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Le Chili ou l’héritage d’une accumulation de luttes

La révolte au Chili fait écho à bien d’autres soulèvements contre des mesures néolibérales, telle la hausse du prix des transports au Venezuela, au Brésil, en Haïti ou encore en Équateur. Alors qu’en France, le mouvement des gilets jaunes, déclenché pour les mêmes raisons, célèbre son premier anniversaire, l’Iran est le dernier exemple de révolte contre une hausse de 50 % du prix de l’essence.

Au Venezuela, le traumatisme de la révolte du Caracazo réprimée dans le sang est encore tenace. En 1989, une série de mesures dictées par le FMI, appelée « le grand tournant » (El Gran Viraje), parmi lesquelles figure l’augmentation de 30 % du prix des transports et de 83 % du prix de l’essence, déclenche l’ire populaire. Ces contre-réformes sont présentées par le président Carlos Andrés Pérez pour obtenir un prêt d’environ 4,5 milliards de dollars du FMI sur trois ans. Comme au Chili aujourd’hui, dans un contexte au degré de violence incomparable, le gouvernement envoie plus de 9 000 soldats dans les rues pour mater la rébellion d’un peuple affamé. La Guardia Nacional, la Police militaire, et l’Armée de terre s’adonnent à une répression sans limite. L’histoire se termine en bain de sang qui entache encore aujourd’hui les annales de l’institution financière internationale la plus contestée. Aucun chiffre exact des assassinats n’a pu être établi, mais celui de 276 morts, avancé par le gouvernement de Carlos Andrés Pérez, est bien loin de la réalité, et de nombreuses sources parlent de 2 000 à plus de 3 000 morts entre le 27 février et début mars 1989.

L’insurrection chilienne fait également écho à la « révolte du tourniquet » (« Revolta da Catraca ») contre la hausse des tarifs de bus à Florianópolis, au Brésil, en 2004 et 2005. Celle-ci précédera la création du Mouvement pour les transports publics gratuits, le Movimento Passe Livre au Forum social mondial de 2005 à Porto Alegre. C’est dans cette même ville, huit années plus tard, en mars 2013, qu’éclateront les manifestations suite à l’annonce de la hausse des tarifs d’autobus, de 2,85 reais (environ 0,99 euros) à 3,05 reais (environ 1,06 euros), soit près de 7 % d’augmentation. La révolte s’étendra à l’ensemble du Brésil et débouchera sur des revendications plus larges, critiquant la politique du gouvernement et en particulier le choix des dépenses consacrées à l’organisation de la Coupe du monde de football de 2014 plutôt que de les consacrer à la santé ou à l’éducation.

Enfin, l’actuel processus révolutionnaire chilien d’octobre 2019 survient quelques jours seulement après la révolte contre le FMI en Équateur. Démarré le 3 octobre, le soulèvement insurrectionnel contre la suppression des subventions aux carburants qui fait multiplier par deux les prix à la pompe est d’une rare intensité et réussit à faire tomber le décret 883 tant décrié. Une victoire importante mais partielle, puisque les autres mesures contenues dans le « Paquetazo » (terme utilisé aussi bien durant le Caracazo qu’ici en Équateur pour désigner l’ensemble de contre-réformes du FMI) restent dans l’agenda politique du président Moreno, avec notamment une brutale régression du code du travail.

En Haïti, où environ 60 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour, la suppression des subventions aux produits pétroliers est l’une des clauses de l’accord signé en février 2018 avec le FMI. Le 6 juillet 2018, le gouvernement du président Jovenel Moïse annonce une augmentation de 38 % du prix de l’essence, de 47 % pour le diesel et de 51 % pour le kérosène. Des barricades sont alors hérissées dans les rues de Port-au-Prince, et le porte-parole du FMI Gerry Rice, s’empresse d’annoncer que le programme de réformes du FMI pourrait inclure « une approche bien plus progressive » pour réduire les subventions sur les carburants afin de calmer l’insurrection populaire. Mais l’augmentation du carburant, mesure retirée depuis, n’était que le détonateur.

Depuis le 16 septembre, une nouvelle vague de mobilisations déferle sur l’île pour réclamer la dissolution du Parlement et la démission du président Jovenel Moïse. Ce dernier, soutenu à bout de bras par les États-Unis et le Brésil de Bolsonaro, est englouti dans un vaste scandale de corruption à échelle industrielle. Lui, une dizaine de ministres, des parlementaires et autres entrepreneurs ont détourné des sommes colossales du programme PetroCaribe. Cet accord de livraison de pétrole à bas prix monté par le Venezuela d’Hugo Chávez, aurait permis aux finances publiques haïtiennes d’engranger plus de 2,5 milliards de dollars de 2008 à 2016, provenant de la vente des produits pétroliers acheminés du Venezuela afin de financer des projets humanitaires et la reconstruction du pays. Deux rapports de la Cour des comptes (du 31 janvier 2019 et du 31 mai 2019) pointent les détournements de fonds qui ont privé Haïti d’infrastructures de qualité, et ont accru le fardeau de la dette de la République d’Haïti envers la République bolivarienne du Venezuela. L’actuel président Jovenel Moïse, par ailleurs producteur et exportateur de bananes, est impliqué comme étant l’un des principaux dilapidateurs du Fonds PetroCaribe par le truchement de son entreprise agricole Agritrans. Il aurait ainsi empoché près d’une trentaine de millions de dollars pour des contrats de réfection de routes jamais réalisé.

La hausse des tarifs de transport entraîne l’augmentation du prix des aliments par leur acheminement depuis les zones de production et, dans un contexte de néolibéralisme effréné où les délocalisations sont monnaie courante, fragilise les employés qui se déplacent de plus en plus pour travailler. Il s’agit d’un enjeu stratégique pour de larges couches de la population paupérisées et l’annonce de nouvelles hausses sert souvent de détonateur à l’insurrection, prétexte à l’élargissement des revendications. En France, le mouvement des gilets jaunes qui fête ses un an d’existence en est une illustration. L’écrivaine et cinéaste franco-chilienne Carmen Castillo soulève l’apparition d’une similitude dans la praxis, à plusieurs milliers de kilomètres : « Comme en France, les protestataires ont investi ces quartiers chics, c’est complètement inédit. »

Dès le 6 octobre 2019, l’augmentation du ticket de métro a jeté la jeunesse chilienne dans la rue. Ce sont les étudiants qui, les premiers, ont lancé les actions de désobéissance pour frauder le métro et manifester contre la répression des autorités. L’organisation du mouvement porte l’héritage de la mobilisation estudiantine de 2001, dénommée Mochilazo ; de la révolution des pingouins enclenchée en avril 2006, appelée ainsi à cause des uniformes bleu et blanc des étudiant.e.s ; de la mobilisation estudiantine de 2011... Ces manifestations se déroulent pour défendre le droit à une éducation publique, gratuite et de qualité, qui romprait avec le système néolibéral hérité de la dictature militaire du dictateur Augusto Pinochet.

La particularité du processus révolutionnaire chilien ne tient pas au fait qu’il a surpris tout le monde puisque c’était le cas au Venezuela, au Brésil, en Équateur ou en France, mais plutôt parce qu’il se déroule dans le berceau du néolibéralisme. « Au milieu de cette Amérique latine pleine de convulsions, le Chili est une véritable oasis », se félicitait le président Sebastián Piñera le 8 octobre 2019. Dix jours plus tard, il décrétait l’état d’urgence et chargeait l’armée de contenir la rue.

Tribune publiée dans le journal L’Humanité du 27 novembre 2019.

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