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Le crépuscule des couards

En première ligne face à l’appétit des marchés européens et soumise aux plans de rigueur du gouvernement "socialiste" de Zapatero, l’Espagne s’apprête à entamer l’année 2011 sous le sceau de la mobilisation sociale. Conscient des importants défis qui s’annoncent, le premier secrétaire général du Parti Communiste, José Luis Centella, avait déjà annoncé aux militants, en guise de voeux pour la nouvelle année, qu’il était temps de « prendre des forces et de se préparer aux luttes qui nous attendent » (1). Le report de l’âge légal de la retraite de 64 à 67 ans, qui sera validé par le gouvernement le 28 janvier 2011, est pour le premier dirigeant communiste « une authentique déclaration de guerre qui exige pour réponse une grève générale » (2).

Une détermination offensive que ne semble pas partager les deux principaux syndicats du pays. Au micro de Catalunya Radio, le 13 janvier, Ignacio Fernandez Toxo, secrétaire général de CCOO (commissions ouvrières) et Candido Mendez, secrétaire général de UGT (union général des travailleurs) ont ainsi rassuré le pouvoir économique en écartant toute éventualité d’une grève avant le 28 janvier. Ignacio F. Toxo a assuré que ce choix résultait de l’existence « de signes et d’une volonté de parvenir à un accord » (3) avec le gouvernement. Face à l’abandon du rôle de défenseur des travailleurs de la part des deux syndicats majoritaires, c’est finalement une constellation de petits syndicats, principalement nationalistes, qui ont décidé de reprendre l’étendard de la grève générale.

Le 14 janvier la CIG, Confédération intersyndical de Galicie, a enregistré sa convocation pour la "folga xeral" (grève générale) le 27 janvier 2011. Le même jour les syndicats basques (ELA, LAB, STEE, EHNE et HIRU) ont également décrété un appel à la grève générale au Pays Basque et en Navarre. Très critique vis à vis des deux principaux syndicats, Adolfo Muñoz, dirigeant du syndicat ELA, a déclaré que la grève est le seul moyen cohérent face aux « agressions » d’une « classe politique qui est en train de couvrir tout cela et qui nous a laissé seuls » (4). En Catalogne, les organisations syndicales CGT, ainsi que la CNT et Solidaridad Obrera sont venues, elles aussi, renforcer le camp des partisans d’une grève générale. Dans ce climat de mobilisation sociale, les directions des syndicats UGT et CCOO semblent dessiner une séparation entre elles et la masse des travailleurs espagnols. Leur choix d’accompagnement de la politique de destruction des acquis de l’ensemble des salariés risque fortement de les discréditer en cette époque de crise où toute concession au capital est perçue comme une trahison. Alors que le pays vient à peine d’enterrer le communiste Marcelino Camacho (mort le 29 octobre 2010), fondateur de Commissions Ouvrières, le syndicat traditionnel du PCE semble ne plus sortir d’une spirale de dérive droitière dans laquelle s’est évaporée toute la politique d’affrontement de classe qui le caractérisait.

Pourtant les lignes bougent. La situation économique européenne a engendré une colère populaire au niveau continental que l’on a vu s’exprimer dans divers pays européens. Révoltes et grèves en Grèce, en France, en Angleterre, en Italie et dans d’autres pays encore. Bien qu’affaiblit, le mouvement ouvrier, le mouvement révolutionnaire communiste entame en ce début de XXIème siècle une progressive résurgence. Lente et difficile. Pour la plupart vidés de leur conceptions radicales, les partis communistes d’Europe de l’Ouest sont le théâtre de confrontations idéologiques que l’on pourrait résumer par ceux partisans d’un retour au marxisme-léninisme et ceux qui souhaitent une "modernisation" du communisme en une espèce de nébuleuse idéologique alter-mondialiste saupoudrée d’idées humanistes. Principal point de clivage des deux camps : le positionnement face à l’Union Européenne. Les premiers étants totalement hostiles à celle-ci quand les seconds prônent un aménagement au sein de ce cadre politique.

Réunis au sein du Parti de Gauche Européen (PGE) les différentes forces de gauche du continent, partisanes de porter la bataille aux sein des institutions européennes, viennent récemment de démontrer les limites de leur engagement anticapitaliste, et, surtout, antiimpérialiste. Gregor Gysi, président du groupe Die Linke (parti membre du PGE) au parlement allemand, s’est vu rattrapé par les archives mise en lumières sur wikileaks. On y apprend que dans une conversation avec l’ambassadeur américain en Allemagne, en novembre 2009, Gysi lui aurait assuré que l’exigence de dissolution de l’Otan par Die Linke était une façon de contourner la demande de retrait de l’Allemagne de l’organisation militaro-atlantique, ce qui serait immédiatement applicable. A l’inverse, la dissolution de l’Otan nécessiterait l’accord de la France, de la Grande Bretagne et des Etats Unis, ce qui reste de l’ordre de l’impossible dans l’immédiat (5). Brave Gysi, soucieux de ne pas déplaire aux puissants le voilà bien pressé de les rassurer par ses courbettes politiques, supercherie dont les ficelles sont de plus en plus visibles.

De leur côté, les mouvements communistes dits "orthodoxes" s’organisent bien plus difficilement que leurs homologues pro-européens. Pas de parti à niveau de l’UE, mais des accords, des rencontres, des liens tissés entre militants et organisations. En décembre 2009 sort le premier numéro d’une toute nouvelle publication, dont l’existence reste quasi inconnue en France. La "Revue Communiste Internationale" regroupe des textes écrits par différents groupes communistes du continent européen et d’Amérique latine et existe en plusieurs langues (anglais, espagnol, turc, grec et français). Comme l’annonce son édito « la publication du premier numéro de la "Revue Communiste Internationale"exprime la nécessité de coopération entre revues théoriques et politiques de partis communistes qui ont des positions communes sur des sujets théoriques et politiques fondamentaux. Cette nécessité est le résultat d’une évaluation d’une période de recul du mouvement communiste international après le triomphe de la contre-révolution en URSS et dans les pays orientaux et centraux d’Europe, tout comme à travers les sujets auxquels s’est confronté le mouvement communiste pour le développement de la lutte des classes moderne » (6). Se proclamant du marxisme-léninisme, les auteurs identifient clairement leurs ennemis comme étant « les unions impérialistes, comme le FMI, l’OTAN, l’UE, etc. » (7). Parmi les collaborateurs de cette publication on retrouve le KKE (Parti communiste de Grèce), sans doute l’organisation révolutionnaire la plus puissante actuellement dans la région, mais aussi le PTB (Parti du Travail de Belgique), le Parti Communiste du Venezuela, le TKP (Parti Communiste de Turquie) ou encore le PCPE (Parti Communiste des Peuples d’Espagne).

L’évolution des forces radicales pour le socialisme prend différentes formes selon le pays dans lequel s’opère le phénomène. Pour en revenir à la péninsule ibérique, le PCPE a récemment obtenu une importante victoire face aux tendances réformistes des organisations traditionnelles. Les CJC (Collectifs des Jeunes Communistes), son organisation de jeunesse, a entamé un processus d’unification avec les Jeunes Communistes des Asturies (JCA), dans le nord du pays. Ces derniers, précédemment proches du PCE, se sont désormais rapprochés du PCPE sur des bases politiques radicalement hostiles à l’UE et à l’effacement du marxisme-léninisme. Cette situation ne tombe bien évidemment pas du ciel mais s’ancre dans un contexte politique international que relève avec lucidité le communiqué des CJC du 8 janvier 2011 : « Il est important de comprendre le contexte dans lequel se réalise ce processus. D’une part, dans les circonstances actuelles de crise capitaliste, l’échec du projet social-démocrate s’accentue, tout comme ses principales contradictions. De cette façon, le projet de transformer de l’intérieur le PCA (Parti Communiste des Asturies) en parti de la révolution s’est confronté aux tendances les plus social-démocrates en son sein » (8).

De la même façon, bien que cette fois au sein de sa propre organisation traditionnelle, le mouvement communiste français semble opérer une certaine évolution à travers l’organisation du MJCF (Mouvement Jeunes Communistes de France). Assez peu observé, le mouvement de la JC a pourtant fortement changé en quelques années. Le brassage de génération éduquées politiquement aux différents mouvements sociaux de ces cinq dernières années (émeutes en 2005, CPE en 2006, LRU I et II, mouvement des retraites de 2010) a modifié le profil moyen des jeunes militants communistes. Bien plus attirés par des positionnements politiques ouvertement anticapitalistes, il en résulte un regain d’intérêt pour l’alternative socialiste. Signe fort d’un tel changement, le congrès du MJCF d’avril 2010 à Gennevilliers (Hauts de Seine). Le socialisme du 21Ième siècle y fait son entrée dans les débats et est adopté comme « phase transitoire nous permettant de dépasser l’exploitation de l’Homme par l’Homme » (9). Sans doute l’organisation risque d’être le foyer d’apparition de nouveaux cadres qui vont venir bousculer un PCF embourbé dans sa "mutation-liquidation" enclenchée par Robert Hue. A surveiller donc.

Alors que la situation économique et sociale du continent en appelle à des réponses clairement révolutionnaires face au rouleau compresseur de l’UE, les prêcheurs de solutions modérées, de concessions, les frileux et timides risquent de n’avoir que peu d’oreilles attentives. Impossible désormais de concilier le système économique et son appétit vorace aux exigences humaines de millions d’individus. Toute couardise politique sera balayée par l’émergence de forces progressistes radicales qui attirerons dans leur orbite les femmes et hommes soucieux de changer leur avenir, leur présent. Comme l’annonçait le philosophe italien Domenico Losurdo : «  il y a un proverbe selon lequel l’individu considéré comme mort, et dont on prononce l’éloge funèbre alors qu’il est encore vivant, est destiné à embrasser la longévité. Si ce proverbe devait valoir aussi pour les mouvements politiques, ceux qui se réclament du communisme peuvent avoir toute confiance dans l’avenir » (10).

Loïc Ramirez

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