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Irak, pour Robert Baer : « c’est toute la région qui pourrait s’embraser »

L’ancien chef de région de la CIA au Moyen-Orient, spécialiste des relations internationales et de la politique étrangère états-unienne, décrypte l’offensive fulgurante de l’État islamique en Irak et au Levant.

HD. Que sait-on de ce groupe terroriste, l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) ?

ROBERT BAER. Avant tout, il est essentiel de comprendre qu’il y a une rupture générationnelle au sein de la population sunnite irakienne, due au fait que les vieux sunnites issus du parti Baas et les chefs tribaux n’ont strictement rien obtenu du gouvernement chiite. Donc, les jeunes chefs tribaux se sont rangés derrière ce nouveau groupe, l’EIIL. Il constitue une sorte d’avant-garde ultraviolente des sunnites. Le soulèvement qui a eu lieu dans la province d’Anbar et à Mossoul a été largement soutenu par la population. Il ne faut pas perdre de vue que les sunnites ont été absolument dévastés par ce qui s’est produit en 2003 – l’invasion américaine, la dissolution de l’armée irakienne – et ils ripostent comme ils le peuvent.

HD. Au-delà de ce soutien local, ont-ils des relais extérieurs, par exemple en Arabie saoudite ou en Turquie ?

R. B. Ce qui est certain, c’est que des donateurs privés en Arabie saoudite leur envoient de l’argent. Maintenant, prouver que le prince Bandar (Bandar ben Sultan ben Abdelaziz Al Saoud est un membre de la famille royale saoudienne – NDLR) ou un autre les appuie, c’est une autre histoire. Quant à la Turquie, elle a aidé EIIL à s’infiltrer en Syrie mais je ne sais pas si c’est allé au-delà.

HD. Comment une milice peut-elle prendre Mossoul, une ville de 2 millions d’habitants ?

R. B. Personne n’a jamais été en mesure de réellement contrôler Mossoul. Même lorsque j’étais en Irak du temps de Saddam Hussein, dans les années 1990, lui-même n’avait pratiquement pas de prise sur la ville. Les bâtiments stratégiques pouvaient être défendus par ses troupes mais Mossoul a toujours été une ville rebelle. Ensuite, l’armée irakienne actuelle n’existe que sur le papier. Les milliards de dollars censés avoir été investis dans son entraînement ont été détournés. Et les sunnites attendaient simplement leur heure, qui a fini par arriver lorsque les États-Unis se sont retirés d’Irak en 2011. Je crois vraiment qu’il ne faut pas regarder la situation en Irak comme un simple problème terroriste : c’est un soulèvement sunnite.

HD. Certains dans le camp républicain accusent Obama d’être responsable de ce fiasco...

R. B. C’est tellement stupide... Ces critiques viennent des néoconservateurs, les mêmes qui nous expliquent en ce moment à la télévision que nous devrions revenir en Irak. La faille s’est produite au moment où les néoconservateurs ont décidé de dissoudre l’armée irakienne au mois de mars 2003. C’était l’armée qui maintenait une forme de cohésion en Irak. La détruire signifiait de manière quasi certaine la partition, les émeutes, le chaos, la guerre civile. D’autres reprochent à Obama de ne pas être intervenu en Syrie, ce qui serait la cause de l’embrasement en Irak. Mais les États-Unis ont été incapables d’identifier le moindre groupe syrien dit « modéré » lorsque la guerre civile a débuté. L’Armée syrienne libre n’a jamais vraiment existé et il était impossible de savoir dans quelles mains les armes données par les États-Unis allaient finir. La racine du mal remonte bien à 2003, lorsque les États-Unis ont adopté cette doctrine du « changement de régime » par la force au Moyen-Orient. Elle n’a conduit qu’à la guerre civile et sectaire.

HD. L’opposition syrienne ne cesse d’affirmer que l’EIIL est en quelque sorte une création du régime syrien...

R. B. C’est tout simplement délirant. Ces gens sont guidés par le Coran et le divin, ce sont de vrais fanatiques.

HD. Pensez-vous que les néoconservateurs se réjouissent de la division de l’Irak ? Après tout, c’était clairement leur objectif...

R. B. Je pense qu’ils n’en sont pas mécontents, puisque cela leur permet de camoufler leur propre échec et de prétendre que tout allait bien jusqu’au retrait américain. C’est évidemment lié aux échéances électorales américaines. Les divisions politiques sont terribles, en particulier sur le Moyen-Orient.

HD. Est-il imaginable que les États-Unis et l’Iran coopèrent sur le dossier irakien ?

R. B. Si la guerre civile arrive jusqu’à Bagdad et que les Iraniens envoient des troupes en soutien, il y aura nécessairement une forme de coopération. La situation peut échapper à tout contrôle. Imaginez par exemple qu’un lieu saint du chiisme soit détruit par l’EIIL, et qu’une action militaire en représailles fasse beaucoup de morts dans le camp sunnite : c’est toute la région qui pourrait s’embraser. En quelque sorte, ce serait la désintégration finale de ce qui reste de l’Empire ottoman, et ça ne sera pas joli à voir.

 http://www.humanite.fr/irak-pour-robert-baer-cest-toute-la-region-qui-pourrait-sembraser-545206
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COMMENTAIRES  

25/06/2014 14:57 par Dominique

Il ne faut pas oublier que la situation actuelle permet aux marchands d’armes de vendre des armes et aux USA d’économiser le prix d’une guerre, ceci alors que les parties en conflit ont tout intérêt à faire marcher la pompe à pétrole à fond, car c’est ainsi qu’elles peuvent espérer acheter plus d’armes que leurs concurrents.

Sur l’EIIL, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une branche d’Al-Qaïda, et que par conséquent tout ce que fait l’EIIL est recommandé ou autorisé si non supervisé par la CIA. Cette offensive en Irak de l’EIIL arrive comme par hasard juste après deux déclarations d’Obama, une où il s’en prend au manque de soutien à la guerre contre la Syrie de Bachard el Assad, l’autre où il demande à Al Quaïda de renvoyer l’EIIL en Irak car celle-ci est trop violente en Syrie, et de remplacer l’EIIL en Syrie pour des islamistes modérés avec qui les USA puissent discuter. Je suis étonné que l’ancien chef de la CIA au Moyen-Orient ne sache pas cela...

25/06/2014 16:31 par desobeissant

Nouvelles fragiles des fronts fragiles :

Ukraine : une intervention militaire de l’Otan impossible (Berlin)

http://fr.ria.ru/world/20140625/201627437.html

14:43 25/06/2014

L’Otan ne peut pas intervenir militairement en Ukraine, et les Ukrainiens eux-mêmes ne pensent pas que ce soit le meilleur moyen de régler la crise dans leur pays, estime le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier.

L’Otan ne peut pas intervenir militairement en Ukraine, et les Ukrainiens eux-mêmes ne pensent pas que ce soit le meilleur moyen de régler la crise dans leur pays, estime le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier.

"Vous savez que l’Ukraine n’est pas un pays de l’Otan. Nous ne pouvons pas utiliser directement les méthodes militaires pour parvenir à nos fins. Mais ce n’est pas un signe de faiblesse. Les Ukrainiens eux-mêmes se montrent critiques envers le règlement militaire de cette crise", a déclaré M.Steinmeier aux journalistes avant une réunion des chefs de diplomatie des pays membres de l’Alliance.

Il a dans le même temps souligné que l’Otan pouvait influer sur la situation en révisant ses relations avec la Russie.

"Nous avons déclaré que suite au rattachement de la Crimée au mépris des normes internationales, les choses ne pouvaient plus aller comme avant. Aussi, les liens traditionnels entre l’Otan et la Russie sont-ils suspendus", a indiqué le ministre allemand.

Selon lui, la proposition du président Vladimir Poutine de demander au parlement d’abroger le décret autorisant l’utilisation des troupes russes en Ukraine constituait une "bonne nouvelle".

"Cependant, compte tenu des événements qui ont suivi, à savoir la destruction d’un hélicoptère et la mort de neuf personnes qui se trouvaient à bord, nous voyons combien la situation est fragile", a conclu M.Steinmeier.

Pologne, le zloty tremble en attendant le debat a la Chambre apres le scandale des ecoutes :

Zloty Tumbles As Polish PM Calls Vote Of Confidence After Leaked Recordings Scandal

Submitted by Tyler Durden on 06/25/2014 09:41 -0400

http://www.zerohedge.com/news/2014-06-25/zloty-tumbles-polish-pm-calls-vote-confidence-after-leaked-recordings-scandal

La démocratie et la débâcle en Irak

Par Joseph Kishore
25 juin 2014

Au cours des deux dernières semaines, le gouvernement Obama et les hautes sphères de la politique étrangère aux États-Unis ont agi rapidement pour exploiter la crise en Irak et intensifier les opérations militaires dans tout le Moyen-Orient. Des centaines de « conseillers » militaires américains sont de retour en Irak et la classe dirigeante américaine prévoit des frappes aériennes contre la Syrie et des manœuvres pour saper la position de l’Iran.

La propagande émanant de l’élite politique, reprise sans aucune critique par les médias, est à vomir de cynisme et d’hypocrisie. Si elles sont divisées sur les tactiques pour parvenir à la domination mondiale, les différentes factions de l’Etat et de l’appareil militaire sont unies sur au moins une chose : elles ne se reconnaissent de responsabilité pour rien du tout.

Le ministre des Affaires étrangères d’Obama, John Kerry, envoyé au Moyen-Orient pour comploter avec les alliés des États-Unis et menacer leurs adversaires, a résumé le sentiment général quand il a déclaré dans une conférence de presse au Caire (où il a rencontré le dictateur Égyptien Abdel Fattah al-Sisi que les Etats-Unis soutiennent) : « Les États-Unis d’Amérique ne sont pas responsables de ce qui s’est passé en Libye, ni ne sont responsables de ce qui se passe maintenant en Irak. »

D’après l’interprétation de l’histoire par Kerry, l’armée américaine « a versé son sang et travaillé dur pendant des années pour que les irakiens aient leur propre gouvernance. » Pendant que les États-Unis promouvaient la démocratie de manière désintéressée, l’État islamique d’Irak et du levant (EIIL) aurait « passé la frontière depuis la Syrie. »
L’EIIL, toujours d’après Kerry, « a attaqué des communautés et ce sont eux qui sont passés à l’action pour bloquer la capacité de l’Irak à avoir la gouvernance qu’il veut. »

Comme toujours, les responsables du gouvernement américain parlent comme si personne ne savait rien et comme s’ils pouvaient lancer des mensonges éhontés sans conséquences. Mais la version des faits présentée par Kerry est contredite par des faits qui sont même parvenus jusque dans la couverture médiatique des événements.
Premièrement, si les États-Unis ont peut-être été pris par surprise par la rapidité avec laquelle l’État irakien s’est désintégré au cours des semaines passées, l’EIIL ne leur est pas du tout étrangère. Ce groupe fondamentaliste islamique a reçu des financements de la part des États-Unis et de leurs alliés autocratiques du Golfe persique dans le cadre de la rébellion aidée par les impérialistes contre le président Bashar el-Assad en Syrie. Une fois de plus, les États-Unis récoltent ce qu’ils ont semé.

De plus, l’avancée de l’EIIL en Irak est certainement vue par une partie de la classe dirigeante américaine (et israélienne) comme un développement positif dans la mesure où elle sape l’influence que l’Iran exerce sur le gouvernement de l’Irak et sur son Premier ministre actuel, Nouri al-Maliki.

En dépit des protestations de Kerry, il est bien compris dans le monde entier que les États-Unis sont les principaux responsables de cette catastrophe qui menace de plonger toute la région dans une guerre civile généralisée.

L’absence complète de toute responsabilité quant aux crimes de l’impérialisme américain a été particulièrement mise en évidence la semaine dernière avec le retour en politique de l’ex-vice président Dick Cheney, le cerveau criminel qui était derrière la politique étrangère du gouvernement Bush.

Cheney est apparu dimanche dans l’émission de la chaîne ABC This Week with George Stephanopoulos pour faire de l’agitation en faveur d’une nouvelle invasion de l’Irak. Critiquant le gouvernement Obama qui n’agissait pas assez rapidement à son goût, Cheney a déclaré, « quand on se dispute à propos de 300 consultants alors que la demande était de 20 000 pour faire le boulot correctement, je ne suis pas sûr que nous ayons réellement réglé le problème. ».....

http://www.wsws.org/fr/articles/2014/jui2014/irak-j25.shtml

Cheney comme le Pentagone, craignent plus que tout ?,que le fragile royaume de Jordanie (sunnite) ne soit contaminé par la guerre qui est a sa porte...alors que plus de 60% d’americains refusent toute nouvelle
intervention.

25/06/2014 17:26 par Archer Gabrielle

Pour ceux qui s’obstinent à vivre pour l’argent et dans le matériel, il sera trop tard pour revenir sur la voie du partage de la paix et de l’amour...
C.CS.... mai 2014
"Les peuples ont commencés à faire changer de voie à la civilisation actuelle qui à cause du pouvoir de l’argent sale des népotiques capitalistes et dictateurs impérialistes à pris la mauvaise direction"
C.C.S..... lundi 22 août 2011

26/06/2014 23:55 par Peuimporte

Pour un ancien de la CIA, M. Baer semble vraiment avoir perdu la main. Alors comme ça, il parle encore d’ « Empire Ottoman », et dit ne pas savoir jusqu’où la Turquie est allée !? C’est peut-être parce que :

After Opening Way to Rebels, Turkey Is Paying Heavy Price : 26/06/2014
http://www.nytimes.com/2014/06/25/world/europe/after-opening-way-to-rebels-turkey-is-paying-heavy-price.html?nl=todaysheadlines&emc=edit_ae_20140625&_r=0

Et aussi, parce que :

« A Strategy for Israel in the Nineteen Eighties » by Oded Yinon (with a foreword by, and translated by Israel Shahak), 13 juin 1982. Voir, version française résumée sur :
http://www.entrefilets.com/destabilisation_syrienne.htm#sthash.pVdTXPXH.dpuf, ou,
http://www.entrefilets.com/destabilisation_syrienne.htm
Extrait :
Stratégie pour Israël dans les années 80 : "Tout conflit à l’intérieur du monde arabe nous est bénéfique à court terme et précipite le moment où l’Irak se divisera en fonction de ses communautés religieuses, comme la Syrie et le Liban. En Irak, une distribution en provinces, selon les ethnies et les religions, peut se faire de la même manière qu’en Syrie du temps de la domination ottomane. Trois Etats -ou davantage- se constitueront autour des trois villes principales : Bassorah, Bagdad et Mossoul ; et les régions chiites du sud se sépareront des sunnites et des kurdes du Nord… Il faut désormais disperser les populations, c’est un impératif stratégique. Faute de cela, nous ne pouvons survivre, quelles que soient les frontières... etc... etc..." et surtout, il faut démanteler les 3 armées : irakienne, égyptienne, et syrienne !

Le gouvernement turc, n’avait pas prévu que tous les États-nation de la région sont dans le collimateur… dont la Turquie ! C’est en effet cher payer, mais certainement pas autant que les Irakiens, les Syriens, les Palestiniens… On a les alliés qu’on mérite ! Mais Bob ne sait pas... Il analyse à froid ! Bob aurait mieux fait de rechausser ses skis. Il patinerait moins question propagande sectaire.

28/06/2014 20:09 par Vagabond

J’espère que la réalité n’existe pas...

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