La loi 133, présentée en juin et approuvée en août dans l’indifférence quasi totale, prévoit deux dispositions extrêmement lourdes de conséquences pour l’université et la recherche : la réduction de 10% de l’organigramme des instituts de recherche, et l’arrêt quasi-total des embauches dans les universités pour les années à venir (un nouvel embauché pour cinq départs à la retraite), avec, parallèlement, la diminution des financements. Ce sont des dispositions terriblement préoccupantes. L’Italie est actuellement la lanterne rouge de l’Europe pour les activités de recherche et de développement. Le pourcentage de ces activités, par rapport au PIB, est d’un petit 1%, face à une moyenne européenne d’un large 2%.
Le maigre investissement de l’Italie dans ce secteur est encore plus grave si on le compare à celui, nettement supérieur, des pays asiatiques émergents, en particulier de la Chine. Ce pays est souvent vu comme un danger parce qu’il produit des biens de consommation courante à bas prix, faisant ainsi concurrence à l’industrie italienne ; à l’heure actuelle, ceci n’est pas vrai car notre industrie tend à couvrir un secteur de qualité plus élevée. Cependant, si les rapports d’investissements actuels restent constants dans les années qui viennent, nous pouvons tranquillement prévoir un dépassement par la Chine dans les secteurs technologiquement avancés aussi, ce qui ne laissera que peu de place même aux activités industrielles de pointe.
Cela n’a aucun sens non plus d’argumenter qu’il faut réduire ces dépenses à cause de la crise économique. Au contraire justement, la crise requiert un plus grand investissement de l’Etat, et il est bien connu que les investissements en recherche et développement sont les plus efficaces. Non seulement le gouvernement va dans la direction erronée, mais, ce qui est pire, il effectue des suppressions indiscriminées, indépendamment des nécessités réelles des instituts de recherches et des universités. Faire des coupes dans tout un secteur avec la même proportion pour chacune de ses composantes est le contraire de gouverner : c’est une incapacité irresponsable de faire des choix. Ce comportement de nos gouvernant me rappelle de façon irrésistible une stigmatisation par un personnage de la BD Dilbert sur Linus : « une coupe de 10% du budget d’un projet, c’est le pourcentage classique qu’on dégaine sans même avoir pensé aux termes du problème, en partant du constat que tout peut être amputé de 10% sans empirer le résultat final ».
En réalité, au contraire, ces coupes indiscriminées empirent gravement la situation en tant qu’elles empêchent les nouvelles générations de remplacer ceux qui partiront à la retraite dans les prochaines années, provoquant ainsi une perte nette pour le pays et un dommage injuste pour les jeunes chercheurs. Je ne me fais pas de souci pour les rares « hors classe », les chercheurs de qualité exceptionnelle : ceux-là trouveront toujours un poste, et ils réussiront à faire carrière même en Italie, à moins qu’ils ne décident d’accepter les offres plus alléchantes de prestigieux instituts étrangers. Je me fais du souci pour les milliers d’étudiants nettement supérieurs à la moyenne, qui espèrent trouver une place en Italie digne de leur valeur. Mais le gouvernement a détruit leur perspective d’embauche, et s’ils veulent continuer à faire leur métier ils devront forcément émigrer.
Ces dispositions, donc, en plus d’être anti-économiques, sont carrément en opposition avec l’énoncé de notre belle Constitution, qui aborde de façon récurrente le thème de la recherche scientifique. Tout le monde connaît l’article 33 : « L’art et la science sont libres et libre en est leur enseignement » : la science est placée à côté de l’art, et on en proclame la liberté. Moins connu peut-être l’article 9, qui appartient au groupe des 13 premiers articles, qui recensent les principes fondamentaux. Cet article affirme que « la République favorise le développement de la culture et la recherche scientifique et technique (« Elle protège le paysage et les biens historiques et artistiques de la Nation », NdT). La recherche scientifique est vue ici comme un bien primaire, à poursuivre pour son intérêt culturel, et non pour ses retombées économiques ; et même, parmi les principes fondamentaux, il n’est pas dit que la République a le devoir de promouvoir le développement économique. Pour conclure, je voudrais rappeler l’article 4 : « La République reconnaît à tous les citoyens le droit au travail et crée les conditions qui rendent ce droit effectif. Tout citoyen a le devoir d’exercer, selon ses propres possibilités et son choix, une activité ou une fonction qui contribue au progrès matériel ou spirituel de la société ». L’Etat a ainsi le devoir de permettre aux citoyens doués de talent pour la recherche d’effectuer cette activité sur la base de leurs capacités.
Je suis fermement convaincu que la démocratie réelle d’un système politique se mesure à l’aune des opportunités concrètes qu’il est en mesure d’offrir à ses concitoyens, et à la possibilité qui est consentie à chacun de se confronter avec de telles opportunités. Il faut absolument éviter que dans les carrières universitaires et de recherche il n’y ait des générations fortement désavantagées à cause de choix arbitraires. Avec les dispositions de la loi 133, les jeunes talents nés il y a trente - quarante ans ont leur possibilité d’accès à la recherche et à la carrière universitaire barrée, et ceci bien qu’ils soient très capables de donner d’importantes contributions innovatrices. De ce fait, on porte atteinte de façon irrémédiable au principe d’égalité et au droit que doivent avoir tous les jeunes, quelle que soit leur date de naissance fortuite, de réaliser leurs choix, si ceux ci sont proportionnels à leurs capacités. Embaucher de nouveaux chercheurs sur la base de leur mérite, à travers de justes concours, en utilisant avec la plus grande urgence les ressources mises à disposition, et en en trouvant de nouvelles, est une nécessité vitale pour garantir l’avenir de notre pays dans un monde qui doit faire face à de graves urgences planétaires ; mais c’est aussi une obligation constitutionnelle, si nous voulons que notre Loi fondamentale ne reste pas lettre morte.
Le directeur de l’Ecole Normale Supérieure, Salvatore Settis, écrivait récemment qu’un pays qui oblige ses jeunes talents à émigrer détruit son propre avenir. Les étudiants ont très bien compris quel est l’enjeu, et ils sont descendus dans la rue, ils ont occupé les universités, ils ont organisé des cours sur les places publiques. Ils défendent leur avenir, et les enseignants ne peuvent qu’être avec eux.
Giorgio Parisi
Physicien (physique théorique), professeur et membre de la National Academy of Sciences.
Edition de mardi 28 octobre 2008 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/28-Ottobre-2008/art3.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio