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Le Manifeste est une révolution !

Ainsi s’exprime Antonio Labriola, dont Althusser nous rappelait récemment qu’il faisait classer l’Italie au rang des nations qui avaient pu, ou su, développer la théorie marxiste, ce qui n’était pas le cas de la France dont le mouvement ouvrier était caractérisé longtemps par sa misère théorique.

«  C’est maintenant une opinion courante, dit-il dans un texte de 1895 qu’il intitule : «  En mémoire du Manifeste du parti communiste », que le socialisme moderne est un produit normal et parlant inévitable de l’histoire ;

«  Son action politique, qui peut comporter dans l’avenir des délais et des retards, mais plus jamais une absorption totale, commença avec L’Internationale.

«  Le Manifeste lui est cependant antérieur.

«  Sa doctrine est avant tout dans la lumière qu’il porte sur le mouvement prolétarien, qui d’ailleurs était né et se développait indépendamment de l’action de toute doctrine.

«  Et il est, aussi, encore autre chose que cette lumière.

«  Le communisme critique ne naît qu’au moment où le mouvement prolétarien est non seulement un résultat des conditions sociales mais où il a déjà assez de forces pour comprendre que ces conditions peuvent être changées et pour entrevoir les moyens qui peuvent les modifier et dans quel sens.

«  Il ne suffisait pas que le socialisme fut l’aboutissant de l’histoire, mais il fallait de plus comprendre les causes de cet aboutissant et le but de cette agitation.

«  Cette déclaration, que le prolétariat comme résultat nécessaire de la société moderne a pour mission de succéder à la bourgeoisie comme force productive d’un nouvel ordre social, dans lequel les antithèses de classe devront disparaître, fait du Manifeste un moment caractéristique du cours général de l’histoire.

«  Il est une révolution - mais non pas au sens d’une apocalypse ou de promesse du millenium.

«  C’est la révolution scientifique et réfléchie du chemin que parcourt notre société civile (que l’ombre de Fourier me pardonne).

«  Le Manifeste nous donne ainsi l’histoire interne de son origine, ce qui justifie en même temps la doctrine et en explique l’effet singulier et la merveilleuse efficacité. »

LA COMMUNE, UN SALUTAIRE ENSEIGNEMENT

«  Les partis politiques qui, depuis l’Internationale, se sont constitués dans les différents pays, au nom du prolétariat et en le prenant pour base, ont senti et sentent, à mesure qu’ils naissent et se développent, la nécessité impérieuse d’adapter, de conformer leur programme et leur action aux circonstances, toujours différentes et multiformes.

«  Mais aucun de ces partis ne sent la dictature du prolétariat si proche qu’il éprouve le besoin, le désir ou même la tentation d’examiner à nouveau et de porter un jugement sur les mesures proposées dans le Manifeste.

«  Il n’y a, en réalité, d’expériences historiques que celles que l’histoire fait elle-même ; on ne peut pas plus les prévoir qu’elles ne se font de propos délibéré ou sur commande.

«  C’est ce qui est arrivé au moment de la Commune, qui a été, qui est et qui reste, jusqu’à aujourd’hui, la seule expérience approximative bien que confuse, parce qu’elle fut subite et de courte durée, de l’action du prolétariat devenu maître du pouvoir politique.

«  Elle ne fut, d’ailleurs, cette expérience, ni voulue ni cherchée, mais imposée par les circonstances ; elle fut héroïquement menée et elle est devenue aujourd’hui, pour nous, un salutaire enseignement.

«  Là où le mouvement socialiste est à peine à ses débuts, il peut arriver que, à défaut d’expérience personnelle et directe, on en appelle à l’autorité d’un texte comme à un précepte : mais cela n’a, en réalité, aucune importance. »

LE COMMUNISME CRITIQUE

«  Le communisme-critique - c’est là son nom véritable et il n’y en a pas de plus exact pour cette doctrine - ne se mettait pas à regretter avec les féodaux la vieille société, pour faire par contrecoup la critique de la société actuelle : - il n’avait plus en vue que l’avenir.

«  Il ne s’associait plus avec les petits bourgeois dans le désir de sauver ce qui peut être sauvé : - comme par exemple la petite propriété ou la vie tranquille des petites gens, que la vie vertigineuse de l’Etat moderne, organe naturel et nécessaire de la société actuelle, détruit et bouleverse parce que, par ses évolutions continues, il porte en soi et avec soi la nécessité d’autres révolutions, nouvelles et plus profondes ;

«  Il ne traduisait pas non plus en bizarreries métaphysiques ou dans une sentimentalité maladive les contrastes réels des intérêts matériels de la vie de chaque jour : il exposait an contraire ces contrastes dans toute leur réalité prosaïque.

«  Il ne construisait pas la société de l’avenir sous forme de projet, conçu harmoniquement dans chacune de ses parties

«  Il n’avait aucun mot de louange et d’exaltation, d’invocation et de regret pour les deux déesses de la mythologie philosophique : la justice et l’égalité, c’est-à -dire pour ces déesses qui font si triste figure dans la pratique de la vie de chaque jour, quand on voit que l’histoire de tant de siècles s’octroie le passe-temps malséant de faire et défaire tout ce qu’elles lui suggèrent.

«  Bien plus ces communistes, tout en déclarant, appuyés sur des faits qui ont force d’argument et de preuve, que les prolétaires ont pour mission d’être les fossoyeurs de la bourgeoisie, rendaient hommage à celle-ci, comme à l’auteur d’une forme sociale qui représente en extension et en intensité un stade important du progrès, et qui peut seule fournir le terrain de nouvelles luttes, qui déjà promettent une issue heureuse.

«  Grandiose oraison funèbre !

«  Il y a dans ces louanges adressés à la bourgeoisie, un certain humorisme tragique, quelques-uns les ont trouvés dithyrambiques... »

LES FANTASMAGORIES DU SOCIALISME D’ETAT

«  La partie vitale, l’essence, le caractère propre de cette oeuvre sont tout entiers dans la nouvelle conception de l’histoire qui la dirige et qui s’y trouve en partie exposée et développée.

«  Grâce à cette conception, le communisme, qui n’était jusqu’alors qu’une espérance, une aspiration, un souvenir, une conjecture, un expédiant, trouvait pour la première fois son expression dans la conscience de sa nécessité même, c’est-à -dire dans la conscience qu’il est le terme et la solution des luttes de classes actuelles.

«  Ces luttes ont varié suivant le temps et les lieux, elles se réduisent toutes de nos jours à la seule lutte entre la bourgeoisie capitaliste et les ouvriers fatalement prolétarisés.

«  Le Manifeste a donné la genèse de cette lutte, il en détermine le rythme d’évolution, et en présage le résultat final ;

«  C’est dans cette conception de l’histoire que réside toute la doctrine du communisme scientifique.

«  Depuis ce moment, les adversaires théoriques du socialisme n’ont plus à discuter sur la possibilité abstraite de la socialisation démocratique des moyens de production (Il vaut mieux employer l’expression «  socialisation démocratique des moyens de production » que celle de «  propriété collective » parce que celle-ci implique une certaine erreur théorique en ce que, d’abord, elle met à la place du fait réel économique un exposant juridique et, de plus, parce que, pour beaucoup, elle se confond avec l’augmentation des monopoles, avec l’étatisation croissante des services publics, et avec toutes les autres fantasmagories du Socialisme d’Etat toujours renaissant, dont tout l’effet est d’augmenter, dans les mains de la classe des oppresseurs, les moyens économiques d’oppression) : comme s’il était possible dans cette question d’appuyer son jugement sur des inductions basées sur les aptitudes générales et courantes de la nature humaine... »

PAS DE CAPITAL SANS SALARIAT

«  La société bourgeoise est sortie de la société corporative et féodale, et elle en est sortie par la lutte et la révolution, afin de s’emparer des instruments et des moyens de production, qui aboutissent tous à la formation, au développement et à la multiplication du capital.

«  Décrire l’origine et le progrès de la bourgeoisie dans ses diverses phases, exposer ses succès dans le développement colossal de la technique et dans la conquête du marché mondial, indiquer les transformations politiques qui ont suivi, et qui sont l’expression, la défense et le résultat de ses conquêtes, c’est faire en même temps l’histoire du prolétariat.

«  Celui-ci, dans sa condition actuelle, est inhérent à l’époque de la société bourgeoise, et il a eu, il a et il aura, autant de phases qu’en a cette société même jusqu’à son épuisement.

«  L’antithèse de riches et de pauvres, de jouisseurs et de malheureux, d’oppresseurs et d’opprimés n’est pas quelque chose d’accidentel et qui peut facilement être mis de côté, comme l’avaient cru les enthousiastes de la justice.

«  Bien plus, c’est un fait de corrélation nécessaire, étant donné le principe directeur de la forme de production actuelle : c’est la nécessité du salariat.
«  Cette nécessité est double.

«  Le capital ne peut s’emparer de la production qu’en prolétarisant, et il ne peut continuer à vivre, à être fructifié, à s’accumuler, se multiplier et à se transformer qu’à la condition de salarier ceux qu’elle a prolétarisés.

«  Ceux-ci, de leur côté, ne peuvent vivre et se reproduire, qu’à la condition de se vendre, comme force de travail dont l’emploi est abandonné à la discrétion, c’est-à -dire au bon plaisir des possesseurs de capital.

«  L’harmonie entre le capital et le travail est toute en ceci que le travail est la force vive par laquelle les prolétaires mettent continuellement en mouvement et reproduisent, en y ajoutant, le travail accumulé dans le capital.

«  Ce lien, résultant d’un développement qui est toute l’essence intime de l’histoire moderne, s’il donne le clef pour comprendre la raison propre de la nouvelle lutte des classes, dont la conception communiste est devenue l’expression, est de telle nature qu’aucune protestation du coeur ou du sentiment, aucune argumentation basée sur la justice ne peut le résoudre et le dénouer.

«  C’est pour ces raisons que le communisme égalitaire restait vaincu.

«  Son impuissance pratique se confondait avec son impuissance théorique à rendre compte des causes des injustices, ou des inégalités, qu’il voulait éliminer d’un trait... »

LE COMMUNISME EST LA DISSOLUTION DE LA SOCIETE CAPITALISTE

«  Le communisme n’est pas l’état naturel et nécessaire de la vie humaine, dans tous les temps et dans tous les lieux, d’après lequel tout le cours des formations historiques peut être considéré comme une série de déviations et d’aberrations.

«  On ne va pas au communisme ou on n’y retourne pas par abnégation spartiate ou par résignation chrétienne.

«  Il peut être, bien plus, il doit être et il sera la conséquence de la dissolution de notre société capitaliste ;

«  Mais la dissolution ne peut pas lui être inoculée artificiellement, ni importée ab extra.

«  Elle se dissoudra par son propre poids, disait Machiavel.

«  Elle disparaîtra comme forme de production qui engendre d’elle-même et en elle-même la rébellion constante et progressiste des forces productives contre les rapports (juridiques et politiques) de la production et elle ne continue à vivre qu’en augmentant par la concurrence qui engendre les crises et par l’extension vertigineuse de sa sphère d’action, les conditions intrinsèques de sa mort inévitable.

«  La mort d’une forme sociale, comme cela est arrivé dans une autre branche de la science pour la mort naturelle, devenait un cas physiologique.

«  Le Manifeste n’a pas fait, et il ne devait pas faire, le tableau de la société future : il a dit comment la société actuelle se résoudra par la dynamique progressive de ses forces.

«  Pour faire comprendre cela, il fallait surtout exposer le développement de la bourgeoisie, et c’est ce qui fut fait en traits rapides, modèle de philosophie de l’histoire, qui peut être retouché, complété, et développé, mais qui ne peut être corrigé. »

L’ABRACADABRA DU DROIT AU TRAVAIL

«  Dès son apparition, cette nouvelle doctrine communiste fit la critique implicite de toutes les formes de socialisme d’Etat, de Louis Blanc à Lassalle.

«  Le socialisme d’Etat, bien que confus à tendances révolutionnaires, se concentrait alors dans le songe creux, dans l’abracadabra du droit au travail ;

«  C’est une formule insidieuse si elle implique une demande adressée à un gouvernement, même de bourgeois révolutionnaires.

«  C’est une absurdité économique, si on veut par là supprimer le chômage qui influe sur les variations des salaires, c’est-à -dire sur les conditions de la concurrence.

«  Ce peut être un moyen de politiciens si c’est un expédient pour calmer une masse désordonnée de prolétaires non-organisée ;

«  Cela est bien évident pour quiconque conçoit nettement le cours d’une révolution victorieuse du prolétariat qui ne peut pas ne pas s’acheminer à la socialisation des moyens de production par leur prise de possession, c’est-à -dire, qui ne peut pas ne pas arriver à la forme économique dans laquelle il n’y a ni marchandise ni salariat et dans laquelle le droit au travail et le devoir de travailler ne font qu’un, confondus dans la nécessité commune : le travail pour tous.

«  Le mirage du droit au travail finit dans la tragédie de juin... »

L’ABOLITION DU SALARIAT ET L’ASSOCIATION

«  Aussi rapides et aussi colossaux ont été les progrès du prolétariat...

«  Malgré l’antidote anticipé qu’est le socialisme scientifique, que beaucoup de gens n’arrivent pas à comprendre il est vrai, il y a une floraison de pharmaciens de la question sociale qui, tous, ont quelque spécifique particulier pour éliminer tel ou tel mal social : nationalisation du sol, monopole des grains entre les mains de l’Etat, impôts démocratiques, grève générale, etc !

«  Mais la démocratie sociale élimine toutes ces fantaisies, parce que le sentiment de leur situation conduit les prolétaires, dès qu’ils se familiarisent avec l’arène politique, à comprendre le socialisme de façon intégrale...

«  Ils arrivent à comprendre qu’ils ne doivent pas viser qu’à une chose, à l’abolition du salariat, qu’il n’y a qu’une forme de société qui rende possible et même nécessaire l’élimination des classes, c’est l’association qui ne produit pas des marchandises, et que cette forme de société ce n’est plus l’Etat, mais son contraire, c’est-à -dire l’administration technique et pédagogique de la société humaine, le self-gouvernement du travail.

«  Arrière les Jacobins, les héros géants de 93 et leur caricature de 48 ! Démocratie sociale !

Note : ce ne sont là que quelques extraits du magnifique texte de Labriola, «  En mémoire du Manifeste du parti communiste ». J’espère avoir donné l’envie à mes lecteurs de prendre connaissance de l’intégralité de cette forte contribution.

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