Des avocats ont intenté une action en justice à Quito, en Équateur, pour obtenir un jugement contre la menace du gouvernement équatorien de retirer son asile politique à Julian Assange, rédacteur en chef de WikiLeaks, et de l’expulser de son ambassade à Londres, à moins qu’il ne se conforme à de nouvelles conditions décrites dans un « Protocole spécial ».
L’intensification de la persécution d’Assange survient après près de sept mois au cours desquels l’Équateur l’a empêché de recevoir des visiteurs en dehors de ses représentants juridiques et lui a refusé le droit de communiquer par Internet ou par téléphone, même avec ses enfants et ses parents. Assange est maintenant confiné dans la petite ambassade, sans accès direct au soleil, depuis plus de six ans.
Le gouvernement britannique a menacé de l’arrêter s’il sortait de l’ambassade et a refusé de donner la garantie qu’il ne serait pas extradé aux États-Unis. Les autorités américaines ont poursuivi Assange sans relâche pour son rôle important et courageux dans la publication par WikiLeaks d’informations révélant des crimes de guerre, des abus de pouvoir, des activités de renseignement et d’espionnage, des complots, des intrigues diplomatiques et la corruption officielle.
L’Équateur, qui avait fourni l’asile à Assange le 19 juin 2012, s’est retourné contre lui après l’entrée en fonction du président actuel Lenín Moreno en 2017. Dans le cadre de ses efforts vénaux pour rétablir les relations avec les États-Unis, Moreno a ordonné que toutes les communications d’Assange soient coupées le 28 mars pour l’empêcher de s’opposer publiquement aux actions antidémocratiques des États-Unis et d’autres gouvernements. Assange a été réduit au silence un jour après des réunions au plus haut niveau entre des commandants et des responsables militaires équatoriens et américains.
L’avocat de WikiLeaks, Baltasar Garzon, a donné une conférence de presse en espagnol à Quito le 19 octobre pour annoncer le procès intenté contre le gouvernement de Moreno. Un communiqué de presse en langue anglaise publié le même jour par WikiLeaks détaillait la portée des nouvelles conditions draconiennes qui seront imposées à Assange :
« Le protocole rend l’asile politique d’Assange conditionnelle à la censure de sa liberté d’opinion, de parole et d’association. Le protocole exige également des journalistes, de ses avocats et de toute autre personne cherchant à voir Julian Assange de divulguer à l’Équateur des détails privés ou politiques tels que leurs noms d’utilisateur de médias sociaux, les numéros de série et les codes IMEI de leurs téléphones et de leurs tablettes – informations qui, selon le protocole, peuvent “être partagées avec d’autres agences par le gouvernement’’. Selon le protocole, l’ambassade pourrait saisir, sans mandat, les biens de M. Assange ou de ses visiteurs et les remettre aux autorités britanniques ».
Assange devra assumer ses propres frais, y compris la nourriture et l’utilisation d’Internet. Le protocole stipule qu’il subit un examen médical tous les trois mois, à ses propres frais, et indique que les médecins peuvent recommander son renvoi de l’ambassade s’ils estiment qu’il nécessite un traitement urgent. En raison de son incapacité à recevoir des soins adéquats en toute sécurité, Assange souffre de problèmes d’épaule et de problèmes dentaires bien documentés, et souffre des conséquences du manque de lumière naturelle et de l’air frais pendant si longtemps.
À ces conditions, l’Équateur a proposé de continuer à fournir l’asile et à restaurer partiellement la capacité de communication d’Assange le 1er décembre, mais à condition qu’il n’exprime rien qui peut être considéré par le gouvernement de Moreno comme une « ingérence » dans la les « affaires politiques » d’autres pays. En d’autres termes, un journaliste et rédacteur en chef d’une organisation de médias d’avant-garde qui a été forcé de demander l’asile politique se verra en réalité interdit d’exprimer toute opinion sur n’importe quel gouvernement dans le monde. S’il le fait, il sera livré à ses persécuteurs. Les conditions impliquent également que toutes ses communications, même privées, seraient surveillées, enregistrées et partagées avec les services de renseignement américains, britanniques et autres.
Le gouvernement équatorien a imposé ces conditions pour fabriquer un prétexte pour expulser Assange. Dans le même temps, des efforts sont en cours pour priver Assange, citoyen australien, de la double nationalité équatorienne octroyée par l’ancien gouvernement.
Ces actions constituent une réponse claire aux demandes accrues de la part de l’establishment américain que l’Équateur leur livre Assange. La semaine dernière, le démocrate au Congrès Eliot Engel et la républicaine Ileana Ros-Lehtinen ont adressé une lettre conjointe des deux partis à Moreno qualifiant Assange de « criminel dangereux et de menace pour la sécurité mondiale » qui « devrait être traduit en justice ». Selon la lettre : « À de nombreuses reprises, M. Assange a compromis la sécurité nationale des États-Unis. Il l’a fait en publiant publiquement des documents gouvernementaux classifiés ainsi que des documents confidentiels émanant de personnes liées à l’élection présidentielle de 2016 dans notre pays ». La lettre indique que des relations plus étroites avec les États-Unis sont conditionnelles à l’expulsion du fondateur de Wikileaks de l’ambassade de Londres.
L’enquête du procureur spécial et ancien directeur du FBI, Robert Mueller, sur une prétendue « collusion » et « ingérence russe » lors de l’élection de 2016 a cherché à impliquer WikiLeaks et Assange dans les affirmations sans fondement voulant qu’Hillary Clinton aurait perdu contre Donald Trump en raison d’un perfide complot organisé à Moscou.
La prétendue preuve de collusion entre WikiLeaks et les services de renseignement russes est la publication de courriers électroniques envoyés par le Comité national démocrate (DNC). Wikileaks a commencé à publier les courriels du DNC le 22 juillet 2016, à la veille de la convention du Parti démocrate, exposant le fait que le camp de Clinton avait cherché à saper la campagne de Bernie Sanders lors des primaires du parti.
Devant l’indignation des millions de personnes qui avaient soutenu Sanders en tant que candidat « de gauche » contre Clinton, de hauts responsables du DNC ont été contraints de démissionner en disgrâce après avoir tenté de manipuler le résultat. Plus tard, en octobre 2016, WikiLeaks a également publié des courriels provenant du directeur de la campagne de Clinton, John Podesta, qui éclairaient davantage le caractère militariste de droite de sa politique et de sa campagne.
WikiLeaks ne révèle pas ses sources, mais Assange a déclaré publiquement que les fuites du DNC et de Podesta ne provenaient pas de pirates informatiques travaillant pour le renseignement russe. Il a d’abord révélé que WikiLeaks disposait d’informations sur la campagne de Clinton dans une interview accordée aux médias le 12 juin 2016 – bien plus d’un mois avant l’envoi d’un courriel par un pirate informatique douteux, Guccifer 2.0, le 14 juillet, censé donner accès à une archive de messages du Parti démocrate. L’ancien lanceur d’alerte britannique, Craig Murray, a déclaré qu’il avait été informé que les données publiées par WikiLeaks lui avaient été fournies plus tôt par des employés mécontents du DNC, scandalisés par les actions antidémocratiques de ses dirigeants et de la campagne Clinton.
L’enquête Mueller a néanmoins continué à donner du crédit à l’allégation selon laquelle WikiLeaks aurait comploté avec des agents des services de renseignement russes travaillant pour la campagne Trump afin d’obtenir et de publier les informations ayant nui à Clinton. Le rapport final, qui devrait être publié après les élections législatives du 6 novembre prochain, pourrait fournir le prétexte pour demander l’extradition d’Assange.
La persécution de Julian Assange est l’un des exemples les plus flagrants de la censure naissante d’Internet et des efforts déployés pour faire taire tous les médias indépendants et critiques. Les défenseurs des droits démocratiques et de la liberté d’expression doivent utiliser tous les forums disponibles pour réclamer sa liberté immédiate et inconditionnelle et dénoncer la multitude de calomnies et de mensonges continuellement répandus à propos de WikiLeaks et de son fondateur.
James Cogan
(Article paru en anglais le 22 octobre 2018)