L’arnaque constitutionnelle

Lorsqu’on regarde la constitution, on est tout d’abord saisi par son apparente simplicité, voire par sa logique implacable. Tout semble couler de source, et la justesse des propositions paraît incontestable.

Pourtant, le lecteur peut rapidement tomber dans des méandres tortueux et infinis, s’il prend soin de vouloir tout comprendre.

Car si le texte de la constitution est assez court, concis et peut-être même limpide pour certains, un nombre non négligeable de points sont sujets à confusion, qui ont trait à la définition d’un principe dans ce qui est appelé « loi organique ». Et c’est justement là que tout se corse. Car les lois organiques sont modifiables par l’assemblée, ce qui constitue une forme d’adaptabilité de la constitution. Mais si ce principe est censé permettre une sorte de souplesse à cette dernière, elle concerne quand même certains points majeurs de notre démocratie, comme par exemple le mode de scrutin, ou les finances de l’Etat. Ce qui signifie que la constitution n’est pas intangible, et que certaines modifications des lois organiques peuvent transformer « légitimement » certains principes constitutionnels, pour peu qu’ils aient été validés par le conseil constitutionnel.

Si on se penche un tant soit peu sur le problème, il ne faut pas creuser trop loin pour s’apercevoir que, de toutes manières, les premiers principes garantis par la constitution, même s’ils semblent justes et bons, sont en réalité loin d’être appliqués parfaitement (loin de là ) : c’est qu’il doit bien y avoir quelque chose « qui cloche » entre le texte fondateur de notre république et son application concrète. Et si ce « quelque chose » se produit malgré la force de la constitution, c’est qu’elle doit tout de même avoir des failles… dans lesquelles on peut peut-être s’engouffrer à travers ces lois organiques, comme certaines votées il y a peu, au sujet de l’élection présidentielle (2006), ou du financement des partis politiques (2003). Et même, à y regarder de plus près, on s’apercevrait que le nombre des lois organiques votées ces derniers temps est certes conséquent (voir liste), mais que les intitulés de ces lois montrent surtout l’extrême poids de ces lois organiques sur la vie démocratique. Et tout cela bien sûr sans compter les modifications directes de la constitution pour l’Europe, ainsi que pour le « renforcement des pouvoirs » du parlement. Il reste à souligner à ce propos que les lois concernant le referendum, la nomination des présidents de France télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France, la Haute Cour, la saisine du conseil économique, social et environnemental, ou le défenseur des droits n’ont pas été encore adoptés (tiens tiens, France télévisions et Radio France ?)

Je ne me lancerais pas dans la lecture de ces modifications, qu’il faudrait pour être juste comparer aux textes initiaux, ni dans les retours incessants entre alinéas multiples, car je n’aurais pas assez d’une seule vie pour en venir à bout. Mais je prendrai rapidement le cas de deux lois organiques assez récemment modifiées ayant pour sujet le financement des campagnes et le mode d’élection des députés… mis en rapport avec la nouvelle proposition sur la réforme territoriale, on imagine très vite le résultat de cette corrélation, surtout validée par les expériences législatives récentes.

Regardons ces financements, et ces modes d’élection, puis étudions la composition du parlement : nous constaterons rapidement que nous sommes coincés entre le marteau et l’enclume

Pour le financement des élections, on s’aperçoit que c’est l’Etat qui subventionne la majorité des campagnes législatives, selon un procédé tel que les partis déjà en place ont le plus de chance d’obtenir à la fois plus de sièges, et plus d’argent. Les "petits partis" n’ont pour leur part qu’une visibilité moindre, des subventions inférieures voire nulles, et finissent par obtenir une représentativité parlementaire ne correspondant pas à leur représentativité populaire.

De plus, en choisissant le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour l’élection des députés et des sénateurs, le jeu de la pluralité est soumis aux alliances et aux subventions, qui font rapidement ressortir les deux grandes formations classiques au détriment des autres. Ensuite, il n’est pas nécessaire de s’interroger longtemps pour comprendre que cette situation arrange bien l’hégémonie des deux grands groupes se partagent à tour de rôle le pouvoir : remboursés largement de leurs frais de campagnes, et certains d’être soit dans la majorité soit dans l’opposition, ils peuvent continuer à se voter les émoluments qu’ils désirent, et modifier et la loi, et la constitution, pour ainsi dire à leur guise.

Si on regarde maintenant la composition du parlement et son mode de fonctionnement, on comprend mieux comment se fait le découpage : forts de leurs subventions et de leur visibilité, les deux grands partis font presque jeu égal en nombre de votes reçus, que ce soit pour l’élection de l’assemblée nationale ou pour le Sénat, ne laissant aux autres formations que des miettes, et aucun pouvoir.

Cela signifie donc que la constitution, qui garantit en théorie le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, est à la merci des lois organiques qui permettent aux deux grands partis (à juste titre du coup) dits "institutionnels" de se partager le pouvoir, sans laisser la possibilité aux autres partis de se faire une place. Possédants à la fois le pouvoir de modifier les règles les concernant, le mode de scrutin, le financement de leurs campagnes, il n’en faut pas plus pour entrevoir de quels pouvoirs disposent les deux camps "opposés" , qui ne luttent plus désormais pour le peuple mais pour le pouvoir. Ayants plus ou moins adopté le comportement de la classe sociale dans laquelle ils évoluent (leurs émoluments sont substantiels puisqu’ils se les votent entre eux), ils ne s’agitent plus que pour ou contre certains détails leur accordant plus ou moins de sièges, ou de subventions. Il n’y a qu’à voir les résultats des votes sur la modification de la constitution, ou sur le traité européen : dans le premier cas (comme dans celui de la réforme territoriale qui va arriver bientôt) ils se battront jusqu’au bout pour ne pas perdre leurs privilèges respectifs, et dans le second, ils étaient tous d’accord car cela les arrangeait tous deux.

Mais le peuple dans tout ça, tout ce petit monde s’en moque éperdument. La seule chose que nous garantit la constitution aujourd’hui, c’est le droit d’être d’accord, ou de nous la fermer. Pour le reste, elle a savamment été vidée de son sens : elle ne vaut plus un clou.

Caleb Irri
http://www.calebirri.unblog.fr

COMMENTAIRES  

04/05/2010 12:25 par Anonyme

une allumette et vite !!

04/05/2010 16:29 par Samuel Métairie

Elle ne vaut plus un clou, certes, mais elle permet tout de même de censurer quelques amendements ci et là du gouvernement quand il grapille les libertés sur un air de "ça passe ou ça casse", et des projets de lois présidentiels, via le Conseil constitutionnel. Sinon, Hadopi 1 serait passé, voté, décrété, et plein de projets de loi de cet acabit. Elle sert tout de même de pilier entre l’autoritarisme et l’État de droit.

De toute façon, la gouvernance ne se fait plus sur des bases politiques depuis que la mondialisation néolibérale a substitué le pouvoir du Capital et des marchés financiers aux droits internes des Etats.
Mais il y a plus grave que les lois organiques. Il y a la méthode dont sont organisées les procédures d’application des circulaires, des directives, etc. Les décrets, qui sont de plus en plus nombreux, sans passer par la phase parlementaire, le passage en force des volontés de l’Elysée par la réunion en Congrès, l’article 49-3 (même si désormais, une bonne vieille campagne de propagande est plus efficace que le 49-3), les régimes de libertés ou d’autorisation préalable, l’article 72 qui définit la longueur de la corde de liberté des collectivités territoriales... etc etc..

Deuxièmement, il est intéressant de voir la manière dont la démocratie a été instaurée aux Etats-Unis, et de voir ce que les puissants de notre pays ont décidé de retenir de l’héritage des dits "Lumières"...

En 1776, lorsque les Etats-Unis avaient gagné leur indépendance au prix de milliers de morts, les constituants bourgeois (pardon du pléonasme) n’avaient qu’une chose en tête : ne pas reproduire les monarchies à l’européenne pour éviter toute révolution du peuple, conserver le pouvoir de l’aristocratie, et éviter la tyrannie d’un seul. Il ne restait plus que la démocratie. Mais de quelle démocratie parlaient-ils ? Aux Etats-Unis, ce qui prime, n’est pas l’intérêt général comme ici en France, mais au contraire la somme des intérêts particuliers qui mène au bien public commun. La base de la démocratie est donc très libérale.
Il a fallu ensuite établir le droit de vote lors de la rédaction de la constitution de 1787...aux blancs, aux hommes, et aux riches, grossomerdo.
Le vote a été installé grâce à un double argument de propagande : l’aspect libéral faisait croire à la liberté politique avec le droit de vote. La démocratie donnait une éducation aux masses pour qu’ils soient cultivés, disons adaptés au système, et qu’ils votent "bien". En clair, la démocratie, le vote, n’ont été installés que dans un soucis de faire taire les révoltes, acheter la "paix civile" (terme d’Hobbes) à une époque où l’on se basait sur la philosophie des Locke, Montesquieu, Rousseau, Hobbes et compagnie, et où donc il fallait absolument conserver le pouvoir des élites par la représentation politique, pour dominer la masse stupide égoïste et malsaine et éviter le gouvernement du peuple, démocratie directe. Canaliser la révolution des couches populaires en obtenant son propre consentement par le vote. On connaît la suite sur l’Empire américain...la démocratie est un doux rêve qui n’a jamais existé.

En France, notre socle constitutionnel démocratique repose sur la philosophie de Montesquieu, Rousseau et Tocqueville. On fait passer ces deux premiers hommes pour des révolutionnaires d’avant garde de 1789, voire libéraux (au sens de liberté politique) qui ont fait du bien aux peuples en incitant à la Révolution. C’est un peu vrai, mais c’est surtout très faux car ce n’était que deux aristocrates qui écrivaient dans le cadre d’une volonté de prendre le pouvoir sur la monarchie absolue des bourbons. Conserver la bourgeoisie dans son rang.
Montesquieu le dit lui-même, les masses ne sont pas assez cultivées et non capables de gérer les choses publiques. Montesquieu voulait une république aristocratique, Rousseau voulait que la loi soit le résultat de la volonté générale, mais encore une fois, la volonté générale ne signifiait pas la souveraineté du peuple, mais celle des élites. Et la masse qui perd l’élection n’a qu’à s’incliner, voir s’excuser...
Quant à Tocqueville, riche propriétaire bas-normand du milieu du 19ième siècle, il prône la démocratie représentative telle que nous l’avons dans la constitution aujourd’hui, mais il précise qu’il est important de veiller à ce que l’égalité économique n’existe pas. Et qu’il est primordial de canaliser les libertés... Sans parler de la propriété privée...

La constitution de 1958, dont vous semblez vous lamenter qu’elle ne soit pas si démocratique que cela, en a toujours été ainsi, elle porte en son fondement le pouvoir des riches contre le peuple, grâce à ce double héritage aristocratique pré-1789 et sur la vague libérale des années 1830-1880.

C’est très finement joué de la part des dominants que de faire croire que le peuple est souverain. Ce que nous appelons constitution démocratique n’a aucun sens, comme vous dites.

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