Salaire brut, salaire net

J’ai entendu ce qui suit au journal de France 2 de 13 h présenté par Marie-Sophie Lacarrau :

C’est une bonne nouvelle pour les salariés de cette entreprise. Ce mois-ci, une ligne disparaît sur leur fiche de paie : les cotisations pour l’assurance chômage, qui représentait une ponction de 0,95% sur le salaire brut. Un gain de pouvoir d’achat. La centaine de salariés découvre la nouveauté, accompagnée d’une note explicative de leur employeur, pour leur permettre de mieux déchiffrer leur bulletin de salaire. "J’ai une différence de 40 euros, je suis ravi de voir que j’ai un peu plus d’argent sur ma fiche de paie à la fin du mois", explique Hugo Benoit, l’un des salariés de l’entreprise. Une hausse de salaire qui peut varier d’une dizaine à une centaine d’euros selon le poste occupé.

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron pour doper le pouvoir d’achat des Français, la fin des cotisations salariales s’est faite en deux temps. Les cotisations pour l’assurance maladie avaient disparu en janvier, celles concernant l’assurance chômage sont supprimées au mois d’octobre. En France, le revenu net de tous les salariés va augmenter, avant un prochain bouleversement sur la fiche de paie, avec la mise en place du prélèvement à la source, dès le 1er janvier 2019.

J’avais abordé ce sujet le 1er octobre, lors de l’annonce de la suppression de cette cotisation. Et j’en disais déjà ceci :

"Comment un journaliste peut-il prononcer une telle phrase sans se poser de questions, sans regimber, sans envoyer paître son rédacteur en chef ?

Remarque 1. La cotisation chômage n’est pas une indemnité de guerre versée à un pays ennemi qui s’appelle Assurance chômage. La vocation de la cotisation chômage n’est pas de disparaître dans un trou sans fond mais de revenir au salarié lorsque celui-ci perd son emploi.

Remarque 2. Du fait que la cotisation chômage repose sur le principe de la mutualisation, la somme que touche le salarié devenu chômeur est très supérieure à ces 14 euros mensuels. C’est le principe même de la mutualisation : être un grand nombre à payer de façon modique pour permettre au petit nombre de ceux qui sont frappés par le malheur d’obtenir bien plus qu’ils n’auraient pu obtenir avec leur épargne. Du coup, si la cotisation disparaît, l’indemnisation disparaît aussi. Où est alors l’avantage, pour le salarié d’avoir 14 euros de plus sur sa fiche de paye mensuelle (ce qui représente 50 centimes par jour, une demi-baguette...) si, le premier mois où il tombe au chômage... il touche zéro euro ?

Remarque 3. C’est ce qui risque de se passer si la disparition de cette cotisation n’est pas compensée par une autre rentrée d’argent. Or d’où peut venir cette rentrée : de l’ISF ? Il a été supprimé. Des tranches supérieures de l’impôt sur le revenu ? Leur taux a été fortement diminué. De l’impôt sur les sociétés ? Il est raboté. De la chasse efficace à la fraude et à l’évasion fiscales (de 60 à 80 milliards d’euros) ? On peut toujours rêver...

Remarque 4. Si l’indemnisation chômage ne passe pas à la trappe, c’est que son financement aura été compensé par autre chose. Mais si on ne ponctionne ni les hauts revenus ni les sociétés, sur qui reposera le financement ? Sur ce qui reste : sur les salariés et sur les retraités, et essentiellement sur ceux qui figurent dans les 9 premiers déciles des revenus, c’est-à-dire sur à peu près tout le monde (en dehors des riches). Ce financement viendra de l’augmentation de taxes directes et indirectes, fiscales et parafiscales (sur la TVA, le gaz, l’essence, la CSG - impôt proportionnel, donc injuste - etc.) dont la diversité et le nombre sont tels qu’il sera difficile pour le salarié d’établir le solde entre la disparition de sa cotisation chômage, d’une part, et l’augmentation de tout le reste, d’autre part. Mais on ne perdrait pas grand chose à parier que ce solde sera négatif...

Remarque 5. Si l’indemnisation des chômeurs ne passe plus par la cotisation, cela veut dire qu’elle sera décorrélée du salaire (et ne sera donc plus considérée comme partie intégrante de celui-ci). Elle pourra être fiscalisée ou versée comme une aide (une charité...), mais on habituera les salariés à la dissocier de leur paye, à ne plus la considérer comme un droit indissociable attaché à leur statut. On leur mettra dans la tête qu’elle n’a qu’un caractère précaire et qu’elle peut être "avantageusement" remplacée par une assurance privée facultative. Bien plus chère, cela va sans dire..."
Je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai dit, sauf que les journalistes aggravent leur cas en disant : Assurance-chômage : la fin des cotisations fait augmenter les salaires. [Et en explicitant, un peu plus loin : tous les salariés vont voir leur revenu net augmenter].
Remarque 6. Non ! Le salaire perçu par le salarié n’est pas le salaire net, c’est le salaire brut (c’est-à-dire celui qui comprend les cotisations destinées à la retraite, à la santé, au chômage et aux prestations sociales - par exemples les allocations familiales). C’est cette somme, versée par l’employeur, qui constitue un salaire différé (je souligne) que le salarié perçoit (je souligne encore) quand il est malade, quand il a des enfants, quand il tombe au chômage, quand il bénéficie de sa retraite. Dans les pays (montrés en exemple par la droite, le patronat et les ultralibéraux) où ces cotisations ne sont ni obligatoires, ni d’un niveau convenable ni perçues par un organisme public, (je souligne toujours) le salarié qui cesse de travailler - parce qu’il est malade, au chômage ou à la retraite - soit n’a plus que ses yeux pour pleurer, soit doit cotiser à des caisses d’assurances privées (je souligne derechef) qui lui coûtent l’épiderme du bas du dos...

Remarque 7. Depuis ma précédente chronique est intervenue la déclaration de Jean-Luc Mélenchon (qui lui a valu bien des attaques) selon lequel les journalistes du service public seraient des "abrutis". Dans la mesure où je n’ai entendu sur aucune des chaînes du service public (radio comme télévision) un seul journaliste dénoncer – ou même seulement relever – l’entourloupe qui consiste à présenter une baisse du salaire brut comme une "bonne nouvelle" [sic] pour les salariés, ne peut-on être tenté de lui donner raison ? A moins que les journalistes n’aient à ce point intégré l’idéologie des classes dominantes qu’ils ne s’en rendent même plus compte...

Remarque 8. Cette façon mirifique de présenter une manœuvre de bas étage contre les salariés (en pariant sur leur naïveté ou sur leur manque de jugeote) me rappelle un apologue rapporté par mon livre de philo : "A l’occasion du 2e anniversaire d’un bambin, la famille invite un arrière-grand-père à la fois très riche et très avare, en se demandant ce qu’il va offrir à son lointain descendant. L’aïeul s’assied face à l’enfant et, à la stupéfaction générale, sort de son portefeuille un billet de 500 euros (j’ai transcrit, à l’époque, c’étaient des francs) et le tend à l’enfant. Puis, presque simultanément, il sort un superbe sucre d’orge aux multiples couleurs (valeur : 5 ou 6 euros) et dit à l’enfant : "Choisis !". Et le philosophe de conclure : "A deux ans, l’homme, encore empirique, choisit le sucre d’orge"...

Seulement à deux ans ?

COMMENTAIRES  

29/10/2018 08:32 par doucic

Merci pour l’article, je fais des bonds à chaque fois que j’entends nos amis "journalistes" asséner leurs mensonges en toute impunité.

Frank Lepage et Gaël Tanguy - Le Salaire
https://www.youtube.com/watch?v=rSBuCSOekZ0

29/10/2018 13:41 par L. A.

Bravo ! Explication très claire. Où l’on s’aperçoit aujourd’hui que depuis aussi loin qu’on s’en souvienne le manque de pédagogie civique quant à la fiche de paye et à la différence entre salaire net et salaire brut est une grave lacune dont nous allons dorénavant voir les effets néfastes (Voui ! le sucre d’orge !). Quant à l’idée « que les journalistes aient à ce point intégré l’idéologie des classes dominantes qu’ils ne s’en rendent même plus compte. », elle n’est pas fausse. N’oublions jamais que les « journalistes » qui parlent dans le poste ou qui écrivent dans les quotidiens et les périodiques sont, pour beaucoup, assujettis à l’impôt sur la fortune, eux.
L. A. (Brésilodépressif en ce moment.)

29/10/2018 21:59 par irae

Encore un coup de vases communicants et de ce que je te donne d’une main je te le reprends de l’autre. Après les 5 euros d’apl et la hausse de csg pour tous le gel de point d’indice des fonctionnaires...une seule vraie catégorie de bénéficiaires les malheureux soumis à l’isf qui auront droit a 1,6 m d’euros de caviar/champagne/cigares/putes pour les fêtes de fin d’année.

30/10/2018 16:47 par szwed

Le journal de France 2, c’est comme FranceI inter, ils sont devenus la Pravda de l’Etat oligarchique au service des riches

31/10/2018 18:32 par Jean-Marc GARDES

Lorsqu’ils parlent des salariés, les journalistes parlent de "cotisations" ; lorsqu’ils parlent des entreprises, ces "mêmes" "cotisations" deviennent, dans leur bouche, des "charges".
Etonnant non ? deux mots différents (dans le sens et dans la connotation) pour, pourtant, désigner la même "chose"

02/11/2018 06:33 par calame julia

En effet, nous sommes sidérées de les entendre discuter de choses qu’ils
ignorent. Une France à deux vitesses : c’est le début d’un pays devenant
du tiers monde. Et ça, ce n’est pas un nouveau monde...
Finalement, ces freluquets au gouvernement se plaignent de la violence
qui augmente quand ce sont eux qui la provoquent.

02/11/2018 10:39 par COMTE daniel

bjr
ravi de votre texte qui confirme bien que les journalistes sont des abrutis pour ne pas dire pire....!!
je ne suis pas constitutionaliste, mais j’aimerai bien qu’on me decortique la nature de la cotisation chomage....elle est partie integrante du salaire ....qui a le droit de la supprimer ...???!!!!!!!!

05/11/2018 13:47 par FH

l’idée de cette "réforme" est limpide. Selon le modèle allemand, on souhaite s’orienter vers une indemnisation de la perte d’emploi à minima, soit un an pour 2/3 du salaire perçu avant sa perte. Associé a une prise en charge des loyers (plafonnées), on s’oriente après expiration du délais de 12 mois, vers le revenu universel, qui se situera au niveau de 1000 euros mensuels pour les pays de l’Europe de l’ouest.

Dans cette perspective, l’employé payé au minimum (smic), pourra valablement faire le calcul de l’intérêt d’aller travailler ? Pour éviter une pénurie de main d’œuvre à CT qui en résulterait, il est vital de faire rentrer une population encore plus démunie : les migrants. C’est chose faite.

Bref, comme pendant les 30 glorieuses, pas question de permettre aux classes laborieuses de s’élever vers une meilleure éducation de leurs enfants, d’un confort de vie de qualité. On préfere organiser une migration massive de "plus pauvres encore"...

A partir de ce constat, on peut ou doit se poser la question de l’intérêt de cette "stratégie" sociale ? D’autant plus qu’elle s’articule autour d’incitations à l’essor démographique (+ de naissances = + d’aides), l’abondance du genre humain faisant le nid du moindre coût de celui ci sur le marché du travail.
Pour finir, on nous conduit vers un drame mondial. L’épuisement des ressources de notre planète, ce qui finira par toucher tout le monde, y compris ceux qui articulent cette "stratégie" court termiste, considérant que l’essor démographique est source de revenus supplémentaires certains (alimentation, habitat, énergie, etc).

Et après ? Walrus en parle justement...

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