J’ai été invitée jeudi dernier à une projection privée du documentaire de Matthieu Bareyre qui sort le 17 avril.
Je me suis mise tout au fond de la salle parce que dans beaucoup de documentaires les images bougent beaucoup trop. Les réalisateurs pensent peut-être que ça fait plus moderne, mais moi ça me donne le mal de mer !
J’ai vite été rassurée. La qualité, aussi bien visuelle que sonore, était au rendez-vous, bien que le film soit entièrement tourné de nuit. Rien à redire de ce côté.
Ma seconde crainte, c’était de m’ennuyer. Je savais que le film portait sur la jeunesse en révolte/recherche, un sujet que je connais trop bien en tant que grand-mère de quatre jeunes. Allais-je me payer une nouvelle leçon de morale sans issue ?
Je ne me suis pas ennuyée du tout. Le film n’a pas la prétention de nous apprendre quoi que ce soit ni de nous culpabiliser. Il nous fait voir les deux côtés de la pièce. Les témoignages de jeunes sincères, drôles ou désabusés sont entrecoupés de scènes d’affrontements avec la police qui vont crescendo comme dans un polar. Le contraste est si saisissant, entre ces jeunes de chair et de sang et les hordes de robocops déshumanisés, que notre cerveau se bloque.
On comprend que le réalisateur ait choisi Rose pour en faire l’héroïne de son film. On est ébloui par sa beauté, son intelligence, sa chaleur et sa vitalité. Le film commence avec elle et finit par la lecture du post qu’elle a mis sur son blog pour expliquer pourquoi elle ne voulait plus être française : « Apprenez qu’en moi il n’y a pas de peur, rien que la foi / Je ne possède rien / Et tout va bien ».
Tout au long du film, des jeunes de tous horizons défilent. On les voit danser, boire, faire les fous dans la rue, se battre contre la police. Ils nous parlent de leurs rêves (« J’ai rêvé que j’entrais dans la résistance » ; « J’ai rêvé que je me battais contre personne, j’étais humilié ! »), leurs angoisses (« J’ai peur de perdre ma mère » ; « J’ai peur d’être seule »), leurs désenchantements (« Les adultes nous projettent dans leur monde ! Je fais des choses qui ne me plaisent pas ! » ; « La France est un pays d’esclaves ! le salariat c’est l’esclavage, mais les gens aiment ça ! »), et leurs solutions (« Apprends d’où tu viens pour savoir qui tu es ! Apprends pour ne pas te faire manipuler. Quand tu sais parler on te prend au sérieux » ; « On est obligé de toucher leurs intérêts pour qu’ils nous écoutent ! Il faut leur faire peur c’est la seule solution. »)
Les rapports de pouvoir n’ont pas de secret pour eux. Ils savent qu’ils n’ont pas voix au chapitre (« TV bobards ! Ils se parlent à eux-mêmes ! » ; « On est délaissé ! » ; « Police partout, justice nulle part » ; « Ici ce sera bientôt comme aux EU, on travaillera jusqu’à la mort ! »), ils savent qu’il n’y a pas de place pour eux dans cette société, même s’ils ont des diplômes, et donc il ne leur reste que « les petits business, les petits vols... Si on vend pas de drogue on n’a pas un sou ! », la fête (voir la scène effarante où un barman fait sucer la bite de Clinton à "Monica") et la révolte.
Mais les trois solutions sont des impasses, même l’émeute car le vrai pouvoir, le pouvoir mondialisé et intouchable, leur oppose sa police et maintenant son armée. Les sans-dents et les sans-pouvoir s’entre-tuent pendant que les véritables criminels qui mènent le monde à sa perte continuent d’entasser leurs profits dans les paradis fiscaux.
Il faut sortir du système capitaliste, mais cela ne se fera sans doute que lorsque suffisamment de gens en auront compris l’absolue nécessité... Espérons qu’il ne sera pas trop tard !
Des films comme L’époque contribuent, avec brio, à cette prise de conscience et nous ne pouvons que nous en féliciter.
Bande annonce du film :