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La politique étrangère de la nouvelle vice-présidente des États-Unis

En août 2019, le Conseil pour les Relations Internationales a invité Kamala Harris, alors candidate démocrate à l’élection présidentielle de 2020, à exprimer ses positions sur douze questions de politique étrangère. Un entretien très intéressant qui permet de mieux comprendre la vision géopolitique de la future vice-présidente des États-Unis, et qui ne laisse entrevoir aucune évolution significative en matière de politique étrangère…

1. Comment, le cas échéant, le traitement réservé par la Chine aux Ouïgours et la situation à Hong Kong devraient-ils affecter la politique américaine globale vis-à-vis de la Chine ?

Le bilan désastreux de la Chine en matière de droits humains doit figurer en bonne place dans notre politique à l’égard de ce pays. Nous ne pouvons pas ignorer la détention massive par la Chine de plus d’un million de musulmans ouïgours dans des « camps de rééducation » dans la région du Xinjiang, pas plus que son recours généralisé à la surveillance à des fins de répression politique et religieuse. Nous ne pouvons pas ignorer le non-respect par Pékin des droits et de l’autonomie de la population de Hong Kong et l’usage excessif de la force par le gouvernement de Hong Kong contre des manifestants pacifiques. Le président Trump a toujours fermé les yeux sur ces exactions dans l’espoir de remporter une victoire dans sa guerre commerciale, tout cela en vain.

Sous mon administration, nous coopérerons avec la Chine concernant des questions mondiales comme le changement climatique, mais nous ne laisserons pas les violations des droits humains rester sans réponse. Les États-Unis doivent retrouver leur propre autorité morale et travailler avec les nations partageant les mêmes valeurs pour défendre avec fermeté les droits humains en Chine et dans le monde entier.

2. Reprendriez-vous votre place dans le PAGC ? (Plan d’action global conjoint, accord de Vienne sur le nucléaire iranien) de 2015 ? Le cas échéant, quelles modifications de l’accord existant exigeriez-vous avant d’accepter de réintégrer l’accord ?

Oui. Le retrait unilatéral du président Trump d’un accord qui permettait d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire et dans des conditions possibles à vérifier – allant ainsi à l’encontre des avertissements de nos plus proches alliés, et sans aucun plan pour envisager la suite – était plus que téméraire. Depuis, nous n’avons pu que constater l’escalade, et ce, des deux côtés. Soit l’administration Trump aspire à une nouvelle guerre désastreuse au Moyen-Orient, soit elle a passé deux ans à faire des rodomontades sans aucun résultat.

En fonction de la situation actuelle, j’envisagerais de rejoindre le PAGC si et seulement si l’Iran revient également à une application des termes qui soit vérifiable. Dans le même temps, je chercherais à négocier avec l’Iran pour prolonger et compléter certaines des dispositions existantes de l’accord nucléaire, et je travaillerais avec nos partenaires pour contrer le comportement déstabilisateur de l’Iran dans la région, notamment en ce qui concerne son programme de missiles balistiques.

3. Seriez-vous prêt à signer un accord avec la Corée du Nord qui conduirait à un allègement partiel des sanctions en échange d’un éventuel démantèlement de son programme d’armes nucléaires sans aller jusqu’à une dénucléarisation totale ?

Permettez-moi de commencer par dire ceci : Je vous garantis que je n’échangerai pas de lettres d’amour avec Kim Jong-un. Le président Trump a accordé à Kim une victoire de relations publiques après l’autre, sans obtenir de réelles concessions, de sorte que le prochain président aura un sérieux travail à accomplir.

A terme, nous ne pouvons pas accepter que la Corée du Nord soit un État doté d’armes nucléaires. Mais il est clair qu’exiger directement la dénucléarisation complète est une garantie d’échec ; nous devons travailler en étroite collaboration avec nos alliés pour contenir et inverser les menaces à court terme posées par Pyongyang tout en travaillant à long terme à cet objectif.

Dans toute négociation avec la Corée du Nord, nous devons procéder avec un grand scepticisme compte tenu de nos expériences passées. J’envisagerais un allègement ciblé des sanctions pour améliorer la vie du peuple nord-coréen si le régime acceptait de prendre des mesures sérieuses et qui puissent être contrôlées pour réduire son programme nucléaire. Et cet allègement devrait être immédiatement réversible si le régime revenait sur ses engagements.

4. Quelles mesures prendriez-vous, le cas échéant, pour contrer l’agression russe contre l’Ukraine ?

Tant en Ukraine qu’en Géorgie, la Russie a eu recours à la force militaire pour s’emparer de territoires et saper les gouvernements démocratiquement élus. L’occupation illégale de la Crimée par la Russie est une grave violation des lois internationales qui guident le monde depuis la Seconde Guerre mondiale – tout comme l’est le soutien de la Russie aux opérations de combat dans l’est de l’Ukraine et ses cyber-attaques. Des milliers de personnes sont mortes à cause de l’agression de la Russie, parmi lesquels 298 civils tués lorsqu’un missile russe a abattu le vol 17 de la Malaysia Airlines en 2014.

En tant que présidente, je continuerais à soutenir l’Ukraine et à veiller à ce que les États-Unis soient sans équivoque dans leur affirmation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. J’accorderais également la priorité à la collaboration avec le gouvernement ukrainien pour renforcer son armée, sa société civile et lutter contre la corruption, tout en travaillant étroitement avec nos partenaires européens à une solution diplomatique. Et contrairement à l’occupant actuel de la Maison Blanche, je me dresserai constamment en opposition à Poutine pour défendre les valeurs démocratiques, les droits humains et l’État de droit international.

5. Vous engageriez-vous à retirer complètement les troupes américaines d’Afghanistan d’ici la fin de votre premier mandat ou exigeriez-vous que certaines conditions soient remplies avant de le faire ?

Comme je l’ai dit à maintes reprises, cette guerre en Afghanistan doit prendre fin. J’ai eu l’honneur de rendre visite à nos courageux soldats et aux professionnels de la sécurité nationale l’année dernière, et au cours de mon premier mandat, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour parvenir à une solution politique – si ce n’est déjà fait – qui nous permette de les ramener chez eux de manière responsable.

Personne ne peut prédire ce que fera le président Trump d’ici 2021, aussi dès que je prendrai mes fonctions, je réunirai nos responsables militaires, nos conseillers à la sécurité nationale et nos diplomates de haut niveau pour coordonner et mettre en œuvre ce plan de retrait. Je reconnais pleinement l’importance de la diplomatie et du développement pour le succès en Afghanistan, et je veux m’assurer que le pays est sur la voie de la stabilité, que nous protégeons les acquis des femmes afghanes et des autres personnes, et qu’il ne devienne plus jamais un refuge pour les terroristes.

6. Étant donné l’assassinat de Jamal Khashoggi et l’implication de l’Arabie saoudite dans la guerre civile au Yémen, quels changements apporteriez-vous, le cas échéant, à la politique américaine à l’égard de l’Arabie saoudite ?

Tout d’abord, nous devons mettre fin au soutien que les États-Unis apportent à la guerre désastreuse menée par les Saoudiens au Yémen, qui a provoqué la pire crise humanitaire au monde. C’est exactement ce que j’ai voté au début de l’année. J’ai également voté pour bloquer la vente d’armes à l’Arabie Saoudite, elles ne font que contribuer à la poursuite de cette atrocité. Malheureusement, le président Trump a opposé son veto à ces deux mesures. Il s’est tenu aux côtés de Riyad, fermant même les yeux sur l’odieux assassinat du journaliste américain Jamal Khashoggi.

Les États-Unis et l’Arabie saoudite ont toujours des domaines d’intérêt commun, tel que la lutte contre le terrorisme, où les Saoudiens ont été des partenaires solides. Et nous devrions continuer à œuvrer en coordination sur ce front. Mais nous devons réévaluer fondamentalement nos relations avec l’Arabie saoudite, en utilisant notre influence pour défendre les valeurs et les intérêts américains.

7. Êtes-vous en faveur d’une solution à deux États pour le conflit israélo-palestinien et, si oui, comment vous y prendriez-vous pour y parvenir ?

Israël est un allié essentiel, un ami et sa sécurité est une priorité absolue. Je suis entièrement favorable à la solution de deux États, parce que c’est le meilleur moyen de garantir l’existence d’un état d’Israël juif, démocratique et en sécurité. Les Palestiniens devraient avoir le droit de se gouverner eux-mêmes, dans leur propre État, dans la paix et la dignité, tout comme les Israéliens méritent une patrie sûre pour le peuple juif.
Si tous les Américains ont intérêt à une résolution pacifique du conflit israélo-arabe, il n’en reste pas moins que la paix ne peut être obtenue que si les parties elles-mêmes parviennent à un accord. Les États-Unis peuvent – et devraient – être un partenaire constructif dans ce processus. Malheureusement, alors que, dans le passé, les États-Unis ont été considérés comme un intermédiaire honnête ayant un réel désir de paix dans la région, les actions de Trump ont exacerbé les tensions dans la région, diminué la crédibilité et l’influence des États-Unis et miné les perspectives de paix. En tant que présidente, je commencerais par réaffirmer l’engagement des États-Unis en faveur de la sécurité et de la prospérité d’Israël, tout en travaillant simultanément à la reconstruction des relations brisées entre les États-Unis et les Palestiniens. De tous nos partenaires internationaux, les États-Unis sont les mieux placés pour favoriser les négociations de paix, mais pour que cela ait une chance de réussir, nous devons commencer par renouer un dialogue honnête et respectueux avec les deux parties.

8. Quelles mesures supplémentaires, le cas échéant, les États-Unis devraient-ils prendre pour écarter Nicolás Maduro du pouvoir au Venezuela ?

Ne vous y trompez pas, Nicolás Maduro est un dictateur répressif et corrompu qui est responsable d’une crise humanitaire sans précédent. Le peuple vénézuélien mérite le soutien et la solidarité des États-Unis. Nous devrions commencer par étendre immédiatement le statut de protection temporaire aux Vénézuéliens qui ont fui la brutalité de Maduro, ce que le président Trump a refusé de faire.

Nous devrions également fournir aux organisations humanitaires internationales une aide supplémentaire destinée aux résidents et réfugiés vénézuéliens. Et nous devrions continuer de soutenir les efforts diplomatiques multilatéraux en vue d’une transition pacifique vers de nouvelles élections régulières, ce qui doit être le but ultime.
Finalement, nous devrions écarter l’intervention militaire américaine de la table des négociations. Le conseiller à la sécurité nationale John Bolton voudrait nous faire croire que le choix par rapport au Venezuela est entre l’indifférence et l’invasion. C’est une fausse alternative, et je la rejette.

9. D’ici 2050, selon les projections des Nations unies, l’Afrique comptera 25 % de la population mondiale. Quelles sont les implications de ce changement démographique pour les États-Unis, et comment devrions-nous ajuster nos politiques pour les anticiper ?

Le continent africain est dynamique, divers et riche de potentiel, sa population est la plus jeune et sa croissance la plus rapide du monde. Il y a tant d’intérêts importants en jeu en Afrique, depuis le renforcement de la sécurité mondiale jusqu’à la promotion d’une prospérité partagée. Les États-Unis doivent agir dès maintenant et établir des partenariats diplomatiques et économiques solides avec ces nations sous peine de voir des pays illibéraux comme la Chine et la Russie combler les lacunes. Malheureusement, le président Trump porte atteinte aux relations et aux opportunités des États-Unis dans cette région importante. Sa description des nations africaines comme des « pays de me*de » n’était pas seulement extrêmement insultante, c’était également une erreur très grave. Il a sapé la diplomatie américaine et miné les efforts visant à renforcer la sécurité, à prévenir les pandémies, à soutenir les institutions démocratiques et à accroître les investissements américains.

En tant que présidente, je m’attacherai à faire progresser en Afrique les relations que le président Trump a laissé dépérir – et je le ferai d’une manière qui soit conforme aux valeurs américaines. Nous devons défendre la démocratie, les droits humains, la liberté économique et le développement. Je re-dynamiserai la diplomatie américaine sur l’ensemble du continent, soutiendrai la croissance économique et approfondirai avec les partenaires africains les engagements en matière de sécurité.

10. Dans quelles circonstances, le cas échéant, seriez-vous favorable à l’adhésion des États-Unis à l’Accord global et progressif pour le partenariat trans-Pacifique (CPTPP), anciennement Partenariat trans-Pacifique ?

Comme je le dis depuis longtemps, je m’opposerai à tout accord commercial qui ne tiendrait pas compte des intérêts des travailleurs américains et qui ne rehausserait pas les normes environnementales, et malheureusement le TPP n’a réussi aucun de ces deux tests. J’ai également fait part à l’époque de mes inquiétudes quant au manque de transparence du processus.

Dans mon administration, les groupes tant des travailleurs que de la société civile auront toujours un siège à la table pour veiller à ce que les accords commerciaux atteignent ces objectifs importants. Et je pense que c’est exactement ce dont nous avons besoin – des accords commerciaux pro-travail, pro-environnement – parce qu’il est clair que l’approche protectionniste de Donald Trump a été un désastre. Sa guerre commerciale écrase les agriculteurs américains, tue les emplois américains et punit les consommateurs américains. Je travaillerais avec nos alliés en Europe et en Asie pour mettre la Chine face à ses pratiques commerciales inquiétantes, et non pour perpétuer la guerre tarifaire ratée de Trump, qui est payée par les Américains qui travaillent dur.

11. Comment décourageriez-vous la prolifération des centrales électriques au charbon dans les pays en développement ?

Tout d’abord, je réintègrerai l’accord de Paris, afin que le monde comprenne que l’Amérique est sérieuse quand elle dit vouloir relever le défi le plus complexe et le plus important de notre temps : le changement climatique. Si nous voulons réussir, alors les pays, les états et les villes doivent entrer dans la transition pour mettre fin aux sources de combustibles les plus sales de la planète. Les gouvernements du monde entier devraient fermer les centrales à charbon potentiellement dangereuses, et non en ouvrir de nouvelles, et cette nécessité devrait être au centre de chacune de nos relations bilatérales. En plus d’exercer des pressions diplomatiques, les États-Unis peuvent mieux encore aider leurs partenaires du monde entier à effectuer la transition énergétique nécessaire en leur prodiguant des conseils techniques, un soutien politique et un accès aux capitaux.

Nous devrions également jouer un rôle de premier plan en obligeant les institutions internationales à utiliser leur influence pour mettre fin aux subventions en direction des combustibles polluants. Et nous devrions investir massivement dans la recherche et le développement d’énergies propres et le stockage de pointe de l’énergie, et faire en sorte que les technologies de transformation déjà développées ici même aux États-Unis soient appliquées à l’échelle mondiale.

12. Quelle a été la plus grande réalisation des États-Unis en matière de politique étrangère depuis la Seconde Guerre mondiale ? Quelle en a été la plus grande erreur ?

La plus grande réalisation de la politique étrangère américaine a été la communauté d’après-guerre des institutions internationales, des lois et des nations démocratiques que nous avons contribué à construire. Pendant des générations, les présidents issus des deux partis ont mis en place un réseau de partenaires solides. Ces pays ont contribué à notre prospérité, ont travaillé avec nous en temps de guerre et de paix pour faire face à certaines des crises internationales les plus graves et pour relever un certain nombre de défis générationnels.

Notre plus grande erreur a été de mettre en péril tous ces progrès et réalisations en nous engageant dans des guerres inefficaces qui ont fait des victimes, déstabilisé les régions dans lesquelles elles ont été menées et sapé notre leadership au sein de la communauté internationale. Pour aggraver les choses, le président actuel semble décidé à nuire davantage encore à la crédibilité des États-Unis en faisant fi de la diplomatie, en se retirant des institutions et des accords internationaux, en repoussant nos alliés, en prenant le parti des dictatures au détriment des démocraties et en faisant preuve d’une incompétence absolue dans ses processus décisionnels.

Source : Council Foreign Relations, 21-08-2019

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