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Une décennie de tortures et d’abus aux mains de l’armée et des agences de renseignement américaines

Guantanamo : La mort d’Adnan Farhan Abdul Latif

Le 10 septembre 2012, Adnan Farhan Abdul Latif est mort dans sa cellule de la prison américaine du camp de Guantanamo Bay à Cuba. Le jour de sa mort, Latif était emprisonné à Guantanamo depuis 10 ans, 7 mois et 25 jours. Il avait 36 ans et laisse derrière lui une femme et un fils.

Adnan Farhan Abdul Latif est mort après avoir enduré une décennie de tortures et d’abus aux mains de l’armée et des agences de renseignement américaines. Sa mort survient après qu’un ordre de comparution remettant en cause sa détention sans contacts avec l’extérieur accordé par un juge fédéral a été annulée en appel, suivant une doctrine juridique autoritaire promue par les gouvernements de Bush et d’Obama.

L’incapacité du système légal américain au cours de la décennie précédente à faire appliquer les droits les plus élémentaires de Latif souligne l’effondrement d’institutions légales vieilles de plusieurs siècles et l’expansion de la bureaucratie d’un état policier. La mort de Latif constitue un crime de guerre qui, avec les crimes commis contre des centaines d’autres prisonniers à Guantanamo et dans les « sites noirs » secrets tout autour du monde, justifierait la destitution, l’arrestation et le procès pénal de tous les responsables de haut niveau, civils et militaires, de ces deux gouvernements.

Latif, né au Yémen, a été enlevé en décembre 2001 au cours de l’une des nombreuses rafles-enlèvements organisées par les États-Unis au Pakistan. Les États-Unis ont publiquement affirmé que Latif était membre d’Al Quaïda, mais Latif n’a jamais été mis en examen ou condamné pour aucun crime.

Des documents obtenus et publiés par WikiLeaks l’an dernier ont révélé que le gouvernement américain savait tout du long que Latif n’était pas associé à Al Quaïda. Il en ressort que Latif se rendait en Afghanistan pour des soins médicaux suite à un accident de voiture subit en 1994 qui l’avait laissé avec des séquelles au cerveau, et non pour rejoindre Al Quaïda. Le gouvernement américain l’a tout de même enfermé, sans l’accuser ou le présenter à un magistrat, dans le cadre du nouveau programme de Bush de détentions et tortures extrajudiciaires.

Les circonstances de la mort de Latif sont suspectes. L’armée américaine a initialement déclaré que Latif avait été trouvé « inconscient et sans réflexes » dans sa cellule. Cependant, dans un rapport d’autopsie remis récemment à l’ambassade du Yémen, les États-Unis affirment que la mort de Latif était un suicide. L’armée américaine affirme que Latif avait accumulé des médicaments dans sa cellule et les a tous pris à la fois. C’est un scénario douteux au regard de la surveillance 24 heures sur 24 et des autres restrictions draconiennes auxquelles sont soumis les détenus de Guantanamo.

De nombreuses questions sur la mort de Latif restent ouvertes. D’un côté, au vu des révélations de WikiLeaks et des embarras que Latif risquait de causer, il y avait un motif pour se débarrasser discrètement de lui. D’un autre côté, d’après les avocats de Latif, lorsque la décision sur son recours a été annulée en appel, Latif avait perdu l’espoir de jamais sortir de ce camp infâme.

Le New York Times a relaté mercredi dernier : « Les représentants sur Yémen ont refusé d’accepter la dépouille de M. Latif tant qu’ils n’auront pas eu de réponses sur ce qui lui est arrivé. »

« Adnan Latif était une épine dans leur pied, » a déclaré un avocat représentant Latif, David Remes, au New York Times. « Les gardes demandaient aux autres détenus comment faire avec lui. Il refusait de se soumettre. Il ne les laissait pas établir les règles de son emprisonnement. Il constituait un problème permanent. »

Après être arrivé à Cuba au centre de Guantanamo Bay en janvier 2002, Latif a été torturé à plusieurs reprises. Il était mentionné dans un rapport d’Amnesty International de 2004 intitulé « Poèmes de Guantanamo. » Ce rapport documente les horribles tortures perpétrées contre les détenus, ainsi que la manière dont les prisonniers comme Latif « se sont mis à écrire de la poésie pour préserver leur humanité. »

Dans ce rapport, L’avocat Mark Falkoff décrivait ses conversations avec Latif et la victimisation de Latif par les agents des renseignements et de l’armée : « Dès son arrivée à Cuba […] il a été enchaîné par les mains et les pieds alors qu’il portait encore les lunettes qui bloquent la vue et les bouchons d’oreilles qu’on lui avait imposés pour le vol. Les soldats lui ont donné des coups de pieds, l’ont frappé, et démis une épaule. Rapidement, des interrogateurs l’ont questionné en pointant une arme sur sa tête. Latif a passé ses premières semaines au camp X-Ray dans une cage en extérieur, exposé au soleil tropical, sans ombre ni abri contre le vent qui projette du sable et des cailloux. Ses seuls objets étaient un seau pour l’eau et un autre pour les excréments. »

Le rapport décrivait les conditions imposées aux détenus comme Latif. « Pendant les trois ans durant lesquels ils ont été tenus en isolation complète, ils ont été soumis de manière répétée à des positions engendrant du stress, à la privation de sommeil, de la musique à un volume assourdissant, et des températures extrêmes, froides ou chaudes, durant des interrogatoires qui n’en finissaient pas. Les femmes interrogatrices étalaient du faux sang menstruel sur les poitrines de certains détenus et leur lançaient des injures sexuelles, parfaitement conscientes qu’elles insultaient des musulmans croyants. Ils se sont vu refusé des soins médicaux. Ils ont été brisés et tyrannisés psychologiquement, gardés en isolement complet, menacés d’être transféré dans d’autres pays, interrogés sous la menace d’une arme et on leur a dit que leurs familles seraient attaquées s’ils refusaient de parler. Ils ont également été souvent empêchés de mener leurs prières journalières - l’un des cinq piliers de l’Islam - et forcés à regarder des soldats américains malmener intentionnellement leur livre saint, le Coran. »

La liste des tortures et des abus qu’a subi Latif serait trop longue pour un article. Au cours d’un incident, Latif a fait un pas au-delà d’une ligne tracée dans sa cellule quand on lui servait son repas. Amnesty International cite Latif : «  Soudainement la police anti-émeute est intervenue. Personne dans le block de cellules ne savait pour qui. Ils ont fermé toutes les fenêtres sauf la mienne. Une femme soldat est venue avec une grosse bombe au poivre. J’ai compris qu’ils venaient pour moi. Elle m’a aspergé avec la bombe. Je ne pouvais plus respirer. Je suis tombé. J’ai mis un matelas sur ma tête. J’ai cru que j’allais mourir. Ils ont ouvert la porte. J’étais allongé sur le lit, mais ils m’ont frappé avec les pieds et avec les boucliers. Ils m’ont mis la tête dans les toilettes. Puis ils m’ont mis sur une civière et m’ont emmené. »

Latif a participé à une grève de la faim en 2005, que l’armée américaine appelait un « jeune volontaire. » (lire en anglais : Guantánamo Bay hunger strike enters third month). L’armée a réagi par une politique brutale d’alimentation forcée. Pour faire échec à la grève, des tubes de gavage étaient régulièrement introduits de force à travers le nez et jusque dans la gorge des détenus sans anesthésie, souvent avec du sang et de la bile du détenu précédent encore sur le tube.

Mark Falkoff a écrit dans le rapport d’Amnesty International, «  Deux fois par jour, les gardes ont immobilisé la tête de Latif, lié ses bras et ses jambes à une chaise spéciale pour cela, et l’ont nourri de force avec un aliment liquide en faisant passer un tube dans le nez jusqu’à l’estomac - une violation claire des standards internationaux. L’alimentation, dit Latif, « est comme d’avoir un poignard enfoncé dans la gorge. » »

Les avocats représentants Latif ont déposé une demande d’Habeas corpus pour son compte en 2004. La demande d’Habeas Corpus est une ancienne procédure judiciaire par laquelle les prisonniers peuvent remettre en question leur emprisonnement et les conditions de leur retenue devant un juge. L’un des buts essentiels de la demande est d’empêcher les détentions sans communications avec l’extérieur et sans procès. La demande d’Habeas Corpus est appelée "Grande demande" parce que sans le droit de comparaître devant un magistrat en premier lieu, tous les autres droits sont vidés de leur substance.

Le cinquième amendement de la constitution américaine, qui fait partie du Bill of Rights ratifié en 1791, interdit l’emprisonnement sans procès. Il déclare : « nul ne pourra, […] être privé […] de sa liberté […] sans procédure légale régulière ; ».

En juillet 2010, le juge Henry Kennedy d’une Cour fédérale de district a accédé à la demande d’Habeas Corpus de Latif et ordonné sa libération immédiate au motif que la version donnée par le gouvernement des faits concernant la prétendue participation de Latif à des groupes terroristes n’était pas plausible. En d’autres temps, une décision ordonnant la libération d’une personne détenue depuis des années sans avoir été jugé ou condamnée pour aucun crime aurait été immédiate et n’aurait soulevé aucune objection. Dans la période actuelle, la décision du juge Henry Kennedy apparaît comme exceptionnelle.

Au lieu de libérer Latif, le gouvernement d’Obama a fait appel de la décision de la Cour de district, invoquant des doctrines juridiques autoritaires et s’appuyant sur les pouvoirs présidentiels « en temps de guerre » qui ne sont pas soumis au contrôle des juges. En octobre 2011, la Cour d’appel de Washington DC a annulé la décision du juge Henry Kennedy.

La décision de cette Cour dans l’affaire Latif contre Obama, consultable, en anglais, ici, attribue une présomption de validité aux rapports du gouvernement qui veulent lier Latif au « terrorisme », malgré les nombreuses incohérences et erreurs de ces rapports. La jurisprudence de la Cour revient à supprimer la présomption d’innocence pour les personnes désignées comme « terroristes », plaçant la charge de la preuve sur l’accusé qui devra réfuter les assertions présumées correctes du gouvernement, au lieu de demander au gouvernement de vaincre la présomption d’innocence. La Cour a noté spécifiquement qu’un « demandeur d’Habeas à Guantanamo n’est pas habilité à jouir des mêmes protections constitutionnelles qu’un accusé dans un procès pénal. »

Latif a formé un pourvoi devant la Cour suprême contre la décision de la Cour d’appel de Washington DC, mais celle-ci a refusé d’examiner son pourvoi.

Des documents secrets publiés par WikiLeaks en avril 2011 établissent que le gouvernement d’Obama - au moment où il faisait appel de la décision accordant l’Habeas Corpus à Latif - savait depuis longtemps qu’il n’était pas membre d’un groupe terroriste. En d’autres termes, le gouvernement Obama a demandé en toute connaissance de cause d’appliquer une présomption de fiabilité à des rapports qu’il savait ne pas être fiables.

En dépit des promesses de fermer Guantanamo Bay durant sa campagne électorale de 2008, Obama se prépare à entrer dans son deuxième terme avec 167 hommes toujours enfermés là -bas.

Un poème de Latif intitulé « Poème de la grève de la faim » contient les lignes suivantes :

Ce sont des artistes de la torture,
Ce sont des artistes de la douleur et de l’épuisement,
Ce sont des artistes des insultes et de l’humiliation.
Où est le monde qui nous sauvera de la torture ?
Où est le monde qui nous sauvera du feu et de la tristesse ?
Où est le monde qui sauvera les grévistes de la faim ?

Tom Carter

Article original, WSWS, paru le 3 décembre 2012 http://www.wsws.org/fr/articles/2012/dec2012/lati-d07.shtml

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« Tous les jours pareils. J’arrive au boulot et ça me tombe dessus, comme une vague de désespoir, comme un suicide, comme une petite mort, comme la brûlure de la balle sur la tempe. Un travail trop connu, une salle de contrôle écrasée sous les néons - et des collègues que, certains jours, on n’a pas envie de retrouver. On fait avec, mais on ne s’habitue pas. On en arrive même à souhaiter que la boîte ferme. Oui, qu’elle délocalise, qu’elle restructure, qu’elle augmente sa productivité, (…)
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