RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Guerre froide au Sud

La gangrène des méthodes agressives et subversives étasuniennes en Amérique latine déclenche une poussée de réactions multilatérales des pays du continent brocardé. De concert, les Etats du Sud refusent désormais très clairement l’escalade de l’ingérence américaine sur leurs territoires et s’organisent contre sa domination. Une guerre de position et d’intimidation mutuelle s’installe et présage un renversement du postulat actuel.

La tension monte le long des côtes Caraïbes.

Après le stationnement temporaire au Venezuela, début septembre, de deux bombardiers TU-160 des forces aériennes russes, dans le but d’effectuer pendant quelques jours des vols d’entraînement au-dessus des eaux neutres, à la mi-novembre, la flotte russe s’avancera sur les frontières maritimes du Venezuela. A la demande du président Hugo Chavez, ces manoeuvres stratégiques viennent répondre à la menace grandissante des Etats-Unis dans cette région.

En réaction aux débordements des pressions et agressions organisées par le gouvernement américain depuis bientôt 10 ans sur le continent latino-américain, Chavez - aujourd’hui directement visé - manifeste sa combativité et son pouvoir face aux Etats-Unis. Ce déploiement militaire, conjoint et officiel, entre le Venezuela et la Russie enclenche une nouvelle guerre froide du XXIe siècle qui se situe dorénavant entre l’Amérique du Nord et celle du Sud - puissance à part entière.

La cause réelle et sérieuse de cette démonstration de force vient comme une réplique à la vieille histoire de l’application de la doctrine Monroe, née en 1854. A cette époque, l’idée majeure consignait le principe d’une « Amérique américaine » qui perdure encore et toujours. Après avoir abandonné la peur d’une colonisation espagnole voire européenne du continent latino-américain au cours du XIXe siècle, les Etats Unis ont depuis appuyé leur théorie d’une Amérique latine leur revenant. Sous prétexte de bienveillance américaine, une véritable hégémonie sur l’hémisphère s’est ainsi établie, mettant en place dictatures et tutelles. Une façon d’asseoir clairement les droits des Etats-Unis sur ces territoires et d’intervenir dans les événements latino-américains en protégeant activement leurs intérêts continentaux.

La goutte d’eau

Cependant, il est temps pour Hugo Chavez de dire que « trop c’est trop ». L’Amérique du Sud ne sera plus l’arrière-cour des Etats-Unis et sa « balkanisation » n’aura pas lieu. Quant au principe « pitiyankee » de guerre préventive, l’Amérique latine le considère comme inacceptable.
Cette réactivité vénézuélienne, ni gratuite ni paranoïaque, traduit plutôt un réflexe politique tactique vis-à -vis du danger d’ingérence nord-américaine flagrante et vérifiée.

Après les expériences désastreuses et meurtrières qui ont marqué l’histoire du continent au cours de ce XXe siècle - Colombie (1948-57, guerre civile et guérilla des Farc depuis 1960), Cuba (1961-62, crise des missiles et embargo), Equateur (1963-72, dictatures militaires), Bolivie (1964-82, dictatures militaires), Honduras (1972-83, gouvernements militaires), Argentine (1973-81, junte militaire), Chili (1973-88, dictature Pinochet), Nicaragua (1980-90, guerre anti-sandiniste), Salvador (1980-92, junte militaire), Grenade (1983, invasion américaine)… - le principe continue de se répéter.

Cette domination, qui s’exprime aujourd’hui non plus sous la forme de dictature directe mais sous couvert de coups d’état, d’embargos, d’espionnage, de sabotages, de subversion ou de sanctions, entretient un conflit à vif en permanence et met en danger la mouvance de gauche qui s’installe partout dans la zone Sud, et dont Chavez se fait le porte-parole.

Les derniers événements en date confirment la montée en puissance d’une activité américaine pernicieuse. Complices de cette déstabilisation, les groupes paramilitaires infiltrés, l’Usaid - l’agence américaine chargée du développement économique et de l’assistance humanitaire dans le monde -, le NED - l’association américaine dont l’objectif officiel est l’éducation et la formation vers la démocratie à travers le monde - font le travail. Sous couvert de non violence, mais finalement comme technique d’action politique qui peut être employée à n’importe quelle fin, l’Usaid - créée en 1961 par J.-F. Kennedy - et le Ned - créé en 1984 par Reagan - sont des paravents de la CIA qui les finance. Ainsi, sans soulever d’indignation internationale grâce à une vitrine idéologique, c’est à coup de millions de dollars que ces deux organisations commandites des formations politiques subversives, des paniques et des terreurs, des médiamensonges, des corruptions et infiltrations à l’intérieur des pays récalcitrants. Le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur et le Mexique sont de ceux qui subissent actuellement et de plein fouet ces fourbes manipulations

L’Otan, qui s’intéresse à ce mécanisme bien huilé, voit en lui la façon d’organiser la résistance à tout mouvement s’opposant à son dictat. L’Albert Einstein Institution, qui préconise depuis les années 50 cette doctrine de résistance individuelle non-violente, s’est faite par exemple la bonne école de l’Otpor - organisation insurrectionnelle opposante au gouvernement serbe entre 1995-2000, qui finira par se transformer en mouvement d’extrême droite visant à la déstabilisation. La période des expériences des révolutions de couleurs à l’Est prend ainsi de l’expansion à travers ces méthodes, et s’exporte aujourd’hui sournoisement sur le continent latino-américain.

Crise

De par ces multiples façons, l’infiltration se veut insidieuse, dangereuse et encore efficace. Le 1er mars dernier, l’armée colombienne s’est permise d’éliminer Raul Reyes, n°2 des Farc, à l’intérieur du territoire équatorien. Cette agression sans foi ni loi a bien failli déclencher un conflit ouvert entre les deux pays, mais l’Equateur s’en est arrêté à rompre ses relations diplomatiques avec Bogota. Au mois de juillet, les Etats-Unis ont décidé de réactiver leur 4e flotte - mise en veille depuis 1958 - dans la mer des Caraïbes et de l’Atlantique sud avec l’intention de combattre le terrorisme, les activités illégales et d’envoyer un « message » au Venezuela et au reste de la région. Le 10 septembre, Evo Morales - président de la Bolivie - a sommé l’ambassadeur américain à La Paz de quitter le pays dans les 72 heures, accusé d’attiser les revendications autonomistes des cinq provinces les plus riches du pays et de conspirer contre la démocratie en tentant d’organiser l’éclatement de la Bolivie. Pour manifester son soutien à Evo Morales, le 11 septembre, Chavez a mis également un terme aux relations diplomatiques avec les Etats-Unis en annonçant l’expulsion de l’ambassadeur américain au Venezuela. « Allez au diable, Yankees de merde » s’autorisera Chavez, exaspéré par le culot permanant du gouvernement américain. Le ton de la crise et la réplique sont bel et bien donnés.

Au même moment, le 10 septembre à Caracas, 7 militaires vénézuéliens, soutenus par des filières extérieures, sont arrêtés pour complot putschiste contre Chavez, avec pour programme tentative de renversement et d’assassinat.

Les Etats-Unis, présentement affaiblis et discrédités, et déjà embourbés sur d’autres fronts au Moyen-Orient, se mettent dans une situation provocante risquée de ce côté du monde. Leur stratégie expansionniste de plus en plus hasardeuse s’expose à un retour de bâton inconfortable. « Détruire pour reconstruire » dans cette région ne semble plus faire partie des techniques incontestables que les Etats-Unis ont l’habitude de certifier et de mettre en oeuvre. La résistance est implantée et la politique d’intégration du Sur - Sud - florissante (MercoSur, BancoSur, TeleSur, Alba…). L’intention latino-américaine est dirigée vers le développement économique et social et l’indépendance, non vers la guerre. Les Etats-Unis ne le souhaitent pas ainsi, mais pourtant il serait temps qu’ils se fassent une raison.

Muriel Knezek
journaliste

URL de cet article 7219
  

Même Thème
Figures Révolutionnaires de l’Amérique latine
Rémy HERRERA
Cet ouvrage propose au lecteur sept chapitres consacrés à quelques-uns des révolutionnaires les plus importants d’Amérique latine et caribéenne : Simón Bolívar, José Martí, Ernesto Che Guevara, Hugo Chávez, Fidel Castro et Evo Morales. L’Amérique latine et caribéenne offre depuis le début des années 2000 l’image de peuples qui sont parvenus à repasser à l’offensive, dans les conditions historiques très difficiles qui sont celles de ce début de XXIe siècle. C’est cette puissante mobilisation populaire qui est (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Si le Président se présente devant le Peuple drapé dans la bannière étoilée, il gagnera... surtout si l’opposition donne l’impression de brandir le drapeau blanc de la défaite. Le peuple américain ne savait même pas où se trouvait l’île de la Grenade - ce n’avait aucune importance. La raison que nous avons avancée pour l’invasion - protéger les citoyens américains se trouvant sur l’île - était complètement bidon. Mais la réaction du peuple Américain a été comme prévue. Ils n’avaient pas la moindre idée de ce qui se passait, mais ils ont suivi aveuglement le Président et le Drapeau. Ils le font toujours ! ».

Irving Kristol, conseiller présidentiel, en 1986 devant l’American Enterprise Institute

Le 25 octobre 1983, alors que les États-Unis sont encore sous le choc de l’attentat de Beyrouth, Ronald Reagan ordonne l’invasion de la Grenade dans les Caraïbes où le gouvernement de Maurice Bishop a noué des liens avec Cuba. Les États-Unis, qui sont parvenus à faire croire à la communauté internationale que l’île est devenue une base soviétique abritant plus de 200 avions de combat, débarquent sans rencontrer de résistance militaire et installent un protectorat. La manoeuvre permet de redorer le blason de la Maison-Blanche.

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.