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Haïti-Élections 2015 : La synarchie fin prête pour le chaos. Et le Peuple ?

«  Il faut prendre à César tout ce qui ne lui appartient pas »
(Paul Éluard)

« J’ai dû prendre cette décision pour rester digne de la confiance que vous avez placée en moi. Des malaises indicibles (venant de l’intérieur comme de l’extérieur), de plus en plus profonds s’installent et enrayent le fonctionnement normal de la machine électorale... » [1], tels sont les propos de Me Néhémy Joseph dans sa lettre de démission, en date du 30 septembre dernier, adressée aux représentants du secteur paysan qui l’avait désigné au Conseil Électoral Provisoire (CEP).

À ses collègues de l’institution électorale, il précise ceci : « ..., j’ai de plus en plus la conviction de terminer ma mission en me versant dans l’illégalité...Par rapport aux marges de manœuvre du CEP, comment peut-on être confiant dans la possibilité de bien atteindre ses objectifs quand on n’a pas le contrôle des moyens de sa politique ? » [2]

. Et s’adressant au Chef de l’État, il soutient : « Je n’ai plus la conviction de pouvoir réaliser convenablement la mission que la République m’a confiée... » [3]. Il lui rappelle aussi que « le pays a plus que jamais besoin d’élection inclusive et impartiale » [4].

Que, du même souffle, le conseiller démissionnaire formule le vœu de se faire remplacer «  afin de permettre au processus électoral de continuer son cours » [5], ne change rien à la réalité des choses, puisque ce processus, tel que ficelé d’avance, le conseiller Néhémy Joseph le juge non crédible, ne veut plus y être partie prenante, ne veut plus s’y associer, précisément à cause de la catastrophe électorale qui s’annonce.

Il nous semble significatif que le citoyen Néhémy Joseph ait présenté sa démission le jour même du 30 septembre, date anniversaire du sanglant coup d’État de 1991, - contre la démocratie haïtienne, - qui a renversé le premier gouvernement établi dans le pays sous l’égide de la Constitution de 1987, suite à des élections libres et démocratiques. Dans le sillage des événements extrêmement graves survenus lors des législatives du 9 août 2015 et dans le contexte d’un processus électoral qui, de plus en plus, se révèle être celui d’un CEP... aux ordres, la démission du citoyen Néhémy Joseph, en ce jour du 30 septembre, équivaut au refus de cautionner des élections dirigées contre l’expression de la souveraineté du peuple haïtien. Comme la communauté internationale intervient sans retenue au travers de ce processus en cours qui, de gré ou de force, devrait se terminer avant la fin de 2015, cette démission exprime aussi le refus d’un agent de l’État d’accomplir un acte contre la souveraineté nationale.

L’ironie de la situation, c’est qu’en ce même jour du 30 septembre 2015, d’autres acteurs sur la scène électorale, – et non des moindres, – parmi lesquels de nombreuses victimes assiégées du coup d’État de 1991, ont pris le contrepied de la courageuse position du conseiller électoral démissionnaire. En réalité, depuis l’inacceptable camouflet du 9 août à l’ensemble des secteurs patriotique et démocratique du pays, la stratégie de certains partis politiques et de leurs leaders ressemble étrangement à celle inaugurée sous la présidence de Dumarsais Estimé par des politiciens équilibristes : « une stratégie d’avancer dans deux directions opposées à la fois » [6]. C’est l’application assidue d’une telle stratégie qui fait, par exemple, qu’après 25 ans, nous gérons encore nos élections avec des Conseils électoraux provisoires, non autonomes, appuyés et renforcés par des « pays amis d’Haïti », – ce qui permet toutes les cooptations possibles. Les élections de 2010 desquelles le Président Martelly est sorti vainqueur en sont l’illustration vivante ! Mais, malgré ce que représentent, à l’évidence, les élections législatives du 9 août 2015 et tout ce qui s’en est suivi, c’est-à-dire, une répétition générale en prélude des élections présidentielles fixées au 25 octobre prochain, « on avance bon gré mal gré vers la présidentielle de cette fin d’année. Les véritables enjeux pour notre pays... Cette période de renouvellement du personnel politique nous offre, encore une fois, une nouvelle opportunité. Les forces démocratiques, progressistes et populaires auront-elles l’intelligence et sauront-elles trouver les ressources pour gagner cette énième bataille contre les forces conjuguées du statu quo. » [7]. C’est une incitation, on ne peut plus claire, à s’engager dans le processus en cours. On aurait dû dire, au moins, à tous ceux qu’on considère comme des ouailles, en quoi c’est une opportunité. Hélas !

Que va-t-il se passer le 25 octobre 2015 et les jours qui suivent ? Nous n’en savons rien ! Mais, à l’instar des acteurs sociaux sur le terrain, nous avons capté les signaux de plus en plus clairs émanant des instances décisionnelles internationales. Dans tout ce qui pourrait se passer à partir de la fin du mois d’octobre, une chose est certaine :

Cette fois-ci, les responsables du carnage électoral, annoncé sous couvert de « l’accompagnement donné à la police [qui] sera renforcé en vue d’une meilleure efficacité le jour du vote » [8], ne seront pas seulement le régime Tèt Kale et ses alliés internationaux, mais aussi les candidats à la présidence, leurs partis politiques et leurs leaders respectifs qui, de propos délibéré, envoient la population à la boucherie électorale. Ces derniers porteront cette responsabilité face à leur conscience, devant la Nation et devant l’Histoire.

Quels sont ces signaux ? D’abord, la synarchie locale, incluant évidemment les oligarques et les partis ou forces politiques liés au gouvernement, continuent de banaliser les contestations légitimes issues du « brigandage » du 9 août, ceci en écho à la position unanime d’appui au CEP et au Gouvernement haïtien, telle qu’affichée ouvertement par les représentants de la communauté internationale. Parallèlement, des éléments décisifs se mettent en place, comme nous l’invite à comprendre la visite conjointe au Département d’État du Premier Ministre haïtien, M. Évans Paul et du Chef de la Police Nationale d’Haïti, M. Godson Orelus en date du 17 septembre 2015. Il importe de noter ici que le Coordonnateur Spécial pour Haïti au State Department n’est autre que M. Kenneth Merten qui était en poste en Haïti à titre d’Ambassadeur lors des élections de 2010. De plus, le Conseil de Sécurité a confirmé que le mandat de la MINUSTAH sera renouvelé à son expiration le 15 octobre. En tenant compte des récentes interventions publiques de Madame Pamela White, Ambassadrice américaine, dans les jours précédant son départ du pays, concernant les centaines de millions de dollars que les États-Unis d’Amérique ont investis dans la Police Nationale, on peut comprendre que la synarchie haïtienne est fin prête pour faire face à toute éventualité dans le chaos.

Nous nous permettons de faire une pause ici, pour présenter un court extrait d’un entretien télévisé sur CBS 60 minutes, en mai 1996, de Madame Madeleine Allbright, à l’époque Secrétaire d’État américain. Le but n’est pas d’établir une quelconque comparaison, mais plutôt de contextualiser le processus en cours jusqu’à sa phase finale :

[Lesley Stahl : « Nous avons entendu dire que 500.000 enfants sont morts (en Irak). Ça fait plus qu’à Hiroshima. Et, vous savez, est-ce que cela en valait le prix ? »

Secrétaire d’État, Madeleine Allbright : « Je pense que c’est un choix difficile. Mais le prix, nous pensons que cela en valait le prix. »]

Voilà donc : 500 000 innocents sacrifiés ! Et le prix jugé raisonnable.

L’actuel Secrétaire d’État américain, M. John Kerry a fait une visite éclair en Haïti le 6 octobre 2015. Son trajet dans le pays : aéroport à l’arrivée – Palais National – aéroport pour le départ. Durée de la visite : environ 2 heures. La position américaine est réaffirmée : maintien du processus en cours jusqu’à la phase finale qui doit se terminer avant la fin de l’année 2015. Point ! Comme si l’année 2016, année électorale aux États-Unis, était réservée uniquement aux élections présidentielles américaines et que celles-ci ne devraient pas souffrir d’interférences à l’haïtienne ! Kerry était donc tout à fait à l’aise pour rappeler à notre classe politique la devise « l’Union fait la force ». Évidemment, il ne s’est trouvé personne du côté haïtien pour oser lui rappeler la déclaration attribuée à l’ancien président américain, Franklin Delano Roosevelt à l’égard d’Haïti : « Il faut constamment soulever les va-nu-pieds contre les gens à chaussures et mettre les gens à chaussures en état de s’entre-déchirer les uns les autres, c’est la seule façon pour nous d’avoir une prédominance continue sur ce pays de nègres qui a conquis son indépendance par les armes. Ce qui est un mauvais exemple pour les 28 millions de noirs d’Amérique. ».

Nos amis de la communauté internationale se sont positionnés à contretemps et à contresens de la volonté populaire. Pour perpétuer leur hégémonie, les dirigeants amis d’Haïti avancent à l’ombre des faux drapeaux de la démocratie, de la justice, de la morale et du droit. Ils diabolisent les peuples qui font obstacle à leurs ambitions en les reléguant dans la géhenne des États « préoccupants » ayant vocation à être dépecés en « entités démocratiques » à la mode de l’Oncle Sam. Dans les circonstances, on ne peut qu’espérer que les partis politiques et les leaders qui se sont engagés si profondément dans ce processus sachent tirer les conclusions qui s’imposent à l’égard des desseins politiques des grandes puissances occidentales, des pays dits « amis d’Haïti », ces desseins étant ceux d’une démocratie limitée, virtuelle, de façade, d’une "démocrature" au sens où l’a écrit Péres Esquivel, prix Nobel de la paix. L’absence d’un projet de société conforme aux aspirations du peuple, l’absence de direction politique claire et responsable ont semé le désarroi et provoqué la débandade dans les rangs des gens de bonne volonté. Division, méfiance, calomnie ont ralenti les initiatives, éteint les énergies et alimenté le désespoir.

Avec l’indulgence du lecteur, nous nous permettons une seconde pause pour présenter, cette fois, une courte tranche tragique de notre histoire :

« En août 1919, un bourgeois du nom de Jean-Baptiste Conzé, originaire de la Grande-rivière du Nord infiltra les rangs des cacos sous l’insistance du capitaine yankee Hermann H. Hanneken : « Moi, un bourgeois honnête de bonne famille, vous voulez que je me fasse caco ? – Bien sûr que oui, rétorqua le capitaine. Ne vous faites pas du souci. C’est pour la frime. Il vous sera donné tout ce dont vous avez besoin pour l’entreprise, et vous serez récompensé de 2.000 dollars pour vos services. Nous devons éliminer le chef des brigands et mettre un frein au vagabondage des cacos. » Suzy Castor rapporte que la délibération dura tard dans la nuit, et à la fin Conzé finit par adhérer au projet. Et... les aides noirs du capitaine Hanneken avaient accompli impeccablement leur sale boulot » [9].

Quelle est la différence entre les Conzé d’hier et ceux d’aujourd’hui ? Pour le moment, nous laissons à ces derniers le soin de la trouver eux-mêmes.

Oublier le passé voudrait tout simplement dire fermer les yeux sur le présent. Et ainsi compromettre notre avenir et celui de la postérité. NOUS N’AVONS PAS CE DROIT ! Nous ne pouvons pas nous payer ce luxe. Comme le disait Martin Luther King, « L’homme qui n’a pas quelque chose pour lequel il est prêt à mourir ne mérite pas de vivre ». Ce « quelque chose » pour nous Haïtiens, patriotes, démocrates, engagés continuellement dans la lutte du peuple haïtien, toujours à ses côtés, toujours dans le creuset de ses aspirations profondes, c’est d’abord de trouver les voies et moyens pour recouvrer notre part de souveraineté, pour récupérer notre part de dignité et sauvegarder les garde-fous de la Constitution de 1987. Autrement..., autrement, les mots « dignité », « démocratie », « souveraineté », répétés ad nauseam par des leaders à des fins qui leur sont propres demeureront toujours vides de sens.

Yvon Pierre
Doctorant Sociologie

»» http://AlterPresse,mardi20octobhttp://www.alterpresse.org/spip.php++cs_INTERRO++art...

[1] Néhémy Joseph, Lettre de démission au secteur paysan, Le Nouvelliste 2 oct. 2015
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/150663/Lettre-de-demiss...

[2] Id., Lettre de démission au CEP
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/150667/Jai-de-plus-en-p...

[3] Id., Lettre de démission au Président de la République
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/150668/Lettre-de-demiss...

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Jean Casimir, Ayiti Toma Haïti Chérie, Port-au-Prince, 2000, p. 114

[7] Claude Roumain, Le coup d’État permanent, Le Nouvelliste 28 sept. 2015
http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/150373/Le-coup-dEtat-permanent

[8] Frantz Duval, Kerry, Opont, Merten et Martelly doivent donner plus de garantie, Le Nouvelliste 6 oct. 2015. http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/150806/Kerry-Opont-Mert...

[9] Morisseau Lazarre, Il s’appelait François Borgia Charlemagne Péralte (5e partie)
https://moycorner.wordpress.com/2013/12/02/il-sappelait-francois-borgi...


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