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Le macronisme comme faute de goût

Notre monarque est cultivé, clame-t-on un peu partout. En comparaison de ses deux prédécesseurs, c’est indéniable. Les contrastes encouragent l’admiration. Il affiche indiscutablement une culture livresque, celle qu’acquièrent les individus doués d’une grande capacité d’ingurgitation cognitive et qui ont eu de surcroît la chance de croiser parfois sur leur route quelques brillants esprits. Pour la culture patiemment forgée à la rencontre profonde des choses et des êtres, rencontre qui ajoute au livresque l’intelligence du discernement vrai et la sensibilité nécessaire à la bonne compréhension du monde, il faudra repasser. Emmanuel 1er a cependant des excuses à faire valoir : une existence trop dorée ne favorise certes pas la stimulation du sensible. Trois faits observés au royaume de France en ces temps troublés de la médiacratie exacerbée vont nous permettre d’illustrer la trompeuse confusion.

La première incongruité est tombée lors du dernier salon du livre à Paris le mois dernier. Le Souverain que l’on dit jupitérien – sans doute à juste Titre – jeta son dévolu sur cette grande fête de la culture littéraire pour faire ce qu’il crut être un coup politique de première grandeur. Voulant montrer à la Russie de M. Poutine, en solidarité avec la Grande-Bretagne, sa désapprobation dans l’affaire des espions empoisonnés outre-Manche récemment, M. Macron décida d’ignorer superbement le carré des écrivains russes particulièrement bien en vue sur le salon. Ce n’est assurément pas un coup de maître et nombre d’amateurs ne s’y seraient pas même risqués. Surtout pas les amateurs – pardon, les amoureux - de la littérature russe qui savent ce que la culture européenne doit aux écrivains de ce grand pays à l’histoire tellement tourmentée. Le geste monarchique ici incriminé est doublement imbécile : il méconnait l’indépendance d’esprit des écrivains russes vis-à-vis de M. Poutine ; il rate sa cible en supposant que M. Poutine puisse être affecté en quoi que ce soit par le mépris affiché officiellement pour les écrivains de son pays. On eût aimé que dans la circonstance ces écrivains-là soient invités à l’Elysée, histoire de les encourager à maintenir au firmament le flambeau de la critique cultivée des régimes politiques autoritaires et corrompus. Cela aurait été un sacré pied de nez à l’hôte omnipotent du Kremlin. Hélas, nous savons que M. Macron préfère inviter, à Versailles désormais, les grands patrons de la planète pour peaufiner une autre culture, celle du profit à tout prix, au prix du sacrifice - entre autres méfaits - de la culture désintéressée.

Au début du mois de mars dernier, M. Macron a en revanche reçu officiellement le Premier Ministre du Québec, Philippe Couillard. Chacun connait en France l’attachement des Québécois pour la langue française et leur combat séculaire contre l’anglo-américain, condition sacrosainte de la préservation de leur identité culturelle. Pourtant, ce qui est beaucoup moins connu chez nous c’est le fait que Philippe Couillard, homme politique libéral fédéraliste, ne cesse de donner des coups de canif dans la loi 101 qui a imposé le français langue de travail au sein des entreprises de la « belle province ». Lors de sa réception à Paris, encore capitale de la francophonie à ce qu’il paraît, le cousin d’outre-Atlantique trouva un allié de poids en la personne de son hôte élyséen. Il l’entendit affirmer avec conviction : « Parler l’anglais renforce la francophonie. » M. Couillard n’avait plus qu’à ajouter que la majorité des Québécois pensent comme M. Macron, ils veulent défendre le français, mais souhaitent apprendre d’autres langues. Cette grotesque couillonnade aurait bien pu être ponctuée d’un vibrant « vive le Québec anglophile ! ». A Colombey, le grand Charles a du tressaillir.

Le troisième évènement reste à venir. L’an prochain, la France devrait commémorer le cinq-centième anniversaire de la mort de Léonard de Vinci. Ramené dans les bagages de François 1er après la bataille de Marignan, le génie de l’art pictural féru de sciences et de techniques novatrices passa les quatre dernières années de sa vie au manoir du Clos Lucé près du château d’Amboise. Certes, l’un des plus flamboyants acteurs de la Renaissance doit être célébré à sa juste valeur. Et là encore, l’imagination est au pouvoir. Une première idée, germée dans l’esprit de la Ministre de la Culture, Françoise Nyssen, s’apprête déjà à tomber à l’eau. Il s’agissait de prêter La Joconde l’an prochain à d’autres musées. Or, cette peinture sur bois de peuplier est des plus fragiles et par conséquent le musée du Louvre va s’opposer à son transport jugé trop dangereux. Les caprices des princes ont parfois des limites. Parfois mais pas toujours. Une autre idée va hélas voir le jour en 2019 : une chasse-à-courre présidentielle se déroulera à Chambord, symbole macronien de la petite renaissance contemporaine de la France. Le grand Léonard va sûrement lui aussi se retourner dans sa tombe avant de partir d’un grand rire. En se souvenant de son talent qui a traversé les siècles il s’apercevra que certaines de ses inventions soulignent à merveille le macronisme. Adepte du clair-obscur, il perfectionna sa technique du sfumato (embrumé) qui adoucit les contrastes et améliore le réalisme des paysages. Comment mieux faire passer la pilule des réformes ? Et que dire de la Machine à polir les miroirs imaginée par Vinci ! Les médias de masse ne jouent-ils pas aujourd’hui opportunément ce rôle pour le rayonnement du Prince ? Décidément, notre époque a la culture qu’elle mérite ! Et le monarque de s’en servir habilement.

Yann Fiévet

COMMENTAIRES  

22/03/2018 02:34 par Antar

Erratum : la loi qui réglemente l’usage du français au Québec est la loi 101 et non 105.

22/03/2018 02:55 par legrandsoir

Rectifié. Merci de l’avoir signalé.

22/03/2018 07:53 par calame julia

Leonardo da Vinci...
C’est bien un peintre et savant né en Italie et qui y vécut de longues années ?

(... celle qu’acquiert, ce sont les individus qui "acquièrent"...).

22/03/2018 12:40 par taliondachille

l’hôte omnipotent du Kremlin

Vous en connaissez des "hôtes" en Europe qui ne soient pas omnipotents ?
Je préfère un omnipotent qui défend son pays à l’international qu’un gibier de potence qui vend le sien à la découpe.
En Russie quand on a connu Eltsine on vote Poutine. En France quand on a connu Sakollande on vote Macron. Cherchez l’erreur...

22/03/2018 14:44 par irae

Tellement cultivé que la Guyane s’est détachée du contient par la seule force de la pensée du dieu jupiter.

22/03/2018 16:03 par Jetaimalbert

Beau papier et instructif, car comme ceux qui n’en peuvent déjà plus de ce petit astre, je zappe toute information le concernant.
3 faits, 3 âneries, et il se pourrait bien que sa chasse à cour soit un peu plus venimeuse qu’il l’imagine.
la loi travail, les cheminots, y’en a qui n’en ont cure, mais l’hallali, hum, ça va bouger ...
#jesuisbambi

22/03/2018 18:39 par Djo

"Tellement cultivé que la Guyane s’est détachée du contient par la seule force de la pensée du dieu jupiter." et qu’une française habitant en guadeloupe est une expatriée...

22/03/2018 18:58 par fabi22

Une chasse-à-courre en hommage à de Vinci alors qu’il était végétarien ?
C’est un "sport" qu’il a dû détester.

22/03/2018 21:36 par François

C’est le regime de macron.

23/03/2018 06:44 par pierreauguste

Leonardo da Vinci est arrivé en France à l’age de 64 ans et y est mort à 67 ans. Le reste de sa vie il l’a passé en Italie ou il est né .....,

23/03/2018 07:12 par guy

Encore une excellente analyse mais ça ; "une existence trop dorée ne favorise certes pas la stimulation du sensible..." c’est du grand n’importe quoi !!! tout juste de la psycho d’bistrot . C’est presque du ségrégationnisme ...... Dommage .

23/03/2018 10:30 par pat

Finalement on a un clone de BHL comme président, pas de quoi être fiers.

27/03/2018 04:35 par Pierre Bouchard

J’apprécie que des sites français s’intéressent au Québec qui comme toute petite nation qu’elle soit du nord ou du sud du monde existe peu sur le plan international. Intéressant de voir parfois que le Grand Soir à gauche donne une considération à la francophonie, la droite conservatrice française ayant un quasi monopole sur la francophonie. La francophonie n’est pas à son meilleur au Québec parce que le néolibéralisme déteste les nations et aussi parce que les Québécois baissent leur niveau politique que ce soit sur la souveraineté, la protection du français et qu’il y a un repliement individualiste plus fort probable qu’en France. Une avant garde politique subsiste pour protéger la culture québécoise et autrement les acquis sociaux avec forces relatives diminuées dans cette ère ultralibérale. La francophonie partout en force politique est en régression, elle ne serait pour Macron qu’une mondialisation de province. Si au Québec, nous avons le pitoyable Couillard.

La France et si même en l’élisant mal avec force abstention, a élu en Macron le premier président français qui veut insérer le pays dans une techno structure totale dont le projet fédéraliste ultra-libéral veut créer de toutes pièces une peuple européen qui ne serait qu’un faire valoir pour engendrer une réalité ou chacun serait opposé à chacun, entre groupes ou entre individus séparés faisant de la seule technologie un seul biais de rapports réels ou restant virtuels.

L’indifférence du soi pur engendrant de l’indifférence sourde et dans cette indifférence glaciale érigée en moteur de circulation d’avoir, au niveau sociologique, correspondrait une très forte oligarchie jamais vue encore depuis des siècles en Occident et une très grande masse d’individus laissés à eux mêmes déracinés, apatrides, abandonnés à leur capacité de devenir soit des Élus du système ou d’en devenir des déchets. La police aurait toujours et davantage les moyens pour surveiller ou réprimer tous ceux sortis d’un travail officiel hors marché noir qui disparut par la robotisation et l’intelligence artificielle n’auraient plus beaucoup de travailleurs.

Une anticipation politique ici et non de la SF dont plusieurs éléments en 2018 indiquent que cette voie d’anticipation est plausible, puisque la démocratie est monopolisée par des libéraux et qu’ils ne pourraient craindre que les islamistes. Or, les islamistes sont les instruments des pouvoirs occidentaux en Orient depuis l’Afghanistan en 1979 et en Syrie maintenant encore.

La pire époque, celle de 2018 vers son devenir dont le pire serait à venir, en terme d’un début de siècle dont la perception est de plus en plus mauvaise et dont le meilleur qui subsiste présentement encore provient des révolutions de 1789 et autres, du mouvement socialiste dont le principe d’égalité n’est pas encore effacé, de ces nations qui ont connus un progrès démocratique syndical, le droit de vote aux femmes, l’esclavage aboli des Africains et qui ne réduisent pas à l’Allemagne nazi et autres foutaises.

Le protestantisme angloaméricain qui a commencé à dominer la planète avec la défaite de la France royaliste dans ses colonies du Canada et des Indes en 1760-63 et puis après 1815 par la défaite napoléonienne encore contre l’Angleterre, a vu à travers le développement de son impérialisme culturel après 1945, sa puissance économique aux É.U, s’assurer d’une totale hégémonie pendant la guerre froide. La séduction culturelle tout comme avec l’Empire romain d’hier s’est ajouté aux canons et au chantage économique des entreprises qui partent dans les pays sous influence américaine pour garantir la puissance anglophone tandis que la CIA au Chili et l’armée U.S contre le Vietnam ont donné des -premières leçons- en partie ratées contre les plus rebelles.

Macron en tant que young leader n’est que le serviteur de ses maîtres et il ne mérite que très peu de respect, son intellect si réel n’est que l’expression de sa plate ambition personnelle forte de son intolérable mépris pour les gens simples. L’intellect de l’aristocrate bourgeois comme Macron est celui des fourbes, des lâches et des pires agents normalisateurs de systèmes.

Publiez ou pas, selon longueur du texte et une part de virulence. Le texte est là. L’autocensure a des limites pour moi sur le web qui se contrôle plus qu’avant. Paragraphes retenus ? Ce n’est pas moi qui décide. Merci pour l’article, appréciable.

27/03/2018 10:26 par triaire

Je n’ai jamais pu percevoir chez notre président-roi une once de véritable culture, il possède un vernis tout au plus .Une intelligence inhumaine ne peut pas être intelligente ni culturelle à mes yeux ;
Quant à Poutine, on devrait vraiment lui ficher la paix ; voila un homme qui s’occupe de ses affaires, qui n’envahit personne, qui n’est pas belliciste pour un sou et qui est accusé sans interruption par le pays qui met le monde à feu et à sang ainsi que par les valets peureux de ce pays voyou ...L’histoire de l’empoisonnement de l’agent double fait rigoler dans tous les bistrots !A qui profite ce crime je vous prie ?La réponse est dans la question , non ?!

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