RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

L’amour se fait attendre

A l’issue du 26 mai, trois légendes urbaines ont été répandues en boucle par les commentateurs europhiles

Aplomb pyramidal ou méthode Coué ? A l’issue du 26 mai, trois légendes urbaines ont été répandues en boucle par les commentateurs europhiles. Primo, les citoyens européens auraient témoigné – « enfin ! » – leur attachement à l’intégration européenne en se précipitant nombreux dans les bureaux de vote. Etrange sophisme puisque, dans plusieurs pays, la hausse de la participation électorale a nourri des forces se proclamant anti-Bruxelles. En outre, ceux qui ont voté l’ont fait quasi-exclusivement sur des enjeux nationaux. Enfin, dans plusieurs pays, les européennes étaient organisées simultanément à des scrutins régionaux, à des référendums, voire à des élections nationales, ce qui a mécaniquement réduit l’abstention.

Surtout, cette hausse est pour le moins à relativiser puisque, dans l’UE, un électeur sur deux (49,1%, contre 57,4% en 2014) a continué de boycotter les urnes. Et ce, malgré les campagnes de dramatisation littéralement sans précédent, multiples et dispendieuses. En France, CFDT et MEDEF s’associèrent pour l’occasion. Des directions de grandes multinationales se sont adressées à leurs salariés, ce prosélytisme étant encore plus massif outre-Rhin. Et jusqu’aux archevêques français, allemands et du Benelux exhortant, dans un texte solennel, leurs ouailles à aller voter...

La deuxième « fake news » vise à accréditer l’image d’une « vague verte » qui aurait balayé l’Union européenne. L’examen des chiffres devrait faire revenir à plus de mesure : les partis écologistes ne progressent que dans sept pays sur vingt-huit, stagnent, voire régressent dans plusieurs autres (dont la Suède, emblématique patrie de l’égérie du climat), et sont même inexistants ou marginaux dans une majorité d’entre eux. La progression du pourcentage écolo en France (loin cependant de son niveau de 2009) et plus encore en Allemagne accroît mécaniquement le score vert global puisque ces deux pays sont les plus peuplés de l’union.

On notera qu’en France en particulier (mais cela vaut aussi outre-Rhin), l’électorat vert est sociologiquement typé : très fort parmi les classes urbaines et aisées, réduit dans le monde ouvrier et parmi les classes populaires. Politiquement, les cartes électorales montrent une proximité entre les votants écolos et ceux favorables à Emmanuel Macron. Du reste, la grande porosité entre ces deux mouvances s’est traduite au dernier moment par une fuite de la seconde vers la première.

Enfin, la troisième antienne répétée depuis le 26 mai au soir est que les partis « populistes » ou d’« extrême droite » ont été « contenus ». Outre que lesdites forces sont pour le moins hétérogènes, l’affirmation semble plus relever de la pensée magique, qui plus est sur le thème « c’est moins mal que si ça avait été pire ».

La réalité est que trois hommes sortent objectivement grands vainqueurs du scrutin : le chef du Parti du Brexit, Nigel Farage, qui réussit un spectaculaire retour ; le vice-premier ministre italien Matteo Salvini (Ligue) qui rassemble plus du tiers des votants (17% en 2018) ; et le premier ministre hongrois Viktor Orban qui attire 52% de ses compatriotes, dix ans après son arrivée au pouvoir. Quelles que soient leurs arrière-pensées, ces trois là incarnent un rejet affiché de Bruxelles, qui le leur rend bien.

Certes, les socialistes Frans Timmermans et Pedro Sanchez ont aussi quelques raisons de se réjouir pour leurs scores respectifs aux Pays-Bas et en Espagne. Mais, outre que le reste de leur famille politique est littéralement en capilotade, les deux hommes pourraient bien se retrouver très vite face à face. Car le second n’a toujours ni gouvernement, ni majorité, et donc encore moins de budget – c’est en présentant son projet de loi de finances qu’il est tombé, en février dernier. Or la Commission dans laquelle officie le premier (il souhaite même bientôt la présider) va renouer avec sa vigilance austéritaire, maintenant que l’échéance électorale est passée.

Cela ne concerne pas seulement Madrid, mais à très brève échéance Rome, que le commissaire sortant Pierre Moscovici vient à nouveau de menacer. Bref, après le divertissement électoral, les choses sérieuses reprennent. Et il n’est pas sûr que l’actuel « mercato » à suspense visant à désigner les futurs pontes bruxellois suffise à alimenter l’amour présumé des citoyens pour l’« idée européenne ».

Certainement pas, en tout cas, du côté des salariés de GE-Belfort, et de tous ceux qui sont menacés par l’après-européennes et ses vagues de licenciements.

De véritables vagues, cette fois.

Pierre Lévy,
rédacteur en chef du mensuel Ruptures
(informations et abonnements : https://ruptures-presse.fr/abonnement/)

»» https://ruptures-presse.fr
URL de cet article 35017
  

Même Thème
Europe Israël : Une alliance contre-nature
David CRONIN
Israël est souvent perçu comme le 51ème État des États-Unis. Désormais, il serait en passe de devenir membre de l’Union européenne. David Cronin a parcouru les couloirs de Bruxelles pour interroger hauts fonctionnaires et diplomates. Il a épluché les programmes européens et examiné les liens étroits que tissent les entreprises du continent avec ce petit État du Moyen-Orient. Loin des discours officiels, vous trouverez dans ce livre les résultats d’une enquête déroutante qui montre comment le prix Nobel (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

L’art de la politique est de faire en sorte que les gens se désintéressent de ce qui les concerne.

Daniel Mermet

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.