Saisie par un tribunal allemand dans le cadre d’un litige opposant une société de produits végétaux (Tofutown) et une association berlinoise de lutte contre la concurrence déloyale, la cour de justice européenne rend un arrêt (le 14 juin 2017) qui stipule : les produits purement végétaux ne peuvent pas, en principe, être commercialisés avec des dénominations telles que "lait", "crème", "beurre", "fromage" ou "yoghourt", ces dernières étant réservées par le droit de l’Union aux produits d’origine animale" (1). En gros, le lait de soja n’est pas du lait, pas plus qu’un fromage à base de tofu n’est du fromage ou que le "soy butter" n’est du beurre. Et pour ceux qui prétendraient avoir toujours connu ce genre d’appellations (lait/crème de soja, yaourt au soja ...), l’arrêt renvoie à une liste d’exceptions ("lait d’amande", "lait de coco", "beurre de cacao", "beurre de cacahuète", crème de marrons", "crème de cassis", "fromage de tête" ... cf le règlement n° 1234/2007 (2) + la liste de la commission européenne (3)), dans laquelle les produits à base de "soja" et "tofu" ne figurent pas.
A peu près à la même période, en France, ce sont deux marques de fromages végétaux (Petit Véganne et Tomm’Pousse) qui se voient interdire l’utilisation du mot "fromage" (même lorsqu’il est suivi du supplétif "végétal")(4). En cause, le décret n°2007-268 (datant du 27 avril 2007)(5) relatif aux fromages et spécialités fromagères, lequel réserve cette appellation "au produit ... obtenu à partir des matières d’origine exclusivement laitière ... lait, lait partiellement ou totalement écrémé, crème, matière grasse, babeurre, utilisées seul ou en mélange ..." Un décret dont on découvre l’existence avec l’émergence des produits végans, et dont on se demande pour le coup pourquoi il n’avait jamais été utilisé avant : les pizzas/lasagnes soi-disant au "fromage", mais qui contiennent en réalité un analogue (bon marché) vous connaissez ?
2018 : l’offensive "carniste" s’accélère. Plutôt que de résoudre des dossiers/litiges au cas par cas (en fonction des lois existantes), il s’agit désormais de prendre des devants (grâce à de nouvelles lois). A la manoeuvre, le député LREM Jean-Baptiste Moreau (éleveur bovin de profession), qui se trouve également être le rapporteur du projet de loi Egalim (Agriculture et alimentation)(6). En avril (lors de l’examen du projet de loi en commission des Affaires économiques), celui-ci réussit à faire voter un amendement sur les produits simili-carnés (7) ; un amendement qui interdit les appellations "steak", "filet", "bacon", "saucisse" à "des produits qui ne sont pas uniquement, ou pas du tout, composés de viande". Une manière, selon le député, de lutter contre "certaines pratiques commerciales trompeuses", mais aussi de défendre la filière agricole française (produisant, selon lui, "de la viande de qualité et de manière respectueuse"(8)).
Petit problème : en octobre (de la même année), le conseil constitutionnel annonce qu’il censure près d’un quart des articles d’Egalim (les jugeant sans lien avec l’objet initial du projet de loi) (9) ; dont l’article sur l’étiquetage végétarien. Qu’à cela ne tienne : le projet est retiré mais renaît l’année suivante (2019) sous forme d’une proposition de loi (portée par les groupes LaREM et MoDem à l’assemblée nationale). Baptisée "transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires", la nouvelle loi est finalement adoptée en décembre 2019 (10) ; avec un article du même acabit que dans le projet initial : "les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale ne peuvent être utilisées pour ... des denrées alimentaires comportant des protéines végétales" (article 2 Ter, obtenu grâce aux amendements de Marc Le Fur et Jean-Baptiste Moreau (11)).
En 2019, la question des appellations s’invite également au niveau européen. Ainsi l’eurodéputé français Éric Andrieu (PS), rapporteur de l’un des 3 volets de la réforme de la PAC (l’organisation commune des marchés), propose t-il de l’évoquer dans le texte de la nouvelle PAC (post-2020) (12) ; avec un amendement stipulant que "les désignations ’steak’, ’saucisse’, ’escalope’, ’burger’ et ’hamburger’" ... sont réservées exclusivement aux produits contenant de la viande" (13). Un amendement qui, lors de son passage en commission de l’agriculture et du développement rural (AGRI) du parlement européen (avril 2019), est approuvé par 80 % des votants ; lesquels se permettant même au passage quelques suggestions : remplacer l’appellation "burger" par "disque végétarien" par exemple ... (14)
Dernier épisode en date, en France, la montée au créneau de la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes), qui publie (en janvier de cette année) le compte-rendu d’une enquête qu’elle a menée sur les denrées végétales (15). Un compte-rendu dans lequel on peut lire que les produits végétaux "cultivent l’ambiguïté", "puisent dans le registre des produits d’origine animale" et utilisent des "dénominations de vente et de présentation qui peuvent tromper le consommateur". Curieusement, le texte reconnaît que les produits végéta*iens sont généralement beaucoup plus chers (2 à 4 fois plus chers) que leurs homologues "carnés", mais cela ne change apparemment rien à la tromperie (confondre un "bacon végétal", même plus cher, avec du vrai bacon, c’est possible, apparemment).
On peut trouver surprenant, à une époque de malbouffe généralisée (nourriture industrielle, fast-food ...), de campagnes de communication/publicité débridées (allégations santé, environnementales, sur le bien-être animal ...) et d’explosion de maladies dites "civilisationnelles" (obésité, cancer, diabète de type 2, maladies cardio-vasculaires ...), de constater à quel point nos politiques et institutions peuvent tout à coup se montrer pointilleux sur la question de la bonne information des consommateurs. Et s’intéresser pour le coup aux autres produits de consommation courants ; lesquelles devraient en principe être soumis aux mêmes obligations de transparence et d’information que les denrées végétales ... Ce qui est loin d’être le cas.
Connaissez vous les yaourts/desserts/confiseries à la vanille ... sans vanille ? La grande majorité de ces produits ne contiennent pas l’épice exotique (issue du fruit du vanillier) mais un agent de synthèse appelé vanilline. L’emploi du mot "vanille" est pourtant légal (Cf la directive 88/388/CEE (16), transposée en droit français par le décret du 11 avril 1991 (17) et l’arrêté du 11 juillet 1991 (18)) ; de même que le dessin d’une fleur/gousse de vanille sur l’emballage. Quant à l’appellation exacte du produit, combien savent la différence entre "arôme de vanille" ou "goût/saveur vanille" (qui correspond à la fausse vanille) et "arôme naturel de vanille" (vraie vanille) (19)(20). Autre subtilité : savez-vous
qu’un yaourt "goût vanille" peut comporter la mention "arômes naturels" si ce goût a été obtenu grâce à des ingrédients naturels (fermentation d’acide férulique à partir de son de riz ou de pâte à papier par exemple). Même chose pour les produits "goût pomme", ou "pêche", "fraise", etc., lesquels ne contiennent parfois pas d’autres fruits que ceux dessinés sur l’emballage.
Autre exemple : les ingrédients cachés. Savez-vous que certains produits censés être végéta*iens contiennent en réalité des produits animaux ? On peut citer le cas de la présure, une enzyme digestive récupérée dans l’estomac des veaux ou chevreaux et utilisée dans la quasi-totalité des fromages ; de la gélatine de porc ou de boeuf incorporée aux yaourts ; du castoréum, une sécrétion issue des glandes anales de castor et utilisé dans certaines sucreries ; des "colles" (ichtyocolle/poisson, gélatine/porc, caséine/lait de vache, blanc d’oeuf) utilisées dans la bière et le vin ; de certaines secrétions de l’insecte cochenille (acide carminique, shellac), que l’on retrouve dans certains jus de fruits, glaces, etc (21)(22)(23). Quelles informations pour le consommateur ? Certains ingrédients sont absents de l’étiquette (présure, colles), quand d’autres sont désignés de manière incomplète ("gélatine") ou par leur code alimentaire (E120/E904 pour la cochenille ...) (cf notamment le règlement n° 1169/2011 (24), articles 19, 21, annexes II, V)
Un manque de transparence qui touche aussi à la santé. Par exemple avec les graisses hydrogénées ; ces graisses dont on sait aujourd’hui qu’elles augmentent le risque de maladies cardiovasculaires et de cancer du sein ; et que l’on retrouve pourtant dans une multitude de produits industriels : viennoiseries, pain industriel, pâtisseries, biscuits, barres chocolatées, pâtes à tarte, plats préparés, margarines, chips, croûtons, soupes lyophilisées ... Le consommateur est-il suffisamment informé de la nocivité de ces graisses ? Et quand bien même le serait-il, sait-il que leur présence n’est pas forcément mentionnée sur l’étiquette ; que la simple mention "huiles ou graisses végétales" (sans le supplétif "hydrogénées") suffit ? (Cf le règlement n° 1169/2011, annexe VII.8)(25)(26)
Ingrédients cachés, appellations incomplètes, trompeuses ... Que pensent les adeptes de la transparence alimentaire des pizzas/lasagnes/cheeseburgers au "Lygomme ACH Optimum" ? Un substitut de fromage (ou "fromage analogue"), qui ne contient aucun lait, coûte environ 2 fois moins cher que le vrai et que les industriels se gardent bien de mettre en avant (27)(28)(29)(30). Un nom de pizza classique ("margarita", "reine blanche" ...), une belle photo sur l’emballage, et le tour est joué. Qui aura l’idée d’aller lire en petit (sur l’étiquette) la liste des ingrédients pour y détecter la présence du faux-fromage (mentions "galactomannane", "carraghénane" ou "E 407, 410,412, 417") ? Même chose avec le Scalamix, un produit composé à 50 % de mozzarella et à 50 % d’analogue, lui aussi utilisé pour diminuer (subrepticement) les coûts de revient.
Et enfin un dernier exemple dans le domaine des cosmétiques. "Ingrédients naturels", "d’origine naturelle" ... savez-vous que ces qualificatifs ne sont régis par aucune réglementation ? Juste une norme ISO (16128)(31), laquelle établit les considérations suivantes : un ingrédient est dit "naturel" si il n’a subi aucune transformation chimique, et "d’origine naturelle" si sa part naturelle est supérieure à 50 % (le reste étant obtenu grâce à des procédés chimiques ou biologiques). Des considérations qui n’empêchent pas un fabricant de mentionner que X % de son produit est naturel, alors que même que ces X % peuvent être constitués d’ingrédients inactifs (de l’eau par exemple) ; et qui ne l’empêchent pas non plus d’utiliser des substances controversées (silicones, sulfates, parabènes) dans le pourcentage de produit restant (32)(33).
On pourrait également parler des "minerais de viande" (aponévroses, tendons, nerfs, viscères ...) utilisés dans les plats cuisinés (34) ; des traitements employés pour changer l’apparence de certains produits (le jambon n’est pas rose sans nitrites/nitrates)(35) ; du manque d’étiquetage concernant le bien-être animal (conditions de vie, mutilations subies ...), de l’absence de traçabilité concernant les produits transformés (oeufs cage/plein air ?)(36), des publicités mensongères (animaux gambadant dans l’herbe ...)(37), etc. (38) Une liste trop longue pour ne pas percevoir le part-pris idéologique qui se cache derrière la problématique des appellations végéta*iennes. Un parti-pris qui montre aussi que les choses avancent. "D’abord ils vous ignorent, puis ils se moquent de vous, ensuite ils vous combattent et enfin vous gagnez" dit la maxime. On est apparemment passé au stade 3.