RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
Le « procès de Villiers-le-Bel »

Le masque et la thune

Proposer de l’argent à des indicateurs dans le cadre d’une procédure judiciaire ? Condamner des personnes sur la foi de témoignages anonymes ? Apparemment aberrant. Mais quand il s’agit de punir les auteurs présumés de violences contre des policiers, tout devient possible...

Le « procès de Villiers-le-Bel » a mis en lumière une nouvelle méthode d’enquête à charge : le recours à des témoignages anonymes ET rémunérés. Rappel. Deux jours après les émeutes, le 29 novembre 2007, le chef de l’État déclare : « Mettez les moyens que vous voulez […], ça ne peut pas rester impuni, c’est une priorité absolue . » Le 3 décembre, les policiers distribuent dans le quartier du Bois-Joli 2 000 exemplaires d’un tract attractif : « La Police judiciaire de Versailles recherche tout témoignage relatif aux coups de feu tirés contre des policiers […]. Si vous disposez de renseignements, merci d’appeler le numéro vert de la brigade criminelle […]. L’appel est gratuit et votre anonymat sera préservé. Tout élément susceptible d’orienter favorablement les enquêtes en cours pourra faire l’objet d’une rémunération. » Dans la presse, Jean Espitalier, chef de la PJ versaillaise, explicite : « Nous avons fait ces tracts pour que les témoins des coups de feu soient assurés qu’ils pourront témoigner sous X et que les témoignages qui permettront de faire avancer les investigations seront récompensés à hauteur de plusieurs milliers d’euros. »

Cette méthode est-elle légale ? Rien n’est moins sûr. La loi « Perben II » du 9 mars 2004 et un arrêté du 20 janvier 2006 prévoient la possibilité d’une rémunération, mais seulement de « l’informateur ». Or, un indicateur n’est pas un témoin, un renseignement n’est pas un témoignage. L’information émanant d’un « indic » se traduit par la rédaction d’un « procès-verbal de renseignement judiciaire » qui n’a ni le même contenu ni le même poids qu’un PV d’audition. Il ne transcrit pas des déclarations, mais leur substance globale, et il n’est pas signé par l’intéressé, lequel ne prête pas serment de dire « toute la vérité, rien que la vérité » et ne peut donc être poursuivi - et pour cause - pour faux témoignage.

Le tract policier mélange allègrement ces deux cadres. Cette confusion serait bénigne si les enquêteurs n’avaient pas ensuite recueilli des témoignages anonymes, mais c’est précisément ce qu’ils ont fait ! La procédure de témoignage « sous X » a été instaurée par la loi du 15 novembre 2001 « sur la sécurité quotidienne », soit près de trois ans avant le texte sur les indicateurs. La personne y est désignée comme un « témoin » et non comme un « informateur ». Aucune rétribution n’est prévue. Il est significatif que le législateur n’ait jamais explicitement autorisé la rémunération des témoins, qu’ils soient d’ailleurs anonymes ou non. De fait, un « indic » a vocation à entretenir des relations suivies avec les policiers - d’où la possibilité de le rémunérer ! - ce qui n’est pas le cas d’un témoin, sauf à ce que les mots n’aient plus de sens.

La légalité de cette opération de délation facile et lucrative est donc pour le moins douteuse.

A supposer que cette pratique soit légale, est-elle judiciairement acceptable ? Il n’est même pas possible pour la justice de savoir si les témoignages anonymes recueillis ont donné lieu ou non à récompense. En effet, il résulte de l’arrêté de 2006 que la rétribution des indicateurs relève de la seule compétence de la police ou de la gendarmerie. Ainsi, non seulement il est probable que les fameux témoins anonymes du procès de Pontoise aient été en réalité des informateurs payés par la police, mais encore la Cour d’assises ne pouvait pas en avoir la certitude. Quand on sait qu’un témoignage est fragile par définition (subjectivité, mémoire, intérêt à dire une chose plutôt qu’une autre…) et que le témoignage « sous X » l’est plus encore (déclarations plus floues - et donc plus difficilement vérifiables - pour éviter l’identification du témoin, effet de déresponsabilisation de l’anonymat…), on peut penser que le témoignage anonyme rémunéré - objectivement intéressé donc - est une aberration judiciaire. Il n’est pas anodin qu’une telle aberration ait surgi dans cette affaire où, parce qu’il était question de policiers d’une part et de « jeunes de cité » d’autre part, tout était permis : « Mettez les moyens que vous voulez… » Au fondement du droit, de la justice et de la démocratie, il y a pourtant cette idée forte : la fin ne justifie pas les moyens.

Matthieu Bonduelle
Secrétaire général du Syndicat de la magistrature.

SOURCE : http://lameche.org/Members/karine/actualites/le-masque-et-la-thune-par...

Publié avec leur aimable autorisation

La Mèche - numéro 1
URL de cet article 11469
  

Même Thème
Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary
Guy HOCQUENGHEM
Préface de Serge Halimi : Avant de mourir, à 41 ans, Guy Hocquenghem a tiré un coup de pistolet dans la messe des reniements. Il fut un des premiers à nous signifier que, derrière la reptation des « repentis » socialistes et gauchistes vers le sommet de la pyramide, il n’y avait pas méprise, mais accomplissement, qu’un exercice prolongé du pouvoir les avait révélés davantage qu’il les avait trahis. On sait désormais de quel prix - chômage, restructurations sauvages, argent fou, dithyrambe des patrons - (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Les rares personnes qui comprendront le système seront soit si intéressées par ses profits, soit si dépendantes de ses largesses qu’il n’y aura pas d’opposition à craindre de cette classe-là  ! La grande masse des gens, mentalement incapables de comprendre l’immense avantage retiré du système par le capital, porteront leur fardeau sans se plaindre et peut-être sans même remarquer que le système ne sert aucunement leurs intérêts.

Rothschild Brothers of London, citant John Sherman, communiqué aux associés, New York, le 25 juin 1863.

Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.