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La tyrannie du faux expert

Le culte de la compétence va désormais jusqu’à l’idolâtrie ; de ce fait, nous sommes passés de la censure à l’ostracisme moral et au lynchage à l’égard de quiconque ose exprimer une opinion, un doute, un avis à contre-courant, sans posséder la « peau d’âne » de rigueur certifiant, avec la spécialisation, l’appartenance au cercle des experts reconnus.

Ainsi donc, on ne peut parler de droits si on n’est pas constitutionnaliste, de devoirs si on n’a pas un rôle au gouvernement qui vous rende conscient des prérogatives et des obligations qu’on est tenu de faire respecter par le peuple, de science, dans son ensemble, sans distinctions entre les diverses disciplines – car il s’agit d’une religion et d’un credo, avec son Eglise dégagée des lois et des règles sociales – de gestion du Covid, si on ne peut présenter, avec le pass sanitaire et le certificat de vaccination, un certain nombre de connaissances et de parents qui en ont été affectés, et enfin d’air pur et d’oxygène si on n’est pas pneumologue.

Il semble qu’il soit même interdit de parler de mort, puisqu’on ne peut pas se targuer d’en avoir une expérience directe, à moins qu’elle ne soit causée par la peste contemporaine qui la rend spéciale, la distinguant d’effets collatéraux (bombes sur les civils au cours de campagnes humanitaires, accidents du travail le plus souvent attribuables à la négligence et la légèreté du capital humain, cancer et autres maladies effacées de la liste des tristes maux du siècle).

Ainsi, pour prendre un exemple, dans un éditorial du Corriere della Sera, Paolo Mieli dénonce le caractère superficiel, grossier, irrespectueux et ignare de ceux qui ont ridiculisé les dernières prestations de Biden. Eh bien ! oui, récrimine-t-il, « il y a quelque chose d’inapproprié dans les moqueries, les remarques par endroits inutilement offensantes par lesquelles se trouve ces jours-ci submergé le président des Etats-Unis... ». Car, déplore-t-il, depuis que les talibans sont entrés à Kaboul, il ne s’est pratiquement pas passé un instant sans qu’ «  un commentateur improvisé des affaires asiatiques se soit senti en droit d’expliquer au chef d’Etat américain les erreurs qu’il a commises », accompagnant le blâme de « déplaisantes considérations sur sa culture, sur sa préparation et même sur son état mental ».

En somme, pour dire que vingt ans d’occupation insensée d’une nation après une invasion rien moins que réclamée par les indigènes et pacifique – elles ne le sont jamais – des milliards de dollars de coût économique, des milliers de morts, la perte de valeurs identitaires et culturelles, la création d’une classe dirigeante corrompue et l’entraînement de contingents militaires qui ont pris leurs jambes à leur cou dès qu’un taliban s’est montré, lui livrant généreusement armes et bagages, des attentats programmés qui devaient alimenter le regret nostalgique d’un passé récent, il faut une spécialisation qui vous permette de vous risquer – si on n’est pas gériatre – à un diagnostic hasardeux de démence, après avoir vu ce vieux bonhomme, observant les mains derrière le dos les chantiers de la guerre, trébucher, se troubler, tomber en montant une échelle, incapable même de lire le prompteur.

Pour ne pas parler des sujets de la « civilisation », des droits des femmes et des hommes, de la sauvegarde de l’histoire, des mémoires et traditions séculaires, de la laïcité et de l’autonomie vis-à-vis des ingérences ecclésiastiques qui imposent une éthique publique, en régime d’exclusivité pour ceux qui peuvent revendiquer l’appartenance à une culture supérieure, la culture occidentale, comme il m’est arrivé de le lire sur Limes sous la signature de Mauro Bussani, insigne professeur d’Université de Droit comparé, qui écrit : «  S’attendre à ce que l’Etat de droit occidental fonctionne n’importe où signifie oublier l’Histoire. Une culture des droits imperméable aux dérives autoritaires et aux extrémismes religieux demande du temps et des efforts ».

Eh oui ! dit-il, « il est grotesque et en même temps dramatique de penser que l’Etat de droit étasunien et occidental puisse fonctionner partout, exactement comme sur ses terres d’origine, seulement parce que la force et le prestige des puissances chez lesquelles il est né l’ont diffusé dans une grande partie du monde  », comme on le sait en Amérique Latine, en Arabie, en Grèce, en Irak, en Afghanistan, en Afrique, mais aussi à Comiso, Sigonella [en Sicile], Aviano en Sardaigne, où des territoires entiers ont été transformés en polygones militaires et où l’on teste des armes qui ne répondent pas aux exigences du principe de précaution dans leur patrie, et qu’il est donc préférable d’expérimenter dans de lointaines provinces qui ont depuis longtemps renoncé à l’Etat de droit et à la souveraineté.

Il est vraiment réconfortant de penser que nous sommes des pays qui possèdent les anticorps, ces pré-requis, peut-être anthropologiques qui, selon l’illustre Professeur, expliquent que «  l’articulation de nos institutions juridiques est restée pour l’essentiel imperméable au parcours des régimes totalitaires au XXe siècle » – sauf, a-t-on envie de dire, quelques insignifiants dommages collatéraux. «  Tout cela, écrit-il, a représenté jusqu’à aujourd’hui une promesse et une garantie de dépassement de toute contingence autocratique, une sorte de sérum biotique contre tout totalitarisme ».

A part la remarque naturelle que le professeur est possédé lui aussi par la sémantique de la narration pandémique, il y a lieu de soupçonner que, parfaitement en ligne avec l’Europarlement, il réserve uniquement la dénomination d’origine contrôlée de « totalitarisme » aux extrémismes opposés condamnés par l’UE et l’OTAN, excluant de cette liste restreinte l’extrémisme économico-financier et l’idéologie néo-libérale qui l’inspire et qui a pour objectif déclaré la démolition des Etats, de leur qualité identitaire, pour imposer des valeurs globales, et de l’Etat de droit qui fait partie de leur souveraineté, des formes participatives, démocratiques et populaires.

On comprend qu’il y a quelque chose d’émotif, la perception d’une incertitude et une instabilité nouvelles chez ces orphelins du gendarme du monde qui a montré sans retour la faiblesse de sa pensée forte avant encore que de son action. Et de fait, même dans la rubrique Etranger de nos respectables journaux, se fait jour un doute qui ronge les convictions anciennes : la façon dont les choses ont fini ne fait-elle pas penser qu’elles n’auraient peut-être pas dû commencer il y a vingt ans ? Que, quelle qu’ait été l’origine de cette décision insensée (mettre la main sur les immenses ressources en hydrocarbures et minerais précieux de la zone, s’affirmer comme un avant-poste contre le risque suprématiste de la Chine et de l’Inde, vaincre la concurrence de Poutine, l’assassin, en creusant dans ces gisements, et de Xi, le délinquant (toujours selon les définitions méditées de Biden) à la tête d’un pays qui est devenu l’usine planétaire de toutes sortes de choses) – de toute façon le résultat est une faillite et signe le déclin de l’Occident et de l’impérialisme selon les paradigmes de Washington qui pensait arrêter le processus dit d’ « asianisation ».

Les commentateurs spécialisés, les voix de leur maître sont vraiment déconcertés, troublés, sonnés : ils doivent prendre acte du fait qu’il y a vingt ans, la prise de Kaboul et l’expulsion des égorgeurs se sont faites par la force des bombes et que les barbares sont revenus et ont repris possession de « leur bien » sans coup férir.

On peut penser qu’ils craignent que le démantèlement des principes et stratégies de l’impérialisme hors des frontières nationales, que l’effondrement des pratiques coloniales contrôlées de loin, ne mettent en question leur adoption et application en interne, dans des zones politiques « homogènes » et des nations individuelles, exactement comme le fait chez nous Draghi [lire, pour nous, Macron – ndt], accroissant les inégalités géographiques, sociales, économiques et culturelles, conférant des pouvoirs, compétences et opportunités à un centre de direction monopolistique, autoritaire et répressif, effet d’une sélection sévère des sujets « productifs » dominants.
Et de fait, selon le Corriere della Sera – sous la signature de Gianluca Mercuri – la préoccupation des résidents des géographies de la civilisation supérieure est de savoir où on pourra désormais intervenir de façon licite et légitime pour exporter notre format de démocratie, notre modèle d’Etat de droit, notre style de vie, après cette faillite historique.

Eh oui ! aujourd’hui, il est difficile d’autoriser l’interventionnisme humanitaire, qui combine la compassion avec l’exercice de la maîtrise militaire, la pitié avec l’exportation de l’avidité, la corruption, la violence.

Mais ils peuvent être tranquilles, la tyrannie et le désir boulimique de prendre, accumuler et avaler de nouveaux biens trouvent toujours de nouveaux terrains de conquête et d’autres butins, d’autres gens à soumettre, humilier, désarmer et affamer, même chez soi.

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Une santé aux mains du grand capital ? L’alerte du Médiator.
Michel J. CUNY
Pendant plus de trente ans, un médicament, le Médiator, a réussi à défier le plus simple bon sens. Son histoire accompagne, et peut éclairer, celle de la montée en puissance des multinationales du médicament dont on découvre maintenant que les milliards qu’elles ont engloutis dans la recherche & développement n’ont à peu près rien produit du côté des améliorations thérapeutiques… En face de quoi, le flot des innovations est tout à fait démesuré : il permet de renouveler des brevets (…)
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Aussi longtemps qu’on ne le prend pas au sérieux, celui qui dit la vérité peut survivre dans une démocratie.

Nicolás Gómez Dávila
philosophe colombien

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