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Le Bélarus sans masque (médiatique)

Photo : couloir dans le ministère de la Santé de la République du Bélarus, Minsk (L.Ramirez)

Confrontée à la pandémie du COVID-19, la République du Bélarus est également la cible d’une campagne de dénigrement.

Grigory Ioffe est professeur de géographie à l’Université de Radford aux Etats-Unis. Né en Russie, il a écrit plusieurs articles sur les pays de l’espace post-soviétique et a publié deux livres sur la République du Bélarus. Russophone, il a interrogé à plusieurs reprises le président Alexandre Loukachenko au cours de ses séjours dans le pays. Lors d’un entretien avec ce dernier, en juillet 2011, il a abordé la question de « l’interdiction des applaudissements ». A cette époque, une série d’articles était parue relayant cette information : le régime bélarussien aurait menacé d’arrêter toute personne surprise en train d’applaudir durant la parade annuelle du 3 juillet (Fête nationale). La raison ? Face à la répression policière, l’acte serait devenu un symbole d’opposition au gouvernement de l’autoritaire Loukachenko. Partout cette information fut reprise, y compris sur la chaîne d’information continu Euronews. « Aurais-je dû dire à Euronews que cela était faux ? Que nous n’avions pas interdit d’applaudir ? » questionna le dirigeant à son interlocuteur. « Peut-être écrire quelque chose à ce sujet » répondit Grigory Ioffe. « Comment ? Où ? (…) Et nous devrions écrire que nous n’avons pas interdit les applaudissements ? C’est absurde » rétorqua le Président avant de conclure : « Une guerre est en cours. Ils ont lancé une guerre contre notre pays. Pour l’instant, Dieu merci, ce n’est qu’une guerre de l’information (…) Comment puis-je combattre Euronews, BBC et CNN ? Comment ? Ils ne me donneraient même pas un temps d’antenne » [1].

Alexandre Loukachenko est un dirigeant habitué aux attaques médiatiques. Qualifié de « dernier dictateur d’Europe » par la plupart des journaux étrangers, il alimente régulièrement ses détracteurs de déclarations insolites qui sont rapidement détournées à son encontre. La crise sanitaire mondiale liée à la pandémie du COVID-19 leur a offert une nouvelle occasion de pointer du doigt les sorties « farfelues » du dirigeant. « Les clowns du Corona : le président du Bélarus dit que la vodka et le sauna peuvent soigner » titrait le journal britannique The Sun le 29 mars 2020 [2]. « Le tracteur et la vodka soigneront le Bélarus du coronavirus affirme son dirigeant » pouvait-on également lire dans le quotidien britannique The Times [3] ; « Loukachenko, le dernier ‘négationniste’ du coronavirus » dans le média espagnol La Vanguardia pour qui le président « continue de ne pas prendre au sérieux la pandémie » et « recommande de la vodka, un sauna et un tracteur » [4]. Des phrases reprises et moquées par un grand nombre de journaux qui font suite aux déclarations d’Alexandre Loukachenko dans lesquelles celui-ci conseillait de « boire un peu de vodka » et de se rendre « au sauna » pour fortifier l’organisme face au virus. Son éloge du travail dans les champs et de la bonne santé des paysans, résumé par la phrase « le tracteur guérira tout le monde », est rapidement devenu sujet de raillerie à son tour. Il est certain qu’à l’heure où la plupart des gouvernements européens mettent en place des mesures de confinement drastiques pour leur population, les commentaires de M. Loukachenko apparaissent comme « hors sol ». De plus, le gouvernement du Bélarus s’est démarqué de la plupart de ses homologues européens en refusant la fermeture des établissements et espaces publics et l’annulation d’évènements collectifs (notamment les matchs de foot). « Ces irréductibles despotes qui se moquent du COVID-19 » titrait le journal français Les Echos dans un article publié le 8 avril 2020. Pour les auteurs du texte, les « dirigeants de régimes autoritaires », comme Alexandre Loukachenko, « s’obstinent à nier la présence du virus sur leur sol et sa dangerosité » [5]. Ces derniers semblaient oublier que c’est précisément le gouvernement français qui, actuellement, est la cible d’importantes critiques quant à sa gestion de la pandémie, notamment pour son « déni » de l’urgence à ses débuts. Rappelons que le 21 janvier 2020, la ministre de la Santé Agnès Buzyn déclarait que « le risque d’introduction en France est faible mais ne peut pas être exclu ». Le 14 février, 11 cas étaient recensés en France et aucune mesure de confinement n’avait encore été prise. Il a fallu attendre le 12 mars, date à laquelle le pays avait enregistré plus d’un millier de personnes contaminées et près de 19 décès pour que le président Emmanuel Macron annonce des mesures de confinement qui ont été mises en place à partir du 16 du même mois. Les autorités décidèrent même de maintenir l’organisation du premier tour des élections municipales, le dimanche 15 mars, malgré les polémiques. A cette date, le Bélarus n’avait enregistré encore aucun décès lié au COVID-19 (le premier contaminé était recensé le 28 février).

Plusieurs pays, à l’instar du Bélarus, ont décidé de ne pas appliquer une politique de confinement à grande échelle. C’est le cas des Pays Bas, de l’Islande ou encore de la Suède. « Pandémie. Confinement : pourquoi la Suède résiste ? » titrait Le Courrier International le 26 mars 2020 [6]. Beaucoup plus clémente à l’égard du pays nordique, la presse internationale n’a fait que s’interroger sur « l’exception suédoise » sans pour autant parler d’une politique « ubuesque » (traitement réservé à Alexandre Loukachenko). La situation y était pourtant beaucoup plus alarmante que dans l’Etat du Bélarus. « Le modèle suédois contre COVID-19 montre des signes de faiblesse » titrait le média Heidi.news [7], le 6 avril 2020, en soulignant que le taux de mortalité dans le pays augmentait « plus vite » que « chez les voisins scandinaves ». Le 14 avril 2020, la Voix du Nord annonçait que cette monarchie constitutionnelle avait dépassé la barre des 1.000 morts liés au virus avec plus de 11 000 infectés [8]. Le même jour, la République du Bélarus recensait 3281 infectés et 33 morts [9].

« Ils diffusent de fausses informations et affirment que le Président du Bélarus veut que les gens se soignent avec le tracteur, la vodka, le sauna… vous savez, c’était une blague. Et dans chaque blague il y a un brin de vérité » déclarait Alexandre Loukachenko en faisant notamment référence aux médias russes qui ont amplement relayé les commentaires. « il n’y a pas longtemps on m’a cité un certain Kleimyonov qui raconte en Russie que nous avons plein de contaminés et que nous cachons des informations » a poursuivi le dirigeant. Agacé, il s’est directement adressé à ses détracteurs : « Laissez-nous tranquille ! Nous ne vous avons rien demandé. Nous faisons de notre mieux pour prendre soin de nous, nous-même. Venez au Bélarus et voyez les choses de vos propres yeux ». Loin d’avoir supplanté ses infrastructures hospitalières par des usines de tracteurs ou de vodka, la République du Bélarus dispose en effet d’atouts non négligeables pour faire face à la pandémie. Héritier directe du modèle soviétique, le système de santé est resté une priorité de la politique publique de l’Etat. En 2008, la revue de l’Observatoire européen des systèmes et politiques de santé écrivait ceci dans un rapport sur le pays : « Le Belarus a réussi à maintenir un système de santé qui fournit un ensemble de soins à la population entière, qui est généralement gratuit pour le bénéficiaire. Cet accomplissement est remarquable compte tenu de la crise économique que le pays expérimenta dans les années 1990 et d’autant plus recommandé vu le contexte des perturbations passées dans les pays de l’ancienne Union soviétique » [10].

Une situation qui semble être bien différente aujourd’hui dans certains pays de l’Union européenne. L’irruption du COVID-19 y a ravivé le débat sur la diminution de moyens et les politiques d’austérité appliquées durant les années précédentes. Symbole de cette polémique, en France, les déclarations de 2007 de l’ancien ministre du Budget Eric Woerth, « nous avons réduit le nombre d’hôpitaux en France, et cest une bonne chose » et « Il y a trop de lits d’hôpitaux en France » [11], sont réapparues sur les réseaux sociaux et dans les médias. En Espagne, l’ancienne députée et présidente de la région de Madrid, Cristina Cifuentes, était l’invitée d’une émission de télévision durant laquelle un infirmier d’un hôpital public de la capitale était interrogé sur la situation par rapport au COVID-19. Celui-ci interpella celle qui fut une dirigeante incontournable de la droite espagnole en lui rappelant les résultats de sa politique : « Les 200 respirateurs dont on a besoin en urgence vont sauver des vies (…) Mme Cifuentes qui est ici présente peut le confirmer, ces 200 respirateurs ont sûrement disparus durant son mandat, tout comme les 120 lits de notre hôpital qui ont disparu en 2012 et les 90 collègues qui ont été licenciés » [12]. Les rapports du Programme des Nations unies pour le développement confirment cette baisse du nombre de lits d’hôpitaux par habitant dans les exemples cités. En France, entre 2000 et 2009, la moyenne était de 72 lits pour 10.000 habitants et en Espagne, à la même période, 34 lits. Entre 2007 et 2014, la France comptait désormais 64 lits et l’Espagne 31. Le Bélarus enregistrait, sur les mêmes périodes, une moyenne de 112 puis 113 lits pour 10.000 habitants. La plus haute moyenne du continent européen. De plus, les autorités bélarussiennes informaient récemment que le pays disposait de 38 respirateurs pour 100.000 habitants, rappelant que d’autres, comme les Etats-Unis ou le Royaume Uni, disposaient de beaucoup moins d’appareils [13].

« La Biélorussie laisse mourir ses habitants » écrit le journaliste Andreï Vaitovich (d’origine bélarussienne) dans une tribune publiée dans le journal Libération, le 15 avril 2020, et qui s’intitule sobrement : « La Biélorussie, une menace sanitaire et démocratique pour l’Europe » [14]. Le 1er avril, le premier ministre de la Lituanie avait déjà mentionné le Bélarus comme un risque de « foyer incontrôlé » du COVID-19 [15]. Une déclaration qui n’avait pas manqué de refroidir les relations entre les deux pays. Mise en place de mesures de confinement pour les étrangers qui arrivent sur le territoire, postes de contrôle pour des dépistage sur les grands axes autoroutiers, autorisation pour les écoliers d’étudier à distance… il existe toute une série de mesures qui prouve que le gouvernement du Bélarus n’a jamais « nié » l’existence du virus. Dès le 12 février 2020, l’agence de presse nationale Belta informait que l’entreprise d’état Slavyanka avait lancé la production de masque « compte tenu de l’apparition du nouveau virus » et ceci « afin de munir les Bélarusses d’un matériel de protection et éviter la panique » [16]. Représentant de l’OMS dans le pays, Batyr Berdyklychev déclarait, le 13 mars 2020, qu’il n’y avait « aucun cas de transmission incontrôlée ».« Des mesures strictes ne sont pas recommandées à ce stade - ajoutait le spécialiste - du point de vue de l’OMS, ce que fait le Bélarus est suffisant pour le moment. Des mesures plus sévères pourraient être proposées si la situation changeait » [17].

Ainsi, le Bélarus semble avoir choisi une stratégie de mitigation. « Nous avons développé notre propre tactique de lutte contre cette maladie infectieuse. Nous n’avons pas détruit notre système, nous avons toujours des hôpitaux spécialisés dans les maladies infectieuses à Minsk et dans les régions. Ils sont bien équipés et c’est ce qui nous sauve aujourd’hui » a affirmé Alexandre Loukachenko. Conscient d’être observé et que chaque erreur sera amplifiée par la caisse de résonance médiatique, il a ajouté : « Nous ferons tout pour que chacun reste en vie, surtout maintenant que nous devons prouver que nous sommes capables de nous battre pour chaque personne et de vaincre cette maladie (…) Une fois que tout cela sera terminé nous verrons qui avait tort, qui avait raison » [18].

Loïc Ramirez

[1Extraits du livre : « Reassessing Lukachenka, Belarus in cultural and geopolitical context » Grigory Ioffe, Palgrave Macmillan, 2014.

[9Chiffres disponibles sur le site internet du ministère de la Santé de la République du Bélarus. Une page recensant les cas de Covid-19 a été créée : http://stopcovid.belta.by

[10Belarus, Health system review. European Observatory on Health Systems and Policies, 2008, page 105.


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