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L’institution totale (Sinistra in Rete)

1/ Quelques-uns de mes amis indiens m’ont écrit plusieurs fois pour avoir des nouvelles de l’épidémie de coronavirus en Italie. Dans ma dernière réponse, j’ai exprimé ma préoccupation sur le dénouement de cette crise, peut-être plus clairement encore que ses conséquences économiques et financières que j’arrive à peine à discerner.

La réponse de l’un d’eux m’a frappé en particulier. Je dois dire tout de suite que ce correspondant indien n’est pas un de ceux qui se baladent sur internet à la recherche d’informations extravagantes. C’est une personne de gauche, pacifiste qui encourage d’une façon militante le dialogue entre l’Inde et le Pakistan, qui déteste les fanatismes, elle est intrinsèquement tolérante et réfléchie. C’est aussi un excellent mathématicien, précédemment doyen du département de mathématique pure d’une prestigieuse université indienne, rationnel et ne croyant pas aux explications surnaturelles.

Voici ce qu’il m’a écrit :

cher ami, tu affirmes ne pas croire aux théories conspirationnistes. C’est très bien. Pourtant je perçois (I am feeling) que se prépare en réalité une grande conspiration (is brewing up).

Attention aux mots, parce que mon correspondant est une personne cultivée et méticuleuse, et elle ne les choisit pas au hasard : « is brewing up » signifie « se prépare », « est en train de fermenter ». Et donc mon ami n’affirme pas que la crise du coronavirus est le fruit d’une conspiration (presque indémontrable aujourd’hui et elle le sera probablement toujours, et elle reste sans importance, dans le discours politique que nous devons tenir). Il veut dire que la crise du coronavirus annonce, autorise (permette) une conspiration. Il précise ensuite ce qu’il veut dire par « conspiration » : « Pendant que nous sommes confinés chez nous, on peut ourdir toutes sortes de méfaits (all misdeeds are being hatched).

Ici mon ami mathématicien faisait référence à ma remarque selon laquelle, quelque soit ce que le Pouvoir décide de faire en ce moment (et il se passe des choses graves et très dangereuses comme nous allons le voir), nous ne pouvons pas nous réunir pour nous organiser et nous ne pouvons nous unir pour protester. Nous ne pouvons rien faire. Le confinement (lock down) est totalement asymétrique : la masse est soumise à une forme d’assignations domiciliaires, alors que les hommes du Pouvoir ne le sont pas (je me sers du mot ’Pouvoir’ comme terme collectif dénotant ceux qui prennent des décisions à l’abri de tout contrôle démocratique). L’asymétrie est justifiée suivant l’appellation sur ce qu’ « ils » pensent pour « nous ». La nation a été transformée en une institution totale, dont les citoyens ont été pratiquement hospitalisés en masse, et ceux qui se sont déjà trouvés assez longtemps dans un hôpital savent ce que signifie psychologiquement une institution totale à laquelle tu confies ta vie. Cela se produit donc parce qu’« ils » pensent à « nous » .

Que cela soit partiellement vrai, à cause du modus operandi et de la logique du Pouvoir du Territoire dont on a parlé, ne change rien aux données fondamentales que la gestion de cette crise soit opaque et structurellement anti-démocratique : tout doute, toute question, toute impression, toute étude, hypothèse non orthodoxe, sont traités comme autant d’attentats à la santé publique. Au minimum, ils sont victimes du mépris public à moins d’être dénoncés ou verbalisés comme moralement illégitimes dans la mesure où « ceux-là » pensent pour « nous ». Ceci est probablement le point le plus pernicieux : le Pouvoir pense à notre bien et donc il ne doit pas être contesté et encore moins entravé. Nous revenons mentalement et politiquement à l’absolutisme, nous reculons sur des siècles de progrès civil, juridique et politique. De la même manière que, jusqu’à aujourd’hui, ils nous avaient affirmé que TINA, there is no alternative, à l’enrichissement des riches, et à l’appauvrissement des pauvres parce qu’il y a la crise économique (une crise si bizarre qu’elle produit des milliardaires à jet continu), de la même manière, il n’y a pas d’alternative à la gestion de la crise sanitaire.

Tout recommence.

2/ le concept de « conspiration » entendu dans le sens de « préméditation » ne sert pas à expliquer ce qu’il arrive, parce que nous vivons en réalité un phénomène qui s’est répété souvent dans l’histoire et qui a été largement analysé.

En ce qui concerne une époque plus récente, Marx a plusieurs fois répété que les crises font faire au capitalisme des pas gigantesques que l’évolution courante des choses n’aurait pas permises. Et cela arrive, pourrait-on ajouter, quand quelqu’un sait gouverner les crises, sait les diriger ou sait aller dans le sens du vent. Il n’y a pas que Marx qui l’a dit, mais aussi l’un des plus grands économistes du XX siècle, Joseph Schumpeter avec sa théorie de destruction créative (schöpferische Zertörung).

Mais pour se rapprocher un peu plus de nous, le même concept a été répété par ailleurs par ceux qui nous ont fourré dans le piège de l’Euro . Ecoutez bien :

« Je suis certain que l’euro nous obligera à introduire un ensemble d’instruments de politique économique. Les proposer d’ors et déjà est politiquement impossible, mais un beau jour, il y aura une crise et l’on créera les nouveaux instruments (Romano Prodi dans le Financial Times du 4 décembre 2001).

« Ne soyons pas surpris si l’Europe a besoin de crises, crises graves, pour aller de l’avant » (Mario Monti, le 22 février 2001 à la conférence : « Finance : comportement, règles, institutions » organisé par l’université Luiss).

Et qu’il y a toujours eu une vocation totalitaire, cela a déjà été exprimé explicitement. Voilà déjà deux cas : le premier celui de Tommaso Padoa-Schioppa :

« Entre les deux pôles du consensus populaire et de la Leadership d’un dirigeant quelconque, l’Europe s’est faite suivant une méthode que l’on pourrait définir par l’expression : le despotisme illuminé » (commentaire n°87, 1999).

Le second est d’Helmuth Kohl :

« Je savais que je n’aurais jamais pu gagner un référendum en Allemagne. Nous aurions perdu le référendum sur l’introduction de l’euro. C’est assez clair. J’aurais perdu sept à trois. Dans le cas de l’euro, je me suis retrouvé comme un dictateur ». (The Telegraph, 9 avril 2013).

Mais terminons encore avec le très lucide Mario Monti, car il semble décrire ce qui arrive justement maintenant, d’une façon impressionnante :

« Il est clair que le pouvoir politique – mais aussi le sens d’appartenance des citoyens à une collectivité nationale – peuvent être prêts à de telles cessions [de souveraineté] seulement quand le coût politique et psychologique de ne pas les faire devient supérieur au coût de les faire, parce qu’il y a une crise en acte visible, avérée.

On dirait le manifeste de la crise Covid-19. N’est-ce pas stupéfiant ?

Aujourd’hui, le grand problème c’est que les personnes sont soumises à une pression psychologique du type terroriste (dans le sens propre de ’apte à susciter la terreur’) susceptible de convaincre de vastes couches de la population, que le coût de la désobéissance à n’importe quelle chose que le Pouvoir lui imposera avec la motivation de la santé publique pourrait être très élevé. Mais pas à cause de la répression qui peut toujours être combattue, mais à cause d’un mécanisme biologique invisible, et donc, comme dans Alien, effrayant parce qu’indétectable, un monstre que les Élus, et seulement les Élus, peuvent percevoir et combattre. Autant une crise peut être naturelle – et il faut voir dans quelle mesure un désastre ’naturel’ est naturel (même le désastre du Vajont, en 1963 en Italie, a été décrit ’désastre naturel’) elle peut toujours prêter à une utilisation politique.

Il ne s’agit plus de répression, donc, mais d’auto-répression sociale : si je me permets de sortir du chorus, je peux être mal vu, critiqué et même réprimandé par mes amis les plus intimes, mais aussi par les personnes qui me sont plus chères, qui le feront non pas tant pour leur que pour mon ’bien’. Je serais réprimandé parce que je n’ai pas démontré mon sens d’appartenance à la collectivité nationale.

Je ne veux certainement pas dire que Mario Monti est derrière toute cette histoire, mais seulement reconnaître sa subtilité et d’autre part que ces mécanismes sont bien connus et qu’ils ont déjà servi. Là, on en arrive au chef d’œuvre, parce que la vie, la santé, la souffrance physique (pas nécessairement la nôtre mais celle des êtres qui nous sont chers) constituent des leviers plus essentiels que l’économie. C’est un chef d’œuvre qui dépasse l’imagination dystopique d’un George Orwell.

La logique d’une chasse aux sorcières (dagli all’untore) est légitimée à coup sûr, elle s’intériorise et se déploie tous les jours dans la terreur agressive que l’on éprouve face à un ’joggeur’ qui passe près de vous ou face à un voisin dans la queue d’un supermarché qui s’approche trop. Cela en devient même instinctif désormais pour celui qui rédige ces lignes. C’est comme une invasion des Profanateurs. Personne ne peut sembler immune, même si asymptomatique que j’apparais.

Je vous le répète : ils ont réalisé un vrai chef d’œuvre !

3/ Pour combattre le coronavirus, l’OTAN s’est re-compactée lors d’une récente réunion en ligne des différents ministres des affaires étrangères, autour du général US Tod D. Wolters, occupant « le rôle de guide de la coordination au soutien militaire » face à l’« ennemi invisible » alors que les visibles comme ils l’ont répété dans la réunion, étaient le terrorisme, et notez bien, les campagnes de désinformation de la Russie et de la Chine.

Mais aujourd’hui plus personne ne peut se réunir pour protester et rappeler que le soutien de l’empire américain et de ses vassaux au terrorisme djihadiste a commencé à l’époque de la guerre en Afghanistan, pour continuer avec la guerre en Bosnie et s’étendre à la Libye, à la Syrie et au Yémen. Et en vue de la phase 2, on se prépare afin que celui qui soutiendrait de telles choses et d’autres vérités aussi inconfortables soit réduit au silence en tant qu’agent de la désinformation russe et chinoise. Car il est clair que la « désinformation » provenant des ces deux puissances, se déploira essentiellement dans les pays de l’OTAN.

Le général Wolters sera donc notre maître dans le lutte contre le coronavirus. Ce général devant le Sénat américain a déclaré officiellement être « un ’fan’ de l’utilisation flexible de la première attaque [nucléaire] (https://youtu.be/KUMqQFZNvcY)

Une admission d’une telle gravité connaît peu de précédents. Et on ne pourrait se mettre à protester publiquement en demandant au gouvernement de se démarquer d’une alliance conduite par un dangereux docteur Strangelove. Non ! Il faut avoir peur du coronavirus mais pas d’une guerre nucléaire.

On fait confiance à celui qui se déclare ’fan’ de l’idée de faire éclater un guerre qui peut conduire à la fin de l’humanité justement quand la moitié de l’humanité est confinée chez elle à cause de la peur d’un virus. C’est formidable !

4/ Dans d’autres régions, les menaces sont dans un état plus avancé. Elles se déroulent toujours à l’enseigne de la lutte contre le coronavirus ou tout autre piège sanitaire quand les personnes sont dominées psychologiquement et confinées chez elles.

La France a envoyé vers la Guyane française un navire de guerre de 200 mètres pour – tenez-vous bien, porter de l’aide contre le coronavirus, aux français d’outremer.

En ce moment, la Guyane française compte 83 cas et aucun décès. Même si elle a besoin de 69 lits d’hôpital, est-ce que cela ddevrait vraiment être ceux d’un navire de guerre de 200 mètres avec un pont d’atterrissage de 5000 mètres carrés ? Bien sûr que non, même en comptant que sur un navire, les espaces sont réduits et donc le risque d’infection augmente. En fait, le président Macron a déclaré que ce navire partait pour une « opération militaire sans précédent » dans le cadre de « la guerre contre le coronavirus ». Cette déclaration pourrait résonner absurde pour n’importe quel idiot. Mais personne n’ose broncher. La Grande Bretagne envoie parallèlement un navire de guerre vers – surprise, surprise – la Guyane britannique, juste à côté. Et le États-Unis envoient une flotte de guerre dans la mer des Caraïbes. Au milieu de ces navires, il y a le Venezuela. Un pays important politiquement qui a la plus grande réserve de pétrole au monde. Mais personne n’est là pour ça, que diable. En fait, les États-Unis descendent jusque là « pour combattre une guerre contre le narco-trafic » (et donc, au fond, toujours pour la santé publique). Pour la gagner, ils doivent défaire le chef de ce narco-trafic, qui se trouve être par hasard Nicolas Maduro, incidemment président démocratiquement élu de ce même Venezuela. Un récit qui dépasse par manque de pudeur plus encore que celui de la fameuse preuve de Colin Powell.

Pour arriver à ce résultat, les États-Unis n’ont techniquement aucun besoin d’un navire français et d’un navire britannique. Mais ils en ont besoin politiquement. De même, comme en Syrie, ces deux vieilles puissances coloniales veulent ainsi faire partie du jeu, aux côté des USA. En contrepartie, ils obtiendront des avantages. Peut-être que les USA s’inventeront un incident du genre Golfe du Tonkin bis à l’encontre d’un navire européen afin de mieux faire taire les critiques que l’on pourrait émettre depuis le vieux continent et renforcer plus encore le rideau de fer qui sépare l’Europe d’un côté de la Russie et de la Chine, un rideau qu’ils construisent depuis l’époque du coup nazi de Kiev.

De la science fiction ? Certainement pas ! Ces trucs sont déjà arrivés et ils peuvent très bien se reproduire.

5/ Tout cela se passe pendant qu’est en cours une expérience de stérilisation cognitive politique et sociale, d’hibernation collective des neurones et du sens critique.

Une expérience qui sera menée par intermittence, puisqu’on ne peut assigner une nation entière à résidence pour une période indéfinie et parce que la pression doit être réduite par moments. Ces intervalles de « liberté » seront exploités pour faire croire que l’on retourne à la normalité démocratique et détourner les soupçons. En réalité cette fameuse phase 2 sera caractérisée par la pré-installation d’instruments de censure et par une campagne des media mainstream pour que la censure soit acceptée comme « naturelle », comme un instrument évident pour la sauvegarde du salut public. Le mot d’ordre sera : « assez de fake news ! » ou plutôt assez de celles qu’une clique d’ « experts » officiels et de « media sérieux » définira comme « fake news ».

La salve des media préparatoires a déjà été commencée et il apparaît que l’on se concentre sur deux objectifs : la diffusion sur les opérations de l’industrie agro-bio-technologico-pharmaceutique et sur le télé-numérique, les deux socles de la « reprise » industrielle et commerciale. Dans cette bataille ressortiront alors les sujets des vaccinations obligatoires et de l’introduction par étapes forcée du 5G.

Les seigneurs de ces filières seront les nouveaux dieux de l’Olympe ou des portes des enfers du Green Capitalism, le capitalisme 3.0, et ils auront tous le soutien du Ministère de la Vérité Scientifique.

Cela faisait longtemps que je me demandais ce qui pourrait remplacer le vieux capitalisme désormais en crise qui ne réussissait pas à se débarrasser de ses origines calleuses et souillées : le carbone et l’acier.

Maintenant je le sais. Et je sais aussi, et que je répète incidemment, que cela fera ressurgir, après presque un siècle pendant lequel elle était resté assoupie, la question paysanne. Dans le monde entier. L’alliance entre les deux super-puissances est déjà à l’action. Et nous devrons reparler de ce qu’elles entendent faire.

En ce qui concerne la finance, l’unique difficulté sera de comprendre à quel point la crise coronavirus est près de l’éclatement de la méga bulle financière qui s’est reformée après l’éclatement de 2007 et des subprimes. Pour formuler des hypothèses, il faudra d’abord voir où va aller l’aventure européenne. De toutes façons, le problème analytique n’est pas « si » mais « quand » et, en quelle mesure, la nouvelle très violente crise financière impliquera aussi la Chine.

Piotr

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