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De Bolivar à Chavez ou « Servir une Révolution, c’est labourer la mer »

Fut-il long le chemin jusqu’au socialisme du XXIe siècle de Chavez, c’est de la prise de conscience prolongée de la portée de la pensée de Bolivar que la révélation d’une unité spirituelle et morale des peuples du continent sud-américain s’établit aujourd’hui.

L’interminable bouleversement politique latino-américain, en perpétuel mouvement, est un phénomène qui se transforme d’instant en instant. Combative et opiniâtre, la Révolution au Sud n’est pas au bout de ses peines mais ancrée dans la durabilité.

Choisir la République à la démocratie fut certainement l’objectif de Simon Bolivar (1783-1830), général et homme politique vénézuélien. Par République, Bolivar - le Libertador - entendait une séparation des pouvoirs, une liberté civile, l’abolition des privilèges, l’égalité et la modernité des idées. Cette République qui par les lois corrige les différences et mène à la liberté absolue. Hostile au suffrage universel, constatant que l’élection était un acte de liberté ou d’esclavage du peuple, Bolivar affirmait ainsi qu’une société de statuts hiérarchiques ne pouvait être une démocratie. De par sa vision d’un « peuple sans savoir ni vertu ni culte », la démocratie était à exclure ou alors il s’agissait fortement de former et d’éduquer pour y aboutir. Fort de ce constat, en 1812, Bolivar estimait que les peuples n’étaient pas prêts à la démocratie.

Depuis, la controverse sur cette question bien argumentée autorise à dire que la République est devenue largement synonyme de démocratie. Hugo Chavez, président de la République bolivarienne du Venezuela depuis décembre 1998, entend ainsi associer à sa République une démocratie participative afin de démocratiser la démocratie.

Dans le contexte d’une interrogation croissante sur les limites de la démocratie représentative, du fait majoritaire de la professionnalisation du politique et de l’omniscience des experts, Chavez considère comme impératif de mettre à la disposition des citoyens les moyens de débattre, d’exprimer leur avis et de peser dans les décisions qui les concernent.

Prémisse d’un nouvel âge

Inspiré des Lumières, de la Révolution française et de l’influence de l’exemple d’Haïti, premier pays des Caraïbes à connaître sa Révolution et son indépendance en 1804, l’idéologie du Sud reflète très tôt une première réflexion sur les dangers d’une conquête et le besoin d’une assise des indépendances. L’expression « Nuestra America » de Francisco de Miranda (1750-1816) symbolise déjà la quête d’une unité continentale du Sud.

Ce phénomène précurseur isolé, pas organisé mais naissant, du fait de singularités de personnes, en détache l’idée majeure d’émancipation. Le rêve d’une grande confédération sud-américaine à l’image des récents Etats-Unis d’Amérique, première nation décolonisée du monde en 1776, revendique un patriotisme continental unique.

Ainsi, la « Campagne admirable », que mène Bolivar entre 1811 et 1825, qui force les autorités espagnoles à consentir à l’indépendance de l’Amérique latine qu’elle domine depuis le XVe siècle, amène la Venezuela, la Colombie, l’Equateur, le Pérou et enfin la Bolivie à se libérer.

L’élaboration de Constitutions en vue de pérenniser la République, la signature de décrets telles l’abolition de l’esclavage des Noirs et des Indiens et la redistribution des terres, la présence d’un état fort, la liberté politique, les réformes universitaires et la mise en place de nationalisations transcrivent la mise en marche d’une idéologie du bolivarisme visionnaire.

Les principes d’une armée commune, d’un pacte de défense mutuel et d’une assemblée parlementaire supranationale sont alors évoqués lors du congrès de Panama en 1826 dans le but d’organiser une Société des Nations Américaines. Hélas, les barrières géographiques et les intérêts nationaux divergents feront capoter le projet, mettant fin au rêve de Bolivar d’une Amérique latine unifiée.

A cette époque, le continent n’est pas prêt malgré l’inspiration progressiste forte. Mais le cadre des âges du bolivarisme est constitué et la toile se tisse.

Ainsi, la doctrine Monroe, prononcée par le président James Monroe en décembre 1823 et synonyme d’une politique expansionniste du nouvel hégémon américain qui allait servir de soubassement doctrinal à une « Amérique américaine », est déjà largement rejetée par une résistance latino-américaine.

Cette période du latino-américanisme, durant laquelle les Etats-Unis prennent le Texas, la Californie, le Mexique et investissent une partie de l’Amérique centrale en usant de la pratique simple, audacieuse et sans scrupules des doctrines américaines, décide l’Amérique latine à défendre sa souveraineté vis-à -vis du Nord - « Il faut une doctrine Monroe contre les US ».

Lutte

Le moment est venu pour organiser la solidarité latino-américaine et la résistance armée. Le bolivarisme descend dans les ateliers et les champs. La Révolution mexicaine s’avère un déclencheur à la révolte. Le pacte ABC de 1914 (Argentine, Brésil, Chili) reflète ce combat frémissant. L’influence du modèle soviétique marque le continent, sensible au langage marxiste.

Totalement opposée aux interventions étrangères, l’Amérique latine prend la mesure de sa force par la révélation de l’efficacité des luttes solidaires continentales. La cohésion s’effectue, le projet s’enrichit par la création de mouvements collectifs autonomes comme l’Apra péruvienne - Alliance populaire révolutionnaire américaine - créant un front unique latino-américain. De nouvelles couches de la société sont entrainées dans l’émergence d’une lutte contre l’expansionnisme américain. Le soutien de l’URSS et de la Chine à ce processus renforce les volontés de changement et suscite de grands espoirs.

La Révolution cubaine de 1956 se révèle être le point référent dans lequel le guévarisme du Ché est clairement inspiré du bolivarisme. Alors, le castrisme est-il le bolivarisme ? Oui, si l’on admet que la lutte de Castro pour le socialisme à été séparée du monde ouvrier dans un premier temps, tout en donnant des preuves de ses tendances démocratiques. De la même façon que Bolivar, Castro considérait la conscience politique des travailleurs comme une question à développer pour qu’elle prenne sa véritable dimension dans la révolution. Sa classe sociale - semblable à celle de Bolivar - était également celle de ses opposants. Cette classe qui jouera le rôle dirigeant dans la Révolution.

Du côté vénézuélien, la prise du pouvoir par Chavez en 1998, démocratiquement élu, et la mise en place de sa politique socialiste semble en revanche se rapprocher d’une véritable maturité du bolivarisme.

Chavez suggère de « terminer l’oeuvre de Bolivar », c’est-à -dire parvenir à son développement complet. La méthode : désarticuler les engrenages nuisibles de toute dépendance et apporter des changements sociaux par des programmes d’éducation, essentiels à la libération d’un peuple et à son investissement dans la construction d’une société démocratique. Chavez veut rendre les pauvres « visibles » par leur considération en premier lieu.

Chavez révèle qu’on peut utiliser la politique pour mettre en place des changements et venir à bout du marasme interne à la gauche. Sa politique n’est pas seulement un choix entre un néolibéralisme soit disant démocratique et un populisme autocratique, Chavez internationalise l’expérience bolivarienne pour laquelle les Etats-Unis et les médias s’affichent hostiles.

La leçon de Chavez est de donner de l’importance à une démocratie participative populaire, de rejeter la bureaucratie et la centralisation. Il s’agit bien de revisiter l’idée de Bolivar, de réexaminer l’ancienne politique de l’URSS et celle de toute la sociale démocratie par le pan du progressisme et de la remise en question. Son projet émancipateur basé sur l’articulation de la pensée bolivarienne par un « socialisme du XXIe siècle » est un modèle en train de s’inventer - celui de la démocratie pédagogique.

Chavez crée de cette façon la résistance sur tout le continent où son bolivarisme devient
internationalisme.

Par ce caractère de résistance et afin de souligner ses convictions et d’afficher surtout un signe fort d’opposition, Chavez a été jusqu’à déplacer l’écharpe présidentielle de l’épaule droite à l’épaule gauche au cours de la cérémonie officielle de son investiture au poste de Président du pays pour la période de 2007 à 2013.

Chavez cherche à bâtir et à asseoir des coopérations solidaires sans les Etats-Unis et à aboutir à une communauté des Etats latino-américains.

Les choix

Aujourd’hui, le continent latino-américain s’annonce être un laboratoire d’expériences politiques innovantes pleines d’espoir et de réponses aux menaces et provocations du monde néolibéral. Le processus de transformation insurrectionnelle, amplifié depuis le putch d’avril 2002 à Caracas et le coup d’Etat au Honduras en juin 2008, favorise les initiatives de résistances et d’organisation des masses populaires.

Oui, Chavez est populiste et révolutionnaire par la critique des élites et l’appel d’un recours au peuple.

Les menaces intérieures et extérieures du XXIe siècle sont les mêmes que celles du XIXe. Les accords bilatéraux américains néfastes pour le continent, déjà opérationnels à l’époque de Bolivar, sont toujours d’actualité. Pour Chavez, le nouvel ordre mondial du XXIe siècle doit être socialiste, par le bénéfice du collectif pour une nouvelle société.

Ces stratégies de transformation fondamentales sont accessibles par les réformes et la Révolution, éliminant le danger de la bureaucratie et du libéralisme. Une utopie réalisable par la justice sociale. La nationalisation du secteur social, la réforme foncière par des terres redistribuées, l’enseignement et l’assistance médicale gratuits sont les points clés de cette mutation.

Le système interaméricain de 1948, sous l’appellation de l’OEA - Organisation des Etats Américains -, a brisé les relations entre le Nord et le Sud et se révèle être un échec. Le Sud se place dans un contexte d’opposition à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou Alca), reflet de la libéralisation commerciale, du multilatéralisme modulaire et du fonctionnalisme flexible. Ainsi, l’Union des nations sud-américaines (Unasur), créée en mai 2008, réfute l’ingérence nord-américaine dans les affaires politiques et économiques latino-américaines.

De ce fait, l’intégration régionale sans les US, la sécurité énergétique par le pétrole, la stabilité des prix par le biais de l’Opep (en juin 2005, le Venezuela signe un accord avec 13 autres pays des Caraïbes portant sur des échanges pétroliers avantageux afin de faciliter l’indépendance des pays des Caraïbes), la présence chinoise et russe sur le territoire vénézuélien affichent un affranchissement du continent qui oblige les Etats-Unis à mettre en oeuvre une machine à propagande ouvrant à accusations pour lancer une contre-offensive. L’aide aux Farc, à l’ETA, le soutien au terrorisme et au narcotrafic, les droits de l’homme et l’humanitaire sont les sujets fétiches et les paravents de l’immixtion américaine sur le continent.

Chavez est « le gorille rouge », il faut donc préparer l’opinion à toutes manipulations. Les outils : la diabolisation, la déstabilisation, les insultes et le recours à la violence justifiée.

Dans ce contexte, le Venezuela contestataire et en pleine période de transition, considéré comme « l’épicentre de la stratégie US » par Hilary Clinton de par sa dimension géopolitique, est devenu la véritable bête noire. Son processus socialiste actuel fonctionne encore sur les bases d’un capitalisme mortifère (violence, intrusion, corruption…) - certes -, mais dont la décadence oblige à des coups politiques brutaux.

Conjoncturellement, pour les Etats-Unis, l’Amérique latine est moins importante que le Moyen-Orient mais stratégiquement majeure. Ainsi, le Pentagone a ressuscité en avril 2008 sa IVe Flotte, avec pour mission de patrouiller dans les eaux latino-américaines et des Caraïbes. Sans rougir, le message est clair : « Le rétablissement de la IVe flotte est plus un geste politique que militaire, destiné à faire face à la montée en puissance des gouvernements de gauche dans la région ».

Les différences s’avèrent donc très nettes entre le discours diplomatique américain et les faits.

L’ingérence permanente sous couvert de l’Usaid et du Ned, les coups d’Etat fomentés, la récente militarisation en Haïti, la culture de la coca en progression de 27% sur les territoires colombiens contre une augmentation de 5% en Bolivie où l’accroissement de la culture est uniquement destiné à des infrastructures parallèles pour la chimie sont la manifestation de l’interposition américaine. Et le financement des bases militaires colombiennes sous tutelle américaine, qui dépasse de façon abyssale les besoins nécessaires à la lutte du narcotrafic, la preuve d’une organisation de la provocation par la violence.

Sentence

L’objectif de l’Empire est de lutter contre la fragmentation et de s’opposer à l’hydre de l’anarchie et de l’antirépression. La grille médiatique d’aujourd’hui est celle des possédants dévoilés comme « les nouveaux chiens de garde du système ». Pour Bourdieu : « L’information circule de manière circulaire ». Pour Chomsky : « le NED et l’Usaid opèrent une guerre propre », il s’agit « d’une police de la pensée qui s’installe », d’une référence à « la pensée unique dirigée vers le marché et qui devient le seul modèle d’aujourd’hui ».

Pour l’Empire, rien d’autre n’est possible que la gestion du capitalisme. Le pouvoir économique doit dominer le pouvoir politique. L’Amérique latine voit les choses autrement, de façon ferme et déterminée. Armé pour ce combat depuis Bolivar, le XXIe siècle du sous-continent est propice à l’antithèse et à la désobéissance. Même s’il s’agit de labourer la mer pour y arriver, le Révolution bolivarienne de Chavez n’en démordra pas

Muriel Knezek

(version modifiée le 6/8/2010)

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