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Le 21 janvier 1924 : 90ème anniversaire de la mort de Lénine. Les derniers combats du père de la révolution russe

Jean-Paul Scot

Si je vous propose cet article au jour anniversaire de la mort de Lénine, ce n'est qu'après avoir beaucoup hésité.
Vous pourrez sans doute trouver mieux comme évocation de cette figure gigantesque de la théorie et de l'histoire.
La réduire, comme le fait ce texte, aux dernières années de sa vie et les dernières années de sa vie à sa méfiance à l'égard de Staline est une prouesse sophistique.
Il reste pour moi au moins le fait que cette URSS dont près de 70 ans d'histoire sont reniés pour ne laisser la place qu'à un vide théorique sans attrait, avait, par ses « Éditions de Moscou », diffusé dans le monde entier les « Œuvres complètes » dans toutes les langues.
Leur lecture, encore au beau temps où le PCF rayonnait de ses derniers feux, puisque c'est lui qui les traduisait et les diffusait, laissait pantois le lecteur et lui posait à chaque page la question suivante : mais quel est donc le rapport de cette méthode d'analyse avec ce que tu vis aujourd'hui ?
Certes, un pas a été franchi depuis, puisqu'il s'agit maintenant pour le parti qui a gardé la même appellation, de « rallumer les étoiles ».

Mauris Dwaabala

* * *

90ème anniversaire de la mort de Lénine. Les derniers combats du père de la révolution russe

Entre Lénine et Staline, il n’y a pas tant continuité que rupture, comme l’attestent les dernières volontés du père de la révolution, qui affirmait : « Nous ne sommes pas assez civilisés pour pouvoir passer directement au socialisme. »

Le 21 janvier 1924, à 18 h 50, tout juste informé des dernières décisions du Parti, Lénine est victime d’une ultime crise et s’éteint à cinquante-quatre ans, après avoir lutté dix-huit mois contre la maladie et l’angoisse quant à l’avenir de la révolution. Atteint depuis le 25 mai 1922 d’une attaque ayant entraîné la paralysie de son côté droit, il n’a repris partiellement ses activités intellectuelles qu’en septembre, aidé par sa femme, sa sœur et ses secrétaires. Il est déjà fort inquiet des positions de Staline sur la libéralisation du commerce extérieur et la remise en cause de l’indépendance des républiques soviétiques, quand il subit une deuxième attaque, le 16 décembre. Conscient qu’il va bientôt «  quitter les rangs  », il exige de pouvoir dicter quelques minutes par jour une «  lettre au Congrès  », appelée à tort son testament, et son dernier article publié le 4 mars 1923, «  Mieux vaut moins mais mieux  ». Une troisième attaque, le 10 mars, le prive de l’usage de la parole, mais pas de sa lucidité.

Conscient du conflit qui oppose Staline et Trotski alors qu’il tente de sauver la révolution dans une Russie soviétique épuisée par sept années de guerre mondiale et de guerre civile, Lénine n’entend pas désigner son successeur comme un monarque mais renforcer l’unité de direction du Parti et le rôle du Comité central. C’est prioritaire pour réorganiser l’État et activer le redressement du pays, ravagé et épuisé. Il invite donc le Comité central à surveiller ses dirigeants en jugeant leurs qualités et leurs défauts.

Lénine est conscient que Staline cumule trop de pouvoirs comme secrétaire général du Parti, dirigeant de l’Inspection ouvrière et paysanne chargée de contrôler tous les fonctionnaires, tout en intervenant comme commissaire aux Nationalités dans les affaires de la moitié des populations (non russes) de la Russie soviétique. On ne peut reprocher à Trotski, le chef de l’Armée rouge, son ralliement tardif au parti bolchevik, mais ses éminentes capacités ne doivent pas faire oublier son conflit avec les syndicats ouvriers lors de ses projets de «  militarisation du travail  ». Néanmoins, Lénine vient de lui demander de défendre ses vues sur le Gosplan et la question géorgienne.

Si les vieux bolcheviks Kamenev et Zinoviev ont commis des fautes révélatrices de leurs faiblesses avant la révolution d’Octobre, il faut maintenir l’équilibre de la direction du Parti en promouvant deux trentenaires très prometteurs, Boukharine, «  l’enfant chéri du Parti  », brillant théoricien pas toujours orthodoxe, et le très volontariste Piatakov qui a les mêmes qualités et défauts que Trotski.

Pourtant, dix jours après, Lénine exige que Staline soit démis du secrétariat général, parce qu’il a pris connaissance de ses violentes accusations contre les communistes géorgiens, qualifiés de «  social-nationalistes  ». C’est donc bien la politique de Staline qui explique le revirement de Lénine.

Lénine entend promouvoir au Comité central un grand nombre d’ouvriers qualifiés actifs et de spécialistes, et non des apparatchiks incompétents, afin de combattre la bureaucratie opportuniste à tous les niveaux dans l’appareil d’État et le Parti. Il veut lutter contre le nationalisme russe et le chauvinisme de grande puissance. Il met également en garde contre les erreurs à ne pas commettre dans la poursuite du processus graduel d’évolution révolutionnaire dans un pays arriéré, où l’industrie est effondrée, où le prolétariat est épuisé, où se pratique le «  commerce asiatique  ». Il faut à tout prix sauver l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, sur laquelle repose le pouvoir communiste, et donc prolonger la nouvelle politique économique : «  Il faut être pénétré, dit-il, d’une méfiance salutaire vis-à-vis de tout mouvement en avant brusque et inconsidéré, vis-à-vis de toute sorte de présomption.  » Boukharine en déduira, en 1928 : «  Pas de deuxième révolution  », quand Staline décide la collectivisation des terres et l’industrialisation à marche forcée.

La disparition de Lénine accélère le cours, déjà pris, des événements. Staline, en grand maître de cérémonie, organise les funérailles et inaugure le culte de la personnalité de Lénine. En dépit de l’opposition de sa veuve, son corps est embaumé avant d’être déposé dans la crypte d’un premier mausolée pour y recevoir l’hommage de tout le peuple soviétique. Petrograd devient Leningrad ; toute ville, toute entreprise, toute administration élève sa statue du père de la révolution. Staline forge le serment de fidélité : «  Nous te jurons, camarade Lénine,… » et Maïakovski, sarcastique, observe : «  La mort même d’Ilitch devient un grand organisateur du communisme.  »

Pourtant, Kroupskaïa a déclaré publiquement : «  Ne laissez pas votre deuil prendre la forme d’une vénération de la personne d’Ilitch… Mettons plutôt ses préceptes en pratique.  » Staline prétend s’y employer. Plutôt que d’épurer le Parti, la promotion «  Appel de Lénine  » double en un an le nombre de communistes au prix d’une baisse du niveau d’instruction et de conviction. Mais Staline se presse de rédiger «  Les bases du léninisme  » pour se présenter comme le meilleur disciple d’un maître dont il schématise et stérilise la pensée, et pour isoler Trotski qui préconise un cours nouveau. Mais, quand Kroupskaïa demande que le «  testament  » de Lénine soit présenté au futur Congrès du Parti, Trotski garde le silence, Kamenev et Zinoviev se portent garants des qualités de Staline, et la «  lettre au Congrès  » ne sera révélée en URSS qu’en 1956. Ainsi, le marteau du stalinisme a cloué le cercueil de Lénine.

Le « testament » de Lénine.

24 décembre 1922 : «  Le point essentiel dans le problème de la cohésion, c’est l’existence de membres du Comité central tels que Staline et Trotski. (…) Le camarade Staline, devenu secrétaire général, a concentré entre ses mains un pouvoir illimité, et je ne suis pas sûr qu’il puisse toujours s’en servir avec assez de circonspection. D’autre part, le camarade Trotski, comme l’a déjà montré sa lutte contre le Comité central dans la question du Commissariat du peuple des voies de communication, ne se fait pas remarquer seulement par des qualités éminentes. Il est peut-être l’homme le plus capable de l’actuel Comité central, mais il pèche par excès d’assurance et par un engouement exagéré pour le côté purement administratif des choses.  » Additif du 4 janvier 1923 : «  Staline est trop brutal, et ce défaut, parfaitement tolérable dans les relations entre nous, communistes, ne l’est plus dans les fonctions de secrétaire général. Je propose donc aux camarades d’étudier un moyen pour démettre Staline de ce poste… »

Jean-Paul Scot, historien, auteur d’Histoire de la Russie de Pierre le Grand à nos jours. État et société en Russie impériale et soviétique, Éditions A. Colin, 2000 et 2005.

 http://www.humanite.fr/tribunes/la-mort-de-lenine-les-derniers-combats-du-pere-de-557400
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COMMENTAIRES  

25/01/2014 13:41 par Gigi

"Leur lecture, encore au beau temps où le PCF rayonnait de ses derniers feux, puisque c’est lui qui les traduisait et les diffusait, laissait pantois le lecteur et lui posait à chaque page la question suivante : mais quel est donc le rapport de cette méthode d’analyse avec ce que tu vis aujourd’hui ?
Certes, un pas a été franchi depuis, puisqu’il s’agit maintenant pour le parti qui a gardé la même appellation, de « rallumer les étoiles ». Mauris Dwaabalaé "

Je suis très perplexe à la lecture de cet article !
Est-ce la présentation du livre de JP Scot ? Non !
"Si je vous propose cet article au jour anniversaire de la mort de Lénine, ce n’est qu’après avoir beaucoup hésité." dit l’auteur !
Il hésite à propos de quoi ? Et en quoi ces hésitations ont-elles valeur pour être publiées ? Que dit-il après réflexion ?
Fait-il la promotion d’un livre ? De Lénine ?
Le plus souvent, je dois relire les articles ou commentaires de ce Monsieur ! Je ne les comprends pas !
Voilà ce que cet article m’évoque : "« Les blessures d’un ami prouvent sa fidélité, Mais les baisers d’un ennemi sont trompeurs. »

Peut-on souhaiter la mort du PCF mieux qu’en étant Mauriss Dwaabalaé ?

25/01/2014 19:14 par Dwaabala

Il s’agit ici d’un texte publié par l’Humanité.fr le 21 janvier, qui a choisi ces lignes dans l’ouvrage de l’historien ; et dont j’ai effectivement beaucoup hésité à proposer à la publication à LGS, et j’explique simplement et clairement pourquoi à qui veut bien lire.
Les références sont données en fin d’article ; chacun pourra lire l’ouvrage dans son intégralité s’il le désire.
Je suis membre, cotisant, du PCF et non son croque-mort. D’autres rempliront peut-être cette fonction L’assistance au cours de ce qui paraît être une très longue agonie n’est guère réjouissante, c’est à suivre

26/01/2014 15:41 par Dominique

Cet article pose la continuité entre Lénine et Staline. Certains rejettent complètement Staline, d’autres l’admirent encore, et même beaucoup en Russie, et si l’on regarde les faits, ceux-ci montre que Lénine a sa part de responsabilité dans l’avènement de Staline. C’est Lénine qui a instauré la police politique qui allait devenir la Stasi. C’est aussi Lénine qui, avec son économie de guerre, a privé les soviets de tout pouvoir pour le donner au parti. Et comme le montre cet article, même à l’article de la mort, il voulait renforcer l’unité de direction du Parti et le rôle du Comité central. Tout ceci implique que l’opportunisme de parti qui allait donner Staline trouve son origine avec Lénine.

Depuis, bien des choses ont changé et les conditions historiques ne sont plus les mêmes. Le capitalisme est confronté à deux problèmes majeurs et nouveaux, la destruction de la nature et l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables, problèmes qui font qu’avec ou sans lutte des classes, il est de toute façon condamné. Dans ce contexte, la lutte des classes a un grand rôle à jouer, celui d’assurer un futur possible à l’humanité, car si nous laissons faire le capitalisme, il va nous la jouer comme en 14 et en 39 et précipiter l’humanité dans un nouvel holocauste mondial. Et vu les dégâts déjà causé à l’environnement, pas sur qu’il reste des survivants pour continuer le choc des civilisations avec des cailloux et des bâtons.

Les dirigeants de la grande puissance qui mène ce bal macabre ont prévu le coup et ils se sont fait construire des bunkers dans lesquels ils comptent pouvoir laisser passer un hiver nucléaire bien au chaud, ceci alors que leurs banques appellent à un retour des régimes autoritaires en Europe. Ce qui implique que ce qu’ils préparent pour l’Europe et la planète entière est encore pire que ce qui se passe aujourd’hui en ex Yougoslavie, en Irak, en Afghanistan, en Libye ou en Syrie. Leur consigne est pas de survivants, comme cela ils seront les seuls à se partager les ressources naturelles de la Terre lorsqu’ils sortiront de leurs bunkers.

Le rôle de la gauche aujourd’hui est d’empêcher ça. Et pour cela, au lieu de se compromettre avec les socialistes et les écolos, elle doit urgemment de poser les bonnes questions. Marx nous dit dans l’idéologie allemande :

« L’identité de l’homme et de la nature apparaît aussi sous cette forme, que le comportement borné des hommes en face de la nature conditionne leur comportement borné entre eux, et que leur comportement borné entre eux conditionne à son tour leurs rapports bornés avec la nature. »

Vu les dégâts déjà causé à la nature et notre capacité de nuisance, la seule possibilité de survie de l’humanité consiste pour elle à un retour aux valeurs qui firent son succès pendant des millions d’années, ceci avant qu’elle ne sépare l’homme de la nature, avant qu’elle ne sépare la culture de la nature, et se mette à lutter contre la nature :

« L’identité de l’homme et de la nature apparaît aussi sous cette forme, que le comportement harmonieux des hommes en face de la nature conditionne leur comportement harmonieux entre eux, et que leur comportement harmonieux entre eux conditionne à son tour leurs rapports harmonieux avec la nature. »

Pour moi, toute l’action de la gauche doit tendre vers cet idéal de renverser complètement le fondement même de ce que nous appelons une civilisation. Et pour cela il y a un moyen pratique très simple : l’économie doit être subordonnée non seulement à la satisfaction des besoins humains mais aussi et en priorité à la satisfaction des besoins de la nature. Et quand l’on voit que le capitalisme, avec la fuite en avant du tout à jeter à crédit, n’est même plus capable de satisfaire ses propres besoins et se prépare à un nouvel holocauste mondial, cela est urgent. L’alternative n’est plus communisme ou barbarie, mais respect de la nature et de l’humain ou disparition de l’humanité.

Dans les deux cas, la Terre s’en remettra. La seule différence est que sans la lutte des classes dans une perspective de construction d’une société basée sur le respect de la nature, elle s’en remettra sans nous.

26/01/2014 20:57 par Dwaabala

Plus de deux siècles après, l’interprétation de la Révolution française et du rôle de Robespierre sont encore l’objet de débats et d’oppositions virulentes.
Alors qu’il s’est agi d’une révolution qui mit les masses en mouvement mais dont les éléments dirigeants furent les bourgeois, et dont les dominants d’aujourd’hui sont les héritiers.
Alors on comprend mieux que sur la question d’une révolution prolétarienne, datant d’il y a moins de 100 ans les interprétations malveillantes aient encore de beaux jours devant elles.
La révolution d’Octobre fut l’un des plus grands actes d’émancipation sociale.
Dès Octobre 17 , les idéaux démocratiques et socialistes de la révolution d’Octobre commencent à inspirer non seulement les travailleurs et les paysans russes mais les masses exploitées et opprimées du monde entier, de tous les continents . Après Octobre 1917 , une grande majorité des travailleurs, des artistes , des intellectuels, des femmes et de la jeunesse progressiste du monde, se rallièrent peu à peu à la cause d’Octobre.
La Révolution russe a éliminé le tsarisme, éliminé les blancs contrerévolutionnaires, d’où la nécessité d’une police politique, puis Staline a développé son pays, a gagné la guerre contre les barbares nazis, a aidé les communistes et les résistants des autres pays. Certains regrettent l’ancien système soviétique, où les gens gagnaient leur vie en travaillant, même si ce n’était pas une société de consommation, ni une démocratie occidentale.......il faut voir d’où ils venaient.... et où ils sont.
La NEP, voulue par Lénine en 1921 et prévue pour durer longtemps, avec laquelle Staline rompit en à la fin des années 1920 introduisit une libéralisation de l’économie. Le pays sortait de la guerre, d’une révolution, d’une guerre civile et d’une famine... Elle rencontra des difficultés diverses.
Il s’agit de questions qui doivent s’étudier sérieusement et non pas à la seule lumière de ce qu’en disent les capitalistes et leurs organes de pensée.

27/01/2014 02:33 par Dominique

Je suis bien d’accord que la Révolution d’octobre 1917 fut un grand moment de l’histoire des luttes sociales. Dans mon commentaire précédent, j’aborde les cotés négatifs que l’ont peut résumer en une expression : l’opportunisme de parti. Cet opportunisme permet de comprendre la continuité entre Lénine et Staline, ceci alors que même des communistes qualifient Lénine de libérateur et Staline de dictateur. En réalité, le bilan de Lénine et Trorsky n’est pas tout blanc, et celui de Staline n’est pas tout noir. Par exemple, lors de la guerre civile, Lénine a été jusqu’à utiliser des anarchistes quand ça l’arrangeait, et à envoyer l’armée rouge de Trotsky juste après contre les mêmes anarchistes, ceci alors qu’ils étaient tout sauf des contre-révolutionnaires. C’est sur qu’après de telles bavures, une police politique peut être la bienvenue.

De plus, l’ouverture des archives du bloc de l’Est après sa chute ont montré que le procès de Trotsky après la mort de Lénine était certainement bien moins truqué que les procès fait par Trotsky sous Lénine contre tous ceux dont il voulait se débarrasser. Ce qui donne raison à certains textes de témoins de l’époque que l’on peut trouver sur marxists.org.

Ceci dit, je n’oublie pas que le communisme en Russie leur a permis de se débarrasser définitivement du Tsarisme, et sous Staline, de battre Hitler et de passer du féodalisme à une nation industrielle de premier plan, ainsi que de permettre de grandes avancées au niveau social. Je n’oublie pas non plus que si les dirigeants avaient des piscines et des sauna dans leurs datchas, de tels aménagements étaient très courant aussi dans les datchas populaires, ni qu’ils ont su développer des écoles remarquables à tous les niveaux. J’ai habité en Suède où il y a de nombreux immigrants des pays de l’Est. Nombre d’entre eux, dés que leurs enfants sont en âge d’aller à l’école, retournent dans leur pays d’origine car les écoles y sont meilleures que les écoles suédoises, ces dernières n’ayant rien à envier aux écoles publiques françaises ou suisses.

Il faut aussi voir encore une chose sur la révolution d’Octobre. Elle fut le fait avant tout des travailleurs des villes, lesquels n’étaient qu’une minorité en Russie à cette époque, et à une bien moindre échelle des paysans. Ceci c’était avant la guerre contre les puissances capitalistes qui allait se terminer en guerre civile. Après cette guerre, les prolétaires n’existaient quasiment plus car soit ils étaient morts pendant la guerre, soit ils avaient incorporé l’administration du parti. Cela est certainement un des éléments qui permettent de comprendre pourquoi la guerre contre les pays capitalistes a pu dégénérer en guerre civile en Russie, et peut-être même pourquoi Lénine a cru bon de se doter d’une police politique.

Quoi qu’il en soit, nous sommes aujourd’hui dans une situation bien différente car la majorité des citoyens des pays riches sont des prolétaires, et les champions de la police politique sont aujourd’hui tous des pays capitalistes, USA en tête. De plus, le désastre écologique est tellement avancé que nous ne pouvons plus, comme en 1917, nous contenter de poser que le but du communisme est de satisfaire les seuls besoins humains. Les deux problématiques, exploitation de l’homme par l’homme, et exploitation de la nature par l’homme, sont indissociablement liées. C’est pourquoi le communisme aujourd’hui doit aussi poser la satisfaction des besoins de la nature dans ses buts.

Marx s’est d’ailleurs très bien rendu compte que ces deux problématiques sont tellement liées qu’elles forment un cercle vicieux, et je m’étonne qu’il ne pose que la résolution d’une seule de ces problématiques dans le Manifeste communiste, ceci d’autant plus qu’il montre très clairement que c’est à partir du moment où l’homme à commencé à exploiter la nature que l’exploitation de l’homme par l’homme a commencé.

Un anthropologue contemporain comme Philippe Descola, même s’il n’est pas marxiste, ne dit pas autre chose sur le rapport de l’homme avec la nature. Pour lui et pour nombre de ses collègues, ce rapport est ce qui conditionne toute l’ontologie d’une société, c’est à dire qu’il conditionne sa vision du monde, son mode de vie et son évolution historique. Il dit aussi qu’il y a autant de formes de ce rapport de l’homme avec la nature que de formes de sociétés. Ce que dit Marx en plus est qu’à partir de ce rapport, la mise en place du mode de vie correspondant renforce la forme du rapport avec la nature ce qui à son tour renforce le mode de vie, et ainsi de suite pour le meilleur ou pour le pire. Aujourd’hui nous sommes dans un cercle vicieux du pire et il s’agit d’inverser ce cercle vicieux.

Ce qui implique qu’à partir du moment où nous sommes conscients de cette problématique, nous ne pouvons pas nous contenter de la résoudre que sur le plan économique mais que nous devons aussi agir consciemment et concrètement sur la cause première de ce cercle vicieux : notre rapport avec la nature. Et pour ça, je ne connais pas d’autres moyens que de subordonner l’économie non seulement à la satisfaction des besoins de tous, mais aussi à la satisfaction des besoins de la nature.

Ce qui me ramène à Octobre 1917. Celui qui a introduit le marxisme en Russie est Plekhanov. Il écrit dans son ouvrage le plus connu "La conception matérialiste de l’histoire" que « Marx va plus loin. Il demande quelles sont les causes déterminan­tes de la société civile, et il répond que c’est dans l’économie politique qu’il faut chercher l’anatomie de la société civile. Ainsi c’est l’état économique d’un peuple qui détermine son état social, et l’état social d’un peuple détermine à son tour son état po­litique, religieux et ainsi de suite. Mais, demanderez-vous, l’état économique n’est pas sans cause non plus ? Sans doute, comme toutes choses ici-bas, il a sa cause à lui, et cette cause, cause fondamentale de toute l’évolution sociale et partant de tout mouve­ment historique, c’est la lutte que l’homme mène avec la nature pour son existence. »

Cela n’a pas du tout le même sens que ce qu’écrit Marx dans "L’idéologie allemande" (qui n’est parue en version complète qu’après la mort de Marx, ce qui fait que Plekhanov n’a peut-être jamais eu connaissance de cela) : « L’identité de l’homme et de la nature apparaît aussi sous cette forme, que le comportement borné des hommes en face de la nature conditionne leur comportement borné entre eux, et que leur comportement borné entre eux conditionne à son tour leurs rapports bornés avec la nature. »

Marx montre que c’est un cercle vicieux qui tire son origine dans le rapport de l’homme avec la nature et que ce rapport est borné, alors que pour Plekhanov, si l’origine est la même, ce mouvement est linéaire. De plus, Plekhanov parle comme si ce rapport était fixé une fois pour toute, ce qui revient à en faire un véritable dogme biblique semblable à l’immuable conflit (lutte) du bien (l’homme) et du mal (la nature).. Au contraire, Marx ne parle que d’un rapport borné, et montre qu’il s’agit d’un cercle vicieux, ce qui permet de le briser et ainsi de changer cette cause de toutes les causes.

L’interprétation du marxisme par Plekhanov a certainement eu une grande influence sur la révolution russe et au-delà, et elle reflète pour moi un manque de cohérence entre le but recherché - la révolution sociale - et les moyens pour y parvenir - considérer que résoudre le problème économique puisse permettre automatiquement de résoudre les autres est un leurre. Résoudre le problème économique est un pas dans la bonne direction, mais en URSS, cela n’a pas suffit pour résister à l’épreuve du temps. Je ne dit pas que c’est la seule raison qui a poussé au retour du bloc de l’Est dans le capitalisme, la guerre dite froide des pays capitalistes contre le bloc de l’Est y est aussi pour beaucoup et peut-être même pour plus. Je dis simplement que cela n’a pas aidé à tenir la distance, et que si les communistes veulent voir leurs luttes progresser, ils doivent être cohérents et intégrer la problématique de l’exploitation de la nature dans leurs luttes de façon beaucoup plus visible que simplement dire "faisons la révolution et le problème écologique pourra être résolu". Même à Cuba, ce n’est que contraint et forcé par la chute de leur économie suite à l’effondrement du bloc de l’Est qu’ils ont fait leur révolution verte, et les communistes en occident devraient être beaucoup plus proactifs sur la thématique de l’exploitation de la nature afin de faire un contre-poids crédible aux verts, lesquels pour la plupart ne sont que des petits bourgeois capitalistes qui ne prennent que des mesures de petits bourgeois capitalistes.

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