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Francine Markovits. C’est gratuit ! A qui profite ce qui ne coûte rien ?. Albin Michel, 2007.

« Il n’y a pas de repas gratuit », disait Milton Friedman. Rien n’est gratuit. Pour télécharger "gratuitement " un logiciel ou un morceau de musique, il faut s’être payé un ordinateur, du courant électrique, avoir réglé, auprès d’un fournisseur, un abonnement bien plus élevé que la redevance télé, et bien sûr avoir payé, qu’on le veuille ou non, toutes les publicités qui polluent massivement et en permanence la Toile et nos écrans. C’est dire que nous payons même les pourriels que nous jetons instantanément à la poubelle.

Paru l’année dernière, le livre de Françoise Markovits est une déclinaison très originale de l’éternel problème du don, du cadeau, du gratuit. S’il y a belle lurette que les producteurs nous inondent d’échantillons " gratuits ", ce n’est pas pour nos beaux yeux. Il faut y voir autre chose qu’une simple démarche économique dont le retour est, au maximum, de 1 à 2%. S’il n’y a rien de révolutionnaire, aux sens prosaïque et politique du terme, à distribuer des journaux gratuits (la seule question est : qui les possède ?), il se joue certainement, comme l’explique Markovits, quelque chose de jubilatoire. Le rôle du gratuit est de développer la demande dans la joie. Faire essayer une voiture gratuitement pendant quinze jours est une expérience qui anticipe sur une jouissance et qui, en fin de compte, engage durablement l’essayeur, qu’il achète ou non le véhicule.
Le gratuit, comme tout le reste, est traversé par la lutte des classes : un concessionnaire de Mercedes offrant un GPS a un client n’est pas dans la même démarche que les Restaus du coeur offrant un repas chaud à un nécessiteux. Il y a bien, écrit l’auteur, deux humanités, « l’une dans l’urgence de l’élémentaire, l’autre dans la jouissance du superflu. » Le Secours Populaire l’a fort bien compris puisque, en demandant à ceux qui bénéficient de son aide une contrepartie symbolique, il réinscrit les secourus dans l’échange, dans la relation sociale, permettant le non refoulement du réel.
Marx l’avait anticipé : la domination sans limites de l’économie est le facteur historique le plus important de ces trente dernières années. Grandes ou petites, qu’il s’agisse de la Chine ou de l’Estonie, les nations n’ont pu résister à ce nouvel agencement des choses et se sont engouffrées dans cet ordre formidablement injuste : c’est ainsi que le pays européen qui a le plus profité de l’Europe dite libérale, le Portugal, est celui qui connaît les disparités entre pauvres et riches les plus spectaculaires. S’inscrivant parfaitement dans ce contexte, le martèlement sarkoziste du « pouvoir d’achat » est idéologique avant d’avoir des répercussions économiques simples : réduire l’individu à , selon l’auteur, un « être quantitatif » chez qui la richesse et la sensibilité humaines ne comptent plus.

Dans les années trente, Orwell avait expliqué (dans son récit Dans la dèche à Paris et à Londres, entre autres) qu’être vagabond (on dit « SDF » aujourd’hui) était un métier à plein temps. Ainsi, les asiles étaient gratuits mais, comme ils étaient situés à quatre ou cinq heures de marche les uns des autres et qu’il était interdit de passer plus d’une nuit dans un même asile, les tramps passaient la moitié de la journée à marcher, payant ainsi de leurs efforts, donc de leur santé, leurs nuitées dans des abris sales et nauséabonds. C’est dire que, comme l’explique Markovits, il peut y avoir translation du système d’échange vers une autre fonction économique qui, celle-ci, est beaucoup moins visible, quand elle n’est pas clandestine. Je fais distribuer un journal gratuit, mais je suis payé par la publicité que j’y diffuse. J’offre à un passager un billet d’avion Paris-Londres à deux euros, mais ce même passager, en tant qu’assuré social et contribuable, payera le prochain plan de licenciement de ma compagnie.

Francine Markovits se penche longuement sur le problème de la charité, collective ou individuelle. Elle souligne que, au-delà du visible humanitaire, la charité, en tant qu’assistance, maintient les pauvres là où ils sont, sans perspective de changement de statut social. L’assistance maintient les pays dits " en voie de développement " (quand je vivais en Afrique dans les années soixante-dix, les Africains parlaient déjà de pays en « voie de sous-développement »), dans la dépendance des " décideurs " économiques et des organisations institutionnelles (Banque Mondiale, FMI, etc).

Avant la Révolution française, rappelle Markovits, la question était de savoir, à propos de la " guerre des farines ", si le blé était objet de commerce ou de politique. Le problème se pose aujourd’hui, de manière urgente, pour ces secteurs immenses, gratuits, dans une certaine mesure, sur lesquels les grands entrepreneurs et la grande finance veulent mettre le grappin : la santé, l’éducation. L’éducation gratuite (et obligatoire) n’est pas un don mais un acte de société. Idem pour la santé gratuite : nous cotisons, je suis malade, vous payez. Pour l’instant, et malgré un matraquage subtil en faveur des assurances privées, en particulier sur les antennes des chaînes publiques de radio et de télévision, les Français restent très attachés au principe de solidarité, en synchronie comme en diachronie, et sont majoritairement opposés à la financiarisation de la santé.

Est également posé, cette fois de manière absolument vitale, le problème de l’eau. En 2005, le Forum Alternatif Mondial de l’Eau déclarait à Genève :
« En droit international, le seul statut applicable à l’eau douce demeure celui de ressource naturelle, auquel s’appliquent les principes de base du droit international classique : la liberté des échanges et la souveraineté des États. […] Aujourd’hui en matière d’eau douce [lire une contribution intéressante sur le statut de l’eau en droit international : http://www.cicr.org/web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/5fzhpx?opendocument, des enjeux autres que la coexistence pacifique entre États interpellent l’humanité toute entière. Au-delà des risques de conflits entre États voisins, on sait que la pollution, les détournements massifs, les usages excessifs et donc la dégradation d’une ressource essentielle à la vie concernent l’ensemble de la planète. Le fait que plus d’un milliard et demi d’êtres humains soient exclus de l’accès à cette ressource essentielle est devenu un enjeu international du point de vue des droits humains universels. Or, au nom de la " rareté ", on nous propose de considérer l’eau comme un " bien économique ", susceptible d’être approprié et échangé selon les règles du marché. »

Il convient donc, explique l’auteur, de soustraire l’eau potable à « tous les accords de commerce, aux institutions financières, à la rentabilité » en lui conférant un statut juridique international.

Francine Markovits conclut avec Sartre qui, dans La Nausée, relie le gratuit à la contingence et à l’absurde. Pour Sartre, écrit-elle, « l’existence n’est pas la nécessité ». La nature est dans le registre de la nécessité, l’homme dans celui de la liberté.

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