Les « Fact Checkers » (« vérificateurs de faits ») qui ont signalé pour Facebook l’article de Paul Thacker dans le British Medical Journal sur un sous-traitant de Pfizer ont admis qu’ils surveillaient la narration et non les faits.
En février 2010, le New York Times a publié en première page un article intitulé "La recherche lie le médicament contre le diabète aux problèmes cardiaques". L’introduction de l’article était le suivant :
Des centaines de personnes prenant de l’Avandia, un médicament controversé contre le diabète, souffrent inutilement de crises cardiaques et d’insuffisance cardiaque chaque mois, selon des rapports gouvernementaux confidentiels qui recommandent le retrait du médicament du marché.
L’article du Times cite un rapport interne de la FDA [agence de contrôle et de régulation aux EU] qui indique que le médicament contre le diabète Avandia de GlaxoSmithKline, également connu sous le nom de Rosiglitazone, a été "lié" à 304 décès en 2009, ajoutant la conclusion des deux médecins qui ont rédigé le rapport : "La rosiglitazone devrait être retirée du marché". L’article a été publié avant une étude de la commission des finances du Sénat qui a produit une série de documents internes accablants, dont un dans lequel un responsable de la sécurité de la FDA s’inquiétait du fait qu’Avandia présentait des risques cardiovasculaires si graves que "la sécurité de l’étude elle-même ne peut être assurée et n’est pas acceptable".
L’un des enquêteurs en chef de cette étude était Paul Thacker, à l’époque assistant du républicain de l’Iowa Chuck Grassley. La collecte de documents sur plusieurs années, comme le rapport sur l’Avandia, était la spécialité de Thacker. Je l’ai rencontré pour la première fois à cette époque parce que sa commission traitait fréquemment des questions de crise financière que je couvrais. Thacker, qui a ensuite contribué à un certain nombre de revues commerciales et universitaires, a été formé dans la tradition des rapports de commission bipartites qui s’appuient largement sur des documents et des témoignages enregistrés, c’est-à-dire les éléments indiscutables sur lesquels les deux parties peuvent s’appuyer.
Thacker a un style direct et un humour noir, et parler avec lui peut donner l’impression d’être perdu dans un sketch de Bill Hicks, mais ses informations sont bonnes. Pendant ses années au Sénat, son travail consistait à publier des informations préjudiciables sur les entreprises les plus litigieuses du monde. Certains emplois à Washington requièrent une peur saine de ces avocats payés à 1000 dollars de l’heure et dont chaque entreprise classée dans le top 500 de la revue Fortune connaît le numéro par coeur, et Thacker a toujours conservé l’approche paranoïaque et utile de l’enquêteur traditionnel en matière de publication.
"Je sais comment faire ces choses", dit-il. "Je sais comment travailler avec les lanceurs d’alerte."
Il a donc été plus que surprenant que le nom de Thacker apparaisse au milieu d’une étrange controverse internationale sur le « fact checking ». Dans un article publié dans l’un des plus anciens journaux universitaires du monde, le British Medical Journal, M. Thacker a écrit un article intitulé "Covid-19 : Un chercheur dénonce les problèmes d’intégrité des données dans l’essai vaccinal de Pfizer". Il a fait ce qu’il avait fait d’innombrables fois, en publiant l’histoire d’un lanceur d’alerte avec une histoire troublante. Brook Jackson travaillait pour une société texane appelée Ventavia qui a mené une partie des essais de recherche pour le vaccin Covid-19 de Pfizer. Il s’agit du même vaccin que Thacker lui-même, qui vit maintenant en Espagne et est marié à un médecin, avait pris.
Après avoir été soumis à un examen juridique et à un examen par les pairs, mais sans contacter Ventavia - apparemment, ils craignaient une injonction - le BMJ a publié l’article de Thacker le 2 novembre 2021. Le passage litigieux est le suivant :
Un directeur régional qui travaillait pour l’organisme de recherche Ventavia Research Group a déclaré au BMJ que l’entreprise avait falsifié des données, qu’elle avait administré le vaccin à des patients supposés faire partie du groupe témoin des non vaccinés, qu’elle avait employé des vaccinateurs insuffisamment formés et qu’elle avait tardé à assurer le suivi des effets indésirables signalés lors de l’essai pivot de phase III de Pfizer.
À partir du 10 novembre 2021, les rédacteurs ont commencé à recevoir des plaintes de lecteurs, qui disaient avoir des difficultés à partager l’article. Comme l’ont écrit plus tard les rédacteurs Fiona Godlee et Kamran Abbassi dans une lettre ouverte au PDG de Facebook, Mark Zuckerberg :
Certains ont déclaré ne pas pouvoir le partager. Beaucoup d’autres ont signalé que leurs publications étaient marquées d’un avertissement "contexte manquant...". Des vérificateurs de faits indépendants disent que cette information pourrait induire les gens en erreur." Les personnes qui ont essayé de publier l’article ont été informées par Facebook que les personnes qui partagent de façon répétée de "fausses informations" risquent de voir leurs publications descendre dans le fil d’actualité de Facebook. Les administrateurs des groupes où l’article a été partagé ont reçu des messages de Facebook les informant que ces publications étaient "partiellement fausses".
Facebook n’a pas encore répondu aux questions concernant cet article. Pendant ce temps, le site qui a effectué la "vérification des faits" de Facebook, Lead Stories, a publié un article daté du 10 novembre dont l’URL contient le terme "alerte canular" (Lead Stories nie avoir qualifié l’article du BMJ de canular). En outre, ils ont déployé un dispositif rhétorique que ces sites de "vérification" emploient régulièrement, en prétentant corriger, à plusieurs reprises, des affirmations que Thacker et le British Medical Journal n’ont jamais faites. Cela a commencé par le titre : "Le British Medical Journal n’a PAS révélé de rapports disqualifiants et ignorés sur les défauts des essais du vaccin COVID-19 de Pfizer".
Le British Medical Journal n’a jamais dit que l’histoire de Jackson révélait des "défauts rédhibitoires" dans le vaccin. Il n’a pas non plus affirmé que les informations négatives "remettent en question les résultats de l’essai clinique de Pfizer". Il n’a pas non plus affirmé que l’histoire était "suffisamment sérieuse pour discréditer les données des essais cliniques". Le BMJ a déclaré que l’article de Jackson pouvait "soulever des questions sur l’intégrité des données et la surveillance réglementaire", ce qui est vrai.
Le vrai problème avec l’article de Thacker est qu’il est devenu viral et a été retweeté par les mauvaises personnes. Comme Lead Stories l’a noté avec une désapprobation appuyée, l’article fut partagé par des personnes comme le Dr Robert Malone et Robert F. Kennedy. Pour eux, cela montrait clairement que l’article était mauvais d’une manière ou d’une autre, mais le problème était que rien ne permettait de dire que l’histoire était fausse.
Dans une correspondance remarquable avec les rédacteurs du BMJ, le rédacteur en chef de Lead Stories, Alan Duke, a expliqué que le terme "contexte manquant" avait été inventé par Facebook :
Pour traiter le contenu qui pourrait induire en erreur sans contexte supplémentaire, mais qui était par ailleurs vrai ou réel... Parfois, le message de Facebook concernant les termes de vérification peut sembler trop agressif et effrayant. Si vous avez un problème avec leur message, vous devez en parler avec eux, car nous ne pouvons rien y changer.
L’expression "contexte manquant" est devenue un terme pour dénigrer les reportages qui sont vrais mais gênants. Comme le note Thacker dans les questions-réponses ci-dessous, "ils vérifient la narration, pas les faits".
L’importance de l’histoire du British Medical Journal est qu’elle a montré à quel point il est facile de faire passer des informations vraies pour fausses ou conspiratrices. La bureaucratie croissante des sites de "vérification des faits" qui aident les plates-formes comme Facebook à décider ce qu’il faut signaler prend désormais en compte des questions telles que : les convictions politiques de vos sources, la présence de personnes de mauvaise réputation parmi vos lecteurs et la tendance du public à tirer des conclusions indésirables des faits rapportés. Tout cela peut désormais faire partie de la manière dont les autorités définissent ou non un reportage comme étant factuel.
"Mais ce n’est pas une vérification des faits", dit Thacker. "Vous n’aimez tout simplement pas ce qui est raconté".
L’histoire du BMJ concerne une femme, Jackson, qui a été licenciée peu après s’être plainte de pratiques peu rigoureuses auprès de la FDA et de Pfizer. Ventavia affirme que son licenciement n’avait aucun lien avec sa plainte officielle - "Ventavia n’était pas au courant d’une plainte déposée auprès de la FDA avant de la voir sur Twitter au début du mois de novembre 2021", m’ont-ils dit. Ils contestent également d’autres aspects de son histoire :
Ces mêmes accusations ont été faites il y a un an, et Ventavia a alors notifié les parties concernées. Les allégations ont fait l’objet d’une enquête et il a été déterminé qu’elles n’étaient pas fondées.
J’ai demandé à Ventavia qui étaient ces "parties concernées" et qui a mené l’enquête. Ils ont alors fait appel à un consultant externe en relations publiques qui a demandé un délai supplémentaire pour répondre, mais a finalement décidé de ne pas répondre.
Il n’est pas facile de voir comment la société peut prétendre que les allégations sont "non fondées", puisque Jackson a fourni au BMJ des documents, des photos et des enregistrements. En outre, un certain nombre d’affirmations de l’article ont été confirmées, directement ou indirectement, par d’autres anciens employés. L’un d’eux, dont l’identité n’a pas été révélée, a déclaré à Thacker à propos de l’essai Pfizer : "Je ne pense pas qu’il s’agissait de données propres... C’est un fouillis sans nom."
Le British Medical Journal n’a pas publié toutes les informations potentiellement dommageables. Dans une réunion enregistrée, que j’ai été autorisé à écouter, un cadre supérieur de Ventavia dit à Jackson qu’il sait que la situation des essais est un "sacré merdier. Et nous savons que c’est important."
Dans cette même réunion, au cours de laquelle Jackson semble être interrogée par deux des plus hauts dirigeants de l’entreprise sur le fait qu’elle aurait pu ou non partager ses préoccupations en dehors de l’entreprise ("Qu’avez-vous fait ?" lui demande-t-on), il y a un autre échange bizarre.
"Nous n’avons même pas fini de quantifier le nombre d’erreurs, et de catégoriser les types d’erreurs que nous voyons. Dans mon esprit, on dirait qu’on découvre quelque chose de nouveau chaque jour", lui dit l’un des cadres.
Évidemment, l’histoire de Jackson ne suggère pas en soi que le vaccin Pfizer ne fonctionne pas, ni qu’il existe des preuves d’effets secondaires néfastes. Cependant, son histoire suggère que les sous-traitants engagés par Pfizer pour mener ses essais étaient et sont, au mieux, imprudents. Lors d’une réunion, un cadre supérieur raconte avoir vu "des aiguilles exposées et utilisées jetées dans des sacs à risque biologique" au lieu des conteneurs pour objets tranchants exigés. On y trouve également des informations sur le non-respect du protocole relatif aux tests en aveugle, le manque de suivi adéquat des sujets présentant des effets indésirables, le mauvais étiquetage des échantillons et d’autres problèmes.
Qu’il s’agisse de problèmes de maintenance chez American Airlines ou des rapports d’un employé de banque sur le regroupement et la commercialisation de prêts hypothécaires défectueux, ces rapports sur les "mauvaises pratiques" sont depuis longtemps un élément de base du journalisme d’investigation. Auparavant, l’idée de mettre à l’index ou de signaler ces rapports au motif qu’ils auraient pu convaincre certaines personnes de ne pas prendre l’avion ou de ne pas utiliser les banques aurait été risible. Ayant moi-même réalisé un grand nombre de ces reportages, je connais bien les reproches de "contexte manquant", mais ils émanent toujours d’un avocat d’une entreprise ou d’un porte-parole politique. C’est fou que cela vienne maintenant des gardiens des médias.
Lead Stories a finalement écrit un deuxième article intitulé "Pourquoi Lead Stories a vérifié les faits du BMJ", qui se plaignait du fait que divers sites, allant du Conservative Beaver à Natural News en passant par le Free Thought Project, avaient écrit des articles faux ou trompeurs basés sur l’article du BMJ. Ce deuxième article se plaignait également que le site de Robert F. Kennedy, The Defender, avait republié l’article.
Pire encore, Kennedy a republié trois autres articles de Thacker, avec des titres tels que « Le nouveau groupe de l’OMS chargé d’étudier les origines de la pandémie est victime de prétendus conflits d’intérêts » et « L’hypothèse de la fuite du laboratoire covid-19 : les médias ont-ils été victimes d’une campagne de désinformation ? » C’est ainsi que Lead Stories a formulé ses griefs :
Ce n’est pas le premier article du BMJ de Thacker copié par The Defender de cette manière. Le site a une page entière de profil d’auteur pour lui, dont l’article le plus ancien remonte à juillet 2021.
Y avait-il des problèmes factuels avec l’un de ces autres articles ? Si oui, Lead Stories n’en fait pas mention. Apparemment, le problème était le simple fait que Robert F. Kennedy ait aimé les articles de Thacker. Lead Stories a également contesté le fait que Thacker ait remercié le Dr Robert Malone sur Twitter pour avoir souligné la réponse du BMJ à leur vérification des faits. Vous ne pouvez pas voir tout l’échange, car bien sûr Twitter a depuis zappé le compte de Malone :
J’ai demandé à Duke s’il pensait que le fait de savoir qui lit ou retweete un article avait une incidence sur sa véracité. "Qui retweete ou lit ou non quelque chose n’a aucune incidence sur la fiabilité", a-t-il concédé. "Mais cela peut révéler des indices importants sur la façon dont il est reçu ou compris".
Une autre source apparente d’"indices" sur un reportage factuel ? Les opinions politiques des sources. Ces passages sont tirés de la première "vérification des faits" de Lead Stories :
"Sur Twitter, Jackson n’exprime pas un soutien sans réserve aux vaccins COVID..."
Ailleurs sur Twitter, le compte de Brook Jackson a écrit que la vaccination a du sens si une personne se trouve dans une catégorie à haut risque et a qualifié d’"ÉNORME" la décision de la Cour d’appel du 5e circuit contre le passe vaccinal de l’administration Biden.
J’ai demandé à Duke si le fait que Jackson n’ait pas exprimé son " soutien sans réserve " aux vaccins, ou si elle était d’accord avec la moitié environ des Américains qui s’opposaient au passe vaccinal de Biden, avait une incidence sur la fiabilité de l’histoire. Si ce n’était pas le cas, pourquoi cette information figurait-elle dans l’article ? A-t-on suggéré qu’elle a fabriqué des documents et des photos parce qu’elle n’aime pas les passes vaccinaux ? Lead Stories n’a pas encore répondu, mais je mettrai l’article à jour dès qu’ils le feront.
Il va sans dire que dans ce contexte, toute information négative sur Pfizer, ou tout rapport sur des problèmes liés aux essais de la société, est susceptible d’être considéré comme significatif par les personnes qui se méfient du vaccin. Cela ne signifie pas qu’il faille disculper les entreprises en se basant sur la réaction du public. Sommes-nous en train de dire que tout ce que Robert Kennedy Jr. ou Robert Malone trouve digne d’être signalé dans les journaux est suspect ? Avec cette méthode, nous prenons des histoires qui ne sont pas "anti-vax" selon toute norme rationnelle, et nous les rendons anti-vax par association.
Cette nouvelle norme de "vérification des faits" abâtardit l’idée même de reportage. Elle est également très pratique pour des sociétés comme Pfizer, qui, par ailleurs, a de nombreux antécédents de violations de la réglementation. Comme Thacker le détaille ci-dessous, les entreprises ont réussi à manipuler les journalistes et les plateformes Internet pour les amener à voir une réalité binaire dans laquelle toutes les critiques sont des conspirationnistes.
"Nous n’avons plus de [points de vue] majeurs et mineurs", dit-il. "Ce que nous avons, c’est la vérité, et la conspiration".
Après l’épisode du BMJ, un singalement "contexte manquant" doit être compris pour ce qu’il est : un avertissement intellectuel pour des informations vraies mais politiquement gênantes.
Thacker a écrit pour, et a été une source pour, des médias conservateurs et grand public. Il y a un an, il écrivait un article dans The Daily Beast qui a été largement partagé par le public de centre-gauche parce qu’il suggérait que les entreprises pharmaceutiques avaient une influence indue sur l’"Opération Warp Speed" de Donald Trump. Il a maintenant son propre site sur Substack, le Disinformation Chronicle, qui poursuit l’intérêt qu’il porte depuis le début de sa carrière aux malversations impliquant des entreprises qui produisent des produits pharmaceutiques, des aliments génétiquement modifiés et d’autres produits. Je lui ai parlé de l’affaire du BMJ :
Matt Taibbi : Quelle expérience avez-vous de ce type d’histoire ?
Paul Thacker : J’ai mené des enquêtes pendant environ 15 ans sur la corruption dans le domaine scientifique. J’ai mené des enquêtes sur l’industrie pharmaceutique pendant environ trois ans au sein de la Commission des finances du Sénat. Il s’agissait d’enquêtes importantes. L’Avandia était le médicament contre le diabète le plus vendu sur la planète à l’époque, un produit de 3 milliards de dollars par an. Lorsque le rapport final a été publié, la banque suisse UBS a déclaré que GlaxoSmithKline risquait 6 milliards de dollars de litiges. Donc, je sais comment faire ces choses, et je sais comment travailler avec les lanceurs d’alerte.
Taibbi : Une partie de l’histoire concerne-t-elle la facilité avec laquelle il est possible de se lancer dans les essais cliniques et le peu de surveillance qui existe dans ce monde ?
Thacker : Il y a beaucoup d’argent dans ce type de recherche. Si vous pouvez obtenir la signature d’un médecin qui accepte d’être le médecin de votre société de recherche, vous pouvez pratiquement créer un de ces groupes de recherche en Amérique. C’est comme ça que ça marche.
Jackson réalise que l’endroit est juste un peu en désordre. Elle pense, "Je vais réparer ça." Mais elle réalise aussi qu’on n’est pas censé dire qu’il y a des problèmes. Mais leurs propres e-mails internes parlent de cela.
Un des e-mails internes qui a été envoyé disait essentiellement : "Nous ne pouvons pas suivre." Elle a commencé à prendre des photos. Une des choses qu’elle a trouvées, c’est qu’ils mettaient les objets tranchants dans un sac plastique. On est censé les mettre dans ce qu’on appelle un conteneur à objets tranchants.
Les sites de vérification des faits ont répondu : "Ça ne veut rien dire sur les données." Ce qui est vrai. Mais ça vous dit quelque chose. J’ai travaillé dans un laboratoire avant de me lancer dans le journalisme, en faisant de la recherche à l’université Emory, et je savais comment manipuler les objets tranchants. Je voyais ça un peu comme ce vieux truc qu’utilisent les critiques de restaurant, vérifier les toilettes. Si les toilettes sont sales, comment croyez-vous que la cuisine est ?
Elle a eu peur et a commencé à faire des enregistrements. Dans l’un d’eux, ils l’ont emmenée dans une pièce pour lui conseiller de faire son travail et de trouver des problèmes. Dans cette conversation, l’un des gars dit dans l’interview : "Ecoutez, nous savons qu’il y a gros merdier. Et nous savons que c’est important." Il a appelé ça un gros merdier ! Putain, c’est ridicule. Ils n’ont pas mis ça dans le BMJ parce que c’est une expression argotique. Donc je l’avais dans l’histoire mais ils ont enlevé l’expression.
Taibbi : Dans quelle mesure l’absence de réponse de la FDA serait-elle inhabituelle, et cela s’est-il produit ici ? [Note : la FDA n’a pas répondu aux questions].
Thacker : Elle se rend compte, "Personne ne m’écoute." Elle dépose donc une plainte auprès de la FDA, en exposant les 12 problèmes différents qu’elle a rencontrés. Plus tard dans l’après-midi, Ventavia l’appelle et la licencie, en lui disant que ce n’est pas une bonne solution. Elle avait prévenu Pfizer, donc Pfizer était au courant. Pfizer a fait marche arrière, et si vous faites des recherches, vous verrez qu’ils ont engagé Ventavia pour faire d’autres essais cliniques pour eux. La FDA n’est jamais allée inspecter.
Il n’y a pas de réponse réglementaire, mais l’entreprise s’y attendait. Je vais lire un e-mail que Ventavia a envoyé une semaine avant son licenciement. On y lit :
Je le répète, il ne s’agit pas de savoir si la FDA va venir, mais quand elle va venir. Et ils arrivent bientôt. C’est le plus grand essai clinique du monde entier et nous sommes un des principaux testeurs.
Et puis ici, c’est tout en gras, souligné, tout en majuscules.
LA FDA ARRIVE BIENTOT, dans quelques jours, d’après moi.
Ils étaient dans une putain de panique, mec. [Les documents originaux sont sur le site de Thacker, Disinformation Chronicle].
Taibbi : Quand avez-vous entendu parler pour la première fois d’un problème potentiel avec la " vérification des faits " ?
Thacker : Au début, je l’ignorais. Je me suis dit : " Comment vont-ils vérifier les faits ? ". J’ai déjà eu affaire à ce problème auparavant. Les personnes les plus intelligentes en termes de vérifications sont les putains d’avocats travaillant pour les compagnies pharmaceutiques. Il y a une armée de ces gens qui vont tout passer en revue et trouver tout ce qui pourrait clocher et le brandir. Et ici, ils n’ont rien trouvé. Alors quel problème pourrait-il y avoir ?
Ensuite, je suis allé à la "vérification des faits", et c’était tout simplement insensé. On aurait dit que ça avait été écrit par des lycéens. Il décrit le British Medical Journal comme un "blog". Je plaisantais avec mes rédacteurs sur la façon dont ils travaillent. Ils choisissent une proposition au hasard, puis ils la démolissent, et c’est comme, "Aha, gagné !" Des conneries. C’est comme, "Est-ce que le BMJ a prouvé que le vaccin tue les Martiens ? Non ! Alors Fake News !" Et toi, t’es là à te demander ce qui se passe.
Voilà ce qu’ils font. Ils ne vérifient pas les faits. Ce qu’ils font, c’est vérifier les récits. Ils ne peuvent pas dire que c’est faux, alors ils se rabattent sur "Ha !, il n’y a pas de contexte." Ou, "C’est trompeur." Mais ce n’est pas une vérification des faits. C’est juste qu’ils n’aiment pas ce qu’on raconte.
Taibbi : A quel point ce phénomène est-il nouveau ? S’il y en a eu un, quand le changement s’est-il produit ?
Thacker : Voici ce qui s’est toujours passé en Amérique auparavant. Vous aviez un regard large, très large. Dans la science et dans les médias, nous avions toujours un récit principal ou une théorie principale. Et puis autour de cela, au sein de la science, il y aurait d’autres théories secondaire, d’autres points de vue alternatifs. Le New York Times avait le sien. À gauche, New Republic avait un point de vue, et à droite, National Review avait un autre. Ils réexaminent la situation, mais ils ne changent pas les faits.
Eh bien, nous n’avons plus de principal et de mineur. Ce que nous avons, c’est la vérité et la conspiration. Ou vax et anti-vax. Il n’y a plus que deux possibilités. Tu sais où tu trouves ce genre de pensée en noir & blanc ? Chez les gens qui ont des troubles majeurs de la personnalité. Et les psychopathes. Les psychopathes et les personnes souffrant de troubles narcissiques de la personnalité pensent en noir & blanc. L’Amérique se trouve actuellement dans cette situation bizarre où c’est un pays qui, de l’extérieur, semble psychopathe ou désordonné.
Taibbi : Avez-vous vu ce phénomène pour d’autres articles importants ?
Thacker : Ce qui s’est passé avec cette pandémie est la même chose que ce qui s’est passé avec la crise de 2008. Les gens se disaient : "Comment cela a-t-il pu se produire ? On ne l’a pas vu venir." Et puis vous découvrez plus tard : peut-être que c’est parce que tous ces putains de journalistes sont en cheville avec ces gars de Wall Street et les voient comme les maîtres de l’univers, et ne les couvrent pas très efficacement, parce qu’ils pensent que ces mecs sont des putain de génies.
Taibbi : C’est également similaire dans le sens où les procédures de sécurité et de conformité sont défectueuses au sein de ces entreprises, mais les journalistes ne veulent pas s’approcher de ces histoires, parce qu’ils ont peur de contrarier leurs sources.
Thacker : Ceux que nous avons, je ne les appelle pas des journalistes. Je les appelle des écrivains scientifiques. Les personnes qui écrivent pour Science, Nature, Scientific American, sont des personnes qui écrivent pour la science, pas sur la science. Ils considèrent que leur travail consiste à vous dire à quel point la science est géniale. C’est ce qu’ils font pour vivre.
C’est en partie ce qui se passe avec cette histoire de Pfizer. C’est la même merde qui s’est produite avec ces foutus vaccins. Parce que si vous observez ce qui s’est passé quand ces vaccins sont sortis, vous verrez qu’il y a une histoire dans le New York Times sur "Pfizer annonce", ou "Pfizer devrait demander l’autorisation", bla, bla, bla. Et puis, après quatre ou cinq paragraphes, tu descends et tu réalises : "Attends, c’est juste un communiqué de presse de Pfizer." Ce n’est pas une enquête ou quoi que ce soit. C’est un communiqué de presse de Pfizer. On vient de te présenter un putain de communiqué de presse comme un article d’enquête.
Ils font du journalisme de communiqué de presse. On peut en penser du bien ou du mal, mais le résultat - et personne n’en parle - c’est que ça crée toute une pression sociale sur la FDA pour l’approbation. Cela crée toute une attente parmi le public que le produit va arriver. Ainsi, au moment où vous vous présentez devant un panel de la FDA pour obtenir une autorisation, le produit a déjà fait l’objet d’un battage médiatique, ils ont eu un mois de presse positive.
Ils ont toujours joué à ce jeu. C’est juste qu’ils sont bien plus doués maintenant.
Matt Taibbi
Traduction "Fact Checkers, mon œil. Fuck Checkers, oui" par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles