence absolument différent, avec un chiffre de mortalité qui est passé de 10 000 morts par mois à 200. Dans ces 200, il y a un très grand nombre d’hommes armés, mais guère de civils non armés, comme on le prétend trop souvent [3]. » Et d’ajouter : « Les groupes religieux de la droite chrétienne ainsi que des mouvements évangélistes américains constituent un lobby puissant qui exigent que les États-Unis mènent une politique plus volontariste. Ils étaient d’ailleurs derrière le gouvernement américain aussi lorsque celui-ci défendait le Sud du Soudan (chrétien et animiste). Ils continuent. C’est une idéologie de l’ingérence qui estime que les grandes puissances occidentales ont pour tâche de faire régner l’ordre dans le monde entier. Tous ceux qui voudraient que la France intervienne au Soudan étaient en leur temps partisans également d’une invasion de l’Irak. Visiblement, ça les laisse totalement froids que cette invasion ait provoqué depuis des milliers de morts. » Et de conclure : « Boycotter les jeux de 2008 à Pékin ? Politiquement, cette menace est ridicule et très discutable moralement. Ici, ce sont des Soudanais qui tuent d’autres Soudanais et les Chinois n’y sont strictement pour rien. Quand on entend aujourd’hui des gens comme Bernard Kouchner s’en prendre aux Chinois en Afrique comme étant des gens qui ne pensent qu’au commerce et au profit, on comprend alors qu’en notre temps nous avions de toutes autres intentions, en Afrique : nous avions au moins "notre grandeur d’âme’... »


Aucune organisation humanitaire sur le terrain ne soutient le Collectif Urgence Darfour

Bradol, le président de Médecins Sans Frontières France (MSF, la principale organisation humanitaire active dans les camps de réfugiés) proteste contre la campagne d’Urgence Darfour : « Le collectif défend une cause politique : il veut mettre le gouvernement soudanais au pas en le menaçant de guerre.Les responsables d’Urgence Darfour jouent un jeu hypocrite, ils prétendent parler au nom des organisations humanitaires, alors que pas une seule de ces organisations sur le terrain ne les soutient. » Le président de MSF souligne le fait qu’une intervention militaire compromettrait l’approvisionnement en nourriture, eau potable et soins médicaux de plus d’un million de personnes. MSF y participe aussi. Après les interventions militaires en Irak et en Afghanistan, ce scénario pourrait « déclencher un bain de sang, vu la situation géostratégique du Soudan [4]. »

Conclusion : aujourd’hui, en 2007, nous ne pouvons pas parler au Darfour de génocide (c’est-à -dire de liquidation systématique d’un peuple bien défini à partir de convictions racistes), mais bien d’une guerre civile qui est atroce, soit, mais dont la violence et l’intensité ont fortement régressé depuis 2005. L’entêtement avec lequel les responsables d’Urgence Darfour et de Save Darfur manipulent le terme de génocide a trait au fait que le Conseil de sécurité de l’Onu est obligé d’intervenir militairement en cas de génocide. Et, manifestement, une telle intervention aurait de tout autres buts que la protection du peuple du Darfour.


Les USA plus attirés par le sous-sol que par la surface



Le saviez-vous ? Le Soudan produit du pétrole. Et les meilleures réserves se situent... à la frontière du Darfour et dans le Sud, précisément là où sévit la guerre civile.

Pour les USA, l’Afrique représente de plus en plus une source alternative d’importation de pétrole. D’après la revue américaine The New Statesman, d’ici 10 ans, les importations américaines depuis l’Afrique dépasseront celles de tout le Moyen-Orient et entre 25 et 35 % des importations pétrolières viendront de ce continent. Des sociétés pétrolières occidentales comme Exxon Mobil, Chevron, Total y prévoient des investissements pour des dizaines de milliards de dollars [5] .

Et, en Afrique, le Soudan joue un rôle important, sur ce plan. Le pays est également une source de tensions avec d’autres grands pays.

En 1989, en raison de la guerre alors sans perspective, la société pétrolière américaine Chevron a vendu ses énormes concessions dans le Sud du Soudan. Dix ans plus tard, en 1999, le gouvernement soudanais a refilé ces concessions à une société chinoise. Avec une demande en pétrole qui grimpe chaque année de 30 %, la Chine est devenue en 2006 le second importateur de pétrole soudanais après les USA.

Ces 8 dernières années, la Chine a investi plus de 15 milliards de dollars dans le pays et elle prend à son compte aujourd’hui jusque 85 % de l’exportation de pétrole du Soudan [6]. D’autres pays aussi, comme l’Inde, la Malaisie et des pays arabes sont actifs dans le pétrole soudanais.

L’idée que l’économie chinoise ne s’approvisionnerait plus auprès des grandes compagnies pétrolières occidentales, mais aurait directement accès au pétrole soudanais, est inacceptable aux yeux des USA et de la France. Patrick Smith, correspondant de la revue britannique Africa Confidential, dit : « C’est comme si nous retournions à l’époque de la guerre froide, au cours de laquelle les USA soutenaient une fraction politique contre une autre parce que son profil politique concordait avec leurs intérêts. » Aussi, en permettant la sécession du Sud-Soudan et en installant un protectorat occidental au Darfour, les USA veulent-ils bloquer la montée des importateurs de pétrole asiatiques. Et remettre eux-mêmes le grappin sur les principales réserves pétrolières du pays.

Tony Busselen



Le Soudan en chiffres

- Superficie : 2,5 millions de km2 (5 fois la France)

- Population : 40 millions

- Mortalité infantile : 91,78 pour mille nés vivants (Belgique : 4,75)

- Chef d’Etat : Le lieutenant-général Omar Hassan-al-Bachir est président et Premier ministre. Arrivé au pouvoir après un coup d’Etat en 1989, il a été élu président en 2000.

- Gouvernement : depuis l’accord de paix de 2005, il y a un gouvernement d’union nationale, avec participation du Parti du Congrès National (NCP), le parti du président, et du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM). L’accord de paix prévoit des élections en 2008-2009 et un referendum sur une éventuelle scission entre Sud et Nord en 2011.



- Pays voisins : 1 Egypte, 2 Lybie, 3 Tchad, 4 République Centre Africaine, 5 République démocratique du Congo, 6 Ouganda, 7 Kenya, 8 Ethiopie, 9 Erythrée, 10 Arabie Saoudite. Le Darfour se trouve dans la région entourée d’un cercle.


 Source : Parti du Travail de Belgique
www.solidaire.org




Derrière le drame du Darfour ; le changement climatique par Bruno De Wit.

Des considérations géopolitiques motivent l’intervention des Nations unies au Darfour, par Chris Talbot.






[1Le SLM est un mouvement non religieux qui a reçu le soutien des mécontents de la SPLA (Sudanese People’s Liberation Army), l’organisation qui, depuis 1982, menait une guerre de guérilla dans le Sud avec le soutien des États-Unis. Le JEM est un mouvement islamiste sous l’influence du fondamentaliste Hassan Al-Turabi, un ancien idéologue du gouvernement central de Khartoum, tombé en disgrâce.

[2The Washington Post, 17 juin 2007.

[3Le Journal du Dimanche, 10 juin 2007.

[4AFP, 23 mars 2007.

[5The New Statesman, 20 juin 2007.

[6William Engdahl, Darfur ? It’s the Oil Stupid, global research, 20 mai 2007


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« Cremada » de Maïté Pinero
Bernard Revel
Prix Odette Coste des Vendanges littéraires 2017 Maïté Pinero est née à Ille-sur-Têt. Journaliste, elle a été correspondante de presse en Amérique Latine dans les années quatre-vingts. Elle a couvert la révolution sandiniste au Nicaragua, les guérillas au Salvador et en Colombie, la chute des dictatures chiliennes et haïtiennes. Elle a écrit plusieurs romans et recueils de nouvelles dont « Le trouble des eaux » (Julliard, 1995). Les huit nouvelles de « Cremada », rééditées par Philippe (…)
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