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Le « socialisme du 21ème siècle » : ni économie à la soviétique, ni adaptation social-démocrate du capitalisme.

Le chapeau de Bolà­var, ou les leçons d’économie de Chavez pour l’Europe (The Guardian)

Alors que le Venezuela vit la conjonction inédite d’un boom de croissance et d’une baisse de l’inflation, grâce à l’intensification des investissements sociaux, la construction massive de logements, le contrôle des prix en faveur des secteurs populaires ; alors que le salaire minimum est le plus élevé du continent, nous publions le point de vue de l’historien Richard Gott, ex-rédacteur en chef du Guardian, auteur entre autres de "In the Shadow of the Liberator : The Impact of Hugo Chávez on Venezuela and Latin America" , Verso, 2001 ; « Cuba : A New History" , Yale University Press, 2004 ; et de « Britain’s Empire : Resistance, Repression and Revolt" , Verso, 2011.

Il y a quelques années, alors que je voyageais dans l’avion présidentiel de Hugo Chavez avec un ami français du Monde Diplomatique, on nous demanda notre avis sur la situation en Europe. Une évolution vers la gauche était-elle possible ? Nous répondîmes avec le ton déprimé et pessimiste qui caractérisait les premières années du 21ème siècle. Ni au Royaume-Uni ni en France, ni ailleurs dans l’eurozone, nous ne discernions la possibilité d’une percée politique.

« Dans ce cas, reprit Chávez avec un regard pétillant, nous pourrions peut-être vous venir en aide ». Il nous rappela l’époque de 1830 où les foules révolutionnaires arboraient dans les rues de Paris le chapeau de Simón Bolà­var, le libérateur vénézuélien de l’Amérique du Sud qui allait mourir quelques mois plus tard. Le combat pour la liberté, dans le style de l’Amérique Latine, était vu comme le chemin à suivre pour l’Europe.

Sur le moment, je fus encouragé mais pas convaincu par l’optimisme de Chávez. Ce n’est qu’à présent que je pense qu’il avait raison ; il était bon de nous rappeler qu’Alexis Tsipras, le leader du parti de la gauche radicale grecque Syriza, en visite à a Caracas en 2007, avait posé la question de la possibilité de recevoir à l’avenir du pétrole vénézuélien à bas prix, tout comme Cuba et d’autres pays des Caraïbes et d’Amérique Centrale. Il y eut ce bref moment où le maire Ken Livingstone et Chávez manigancèrent un accord pétrolier prometteur entre Londres et Caracas, rompu ensuite par Boris Johnson.

Plus important que la prospection de pétrole bon marché, il y a le pouvoir de l’exemple. Chávez s’est engagé au tournant du siècle, et même auparavant, dans un projet qui rejette les politiques néo-libérales affligeant l’Europe et une grande partie du monde occidental. Il s’est opposé aux recettes de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International et a bataillé avec force contre les politiques de privatisation qui ont abîmé le tissu social et économique de l’Amérique latine et avec lesquelles l’Union Européenne menace à présent de détruire l’économie de la Grèce. Chávez a renationalisé les nombreuses industries, dont celles du gaz et du pétrole, qui avaient été privatisées dans les années 90.

Les paroles et l’inspiration de Chávez avaient eu un effet au-delà du Venezuela. Elles ont encouragé l’Argentine à dénoncer sa dette ; à réorganiser son économie par la suite et à renationaliser son industrie pétrolière. Chávez a aidé le bolivien Evo Morales à administrer ses industries du gaz et du pétrole en faveur de son pays plutôt que des actionnaires étrangers, et plus récemment à stopper le vol par l’Espagne des profits de sa compagnie de l’électricité. Par-dessus tout il a montré aux pays d’Amérique Latine qu’il existe une alternative au seul message néo-libéral transmis sans fin depuis des décennies par les gouvernements et les médias rivés à une idéologie dépassée.

C’est l’heure où ce message alternatif doit être entendu plus loin encore, doit être écouté par les électeurs d’Europe. En Amérique Latine, les gouvernements qui mettent en oeuvre une stratégie alternative ont été élus et réélus constamment, montrant son caractère efficace et populaire. En Europe, les gouvernements de quelque couleur que ce soit qui appliquent le modèle néo-libéral semblent chuter au premier obstacle, montrant que la volonté du peuple ne suit pas.

Si Chávez et ses coreligionnaires de la nouvelle "Révolution Bolivarienne" ont appelé à un "socialisme du 21ème siècle", ce n’est ni pour revenir à une économie à la soviétique ni pour continuer l’insipide adaptation social-démocrate du capitalisme, mais comme l’a décrit le président de l’Équateur Rafael Correa, pour rétablir la planification nationale par l’État « en vue du développement de la majorité du peuple ". La Grèce a une occasion merveilleuse de changer l’Histoire de l’Europe et de lancer en l’air ses chapeaux de Bolivar comme le firent les Carbonari italiens à Paris il y a tant d’années. Lord Byron, qui avait l’intention de s’établir dans le Venezuela de Bolivar avant de faire voile pour contribuer à libérer la Grèce, baptisa son bateau « Bolà­var » ; nul doute que les évènements contemporains lui auraient plu.

Richard Gott

Londres, le 16 mai 2012.

URL de l’original (anglais) : http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2012/may/16/hugo-chavez-lessons-europe-greece

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

http://venezuelainfos.wordpress.com/2012/05/19/le-chapeau-de-bolivar-ou-les-lecons-deconomie-de-chavez-pour-leurope-par-richard-gott-the-guardian/

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COMMENTAIRES  

22/05/2012 21:06 par BM

Oui, tout ça c’est très beau, mais quid du facteur "extrême-droite" en Europe ? En Europe, les fachos ont une influence idéologique qui va bien au-delà de leurs scores électoraux.

Il faut aussi s’interroger sur l’ingérence états-uniennes dans les pays européens, particulièrement ceux de l’Otan : par exemple, achat de journalistes, de politiciens, d’hommes d’affaires... Les réseaux Gladio/Stay-Behind sont sans doute toujours présents et actifs. "L’Etat profond" en Europe est rarement mentionné dans les médias quels qu’ils soient (sauf peut-être lors de l’épisode dit des "Tueurs du Brabant" en Belgique dans les années 1980), mais son existence est une réalité.

Pour l’instant, il est évident que des gens comme Tsipras ou Mélenchon connaîtraient le sort d’Allende plutôt que de Chavez si ils arrivaient au pouvoir. Le pire scénario ne sera évité que si la gauche de gauche européenne reconnaît l’ampleur du danger et propose des mesures concrètes (c’est à dire, envisage sérieusement l’emploi de la force, en se méfiant des armées officielles otanisées jusqu’à la moelle) pour lutter contre la subversion états-unienne.

23/05/2012 17:07 par Annie Stasse

@BM soit une lutte armée ? nous n’avons aucunement pensé à ça.

cependant je dois avouée que j’en suis surprise, car je suis moi-même constamment sur une sorte de peur du pire qui pourrait avoir l’un de ces 3 visages (dont on peut additionner certains) :
le FN au pouvoir appuyé par les médias comme il est actuellement……
ou le gain par voix électorales… impossible pour cause de trafics des urnes
ou encore le meurtre de gens qui les gênent (vous savez qui en particulier).

maintenant nous attendons : nous votons avant les Grecs, Syriza va-t-il recevoir le vote espéré, l’Europe ne va-t-elle pas réagir avant tout le montre ces jours-ci.

J’avoue que j’ai été surprise après l’expérience des années 60/70 que l’Amérique du sud ait été laissé libre de ses choix électoraux par les EU, et que je continue à l’être chaque jour.

ils avaient choisi Hitler… ils pourraient recommencer.

23/05/2012 18:02 par Iyhel

@ BM : parce que vous croyez que la CIA et les diverses officines gouvernementales états-uniennes pour la promotion de la "démocratie" sont inactives en Amériques Latine ? L’accession et le maintien au pouvoir des Chavez, Correa, Morales, etc. (sans oublier Castro) montre justement la force du mouvement populaire qui les porte. Il n’y a pas de fatalité, nulle part, même avec des médias vendus à 90 % au(x) milieu(x d’affaires).

Tous ces peuples ne sont pas sortis d’affaire, loin de là , et les avancées sont fragiles mais nous avons la preuve qu’il y a un espoir.

23/05/2012 19:13 par Anonyme

l’Amérique du sud ait été laissé libre

Enfin… Tout est relatif quand on connaît le nombre d’attentats plus ou moins déguisés auxquels ont - pour l’instant - échappé les présidents progressistes d’Amérique Latine. Il faut dire que le passé, la mort d’Allende entre autres mais pas seulement, les a fort instruits et qu’ils ne croient pas un mot de ce que leur racontent la bouche en coeur les divers émissaires des « alliés » (USA et UE entre autres), plus ou moins cachés ou déguisés en leur contraire, qu’ils ont chacun à domicile.

En est-il de même en UE ? Où on croit encore ce que nous racontent les « bouches en coeur » et, par exemple, que les conspirations n’existent que dans le cerveau malade des « conspirationnistes » ?

23/05/2012 22:24 par BM

@ lyhel

Je suis d’accord qu’il n’y a pas de fatalité en Europe, ni nulle part ailleurs. J’imagine aisément que la CIA est "active" en Amérique Latine en ce moment : après avoir lu les livres de William Blum, j’ai du mal à me convaincre que le cancer de Chavez soit entièrement "spontané"...

Ce que j’essaye de dire, c’est qu’il ne faut pas se mentir et ne pas être naïf : pour que la gauche de gauche soit en mesure de mettre effectivement en oeuvre ses idées en Europe, il faudra en passer par des luttes qui ne se réduiront pas à marcher entre Bastille et République... Il faut être réaliste, dans le sens où il faut avoir conscience de la nature réelle de l’ennemi. La victoire ne sera possible qu’à la suite de cette prise de conscience.

Je ne vois pas tout en noir : pour moi l’ennemi (les forces de l’argent) en est réduit à une fuite en avant qui le rend vulnérable, il faut en profiter. Quand votre ennemi adopte la devise d’Alexandre VI (« Nous avons été si loin contre eux, qu’il faut nous assurer de tous pour qu’ils ne nous fassent point de mal. »), il y a là un danger certes, mais aussi une opportunité.

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