Il manifesto, mercredi 6 juin 2007.
Rome est prise ces jours ci dans trois événements d’intérêt directement ou indirectement américain : la commémoration de la libération de la ville par les Alliés le 4 juillet 1944 ; les célébrations à l’Auditorium des 40 ans de la sortie de Sergeant Pepper des Beatles ; et la visite du président Bush. Trois moments qui renvoient de façon problématique à cette réalité concrète qui s’appelle Etats-Unis, et à cet enchevêtrement d’imaginaire que nous appelons « Amérique ».
Un groupe d’enseignants d’histoire et littérature des Etats-Unis, de diverses universités et diverses orientations, est en train de préparer une lettre à notre gouvernement dans laquelle il dit en gros : l’administration Bush a tellement endommagé les principes que nos deux démocraties partagent qu’il nous est maintenant beaucoup plus difficile de les transmettre, quand on enseigne des matières américanistes. Et c’est un fait que l’enthousiasme avec lequel des générations d’étudiants accostaient à l’ « Amérique », en pensant aller aux origines de notre imaginaire, est assez largement retombé ces dernières années. Les causes sont nombreuses. Partons de Sergeant Pepper. Un des signes des temps qui sont arrivés avec les Beatles est que la musique la plus intrinsèquement américaine, le rock, a cessé d’arriver exclusivement des Etats-Unis, et qu’elle est devenue une musique globale. La même chose est arrivée dans d’autres domaines : cet « empire irrésistible » dont parle le très beau livre de Victoria de Grazia, qui fondait son hégémonie sur une attraction de langages, de formes d’expression et de styles de consommation, a tellement triomphé qu’il s’est décroché de son lieu d’origine. Quelqu’un né, mettons, en 1987, doit faire un effort d’attention pour se rappeler que la musique qu’il écoute - de groupes anglais, suédois, islandais, italiens...- est de la musique « américaine ». Non pas que des choses belles et importantes ne continuent encore à arriver des Usa ; mais le fait est qu’on a de moins en moins besoin de se tourner vers les Etats-Unis pour trouver l’Amérique.
Ce jeune de 20 ans, depuis 1987, a perçu les Etats-Unis en termes de Grenade, Panama, Golfe, Somalie, Kosovo, Golfe... Les foules en fête de 1944 sont pour lui de l’histoire ancienne, des images défraîchies vieilles de soixante ans, surtout si ces foules d’hier lui sont déployées comme justification des bombardements d’aujourd’hui, ou comme une dette pérenne et inextinguible, contractée avant sa naissance, qui l’obligerait à leur offrir la moitié de Vicenza, ou à les suivre en Afghanistan. Là aussi, les Etats-Unis ne sont pas que cela. Mais cette Amérique qui autrefois semblait tresser réalité et images dans des figures comme Kennedy, Martin Luther King, Malcolm X, n’est même plus capable aujourd’hui de soutenir Cindy Sheehan. Cindy Sheehan a dit une chose presque inconcevable pour une citoyenne américaine : « Amérique, tu n’es pas la pays que j’aime ».Elle ne veut sûrement pas dire qu’elle aime quelqu’autre pays ; mais qu’elle aime une Amérique idéale -faite de rêve, désir, nostalgie, espoir- avec laquelle les Etats-Unis n’ont plus rien à voir. Et en cela, malheureusement, les Etats-Unis de Bush et de Cheney ne sont pas seuls en cause. Il en va aussi de la faiblesse, de la timidité, du manque de perspective d’une grande partie de ceux qui s’opposent à eux, ou qui devraient s’y opposer. Mais ceci, (et la lettre des américanistes italiens le laisse entendre) est aussi notre problème.
Alessandro Portelli
– Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
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