RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
Haïti : des millions d’êtres pétris de talent ne survivent que par l’assistance humanitaire

Le paradoxe du rayonnement indigent

Dans certaines sociétés, le contraste est exponentiellement saisissant dès qu’on cherche à mesurer la contribution des talents des individuels de leur membre dans la performance globale de leur écosystème. Pour s’en convaincre, il suffit de projeter la somme des compétences et des succès individuels sur les murs de la stabilité institutionnelle et de la cohésion sociale de leur pays. Et on ne peut qu'être interloqué, choqué et même révolté de ne trouver aucune trace d’intelligence, aucune empreinte de performance. Un vrai rayonnement obscur tient lieu de paradoxe : le rayon projeté par le regroupement de certains organismes vivants étincelants s’étale comme une ombre diffuse et confuse ! C'est à un tel phénomène qu'on assiste en Haïti.

C’est là un cas d’espèce qui intéresserait la physique quantique. Imaginez des particules étincelantes de lumière qui deviennent obscures quand elles se regroupent pour former un faisceau convergent ! Imaginez des photons de lumière qui, en s’assemblant, rayonnent d’obscurité ! Cette étrangeté scientifique pourrait aisément porter le nom de paradoxe du rayonnement obscur ! On pourrait penser qu’un tel phénomène, s’il n’est pas du tout improbable, reste quand même très rare à observer. Sauf, si on se met à dériver dans l’espace intersidéral qui est, du reste, peuplé de bizarreries cosmiques et de mystères stellaires. Alors là, on pourrait bien, en explorant les zones sombres de l’univers, dans le vide intersidéral, découvrir les trous noirs peuplés d’étoiles qui meurent sous le poids de leur énergie sombre.

Pourtant, Il en est ainsi de certaines sociétés qui se désagrègent à perte de valeurs et d’humanité en diffusant uniformément dans l’espace-temps de leur écosystème un rayonnement indigent. Cela n’a rien de mystérieux. Juste un phénomène interstellaire, comme il y en plein dans l’immensité de l’univers. D’ailleurs, si le postulat de Hubert Reeves, selon lequel, les humains ne sont que des poussières d’étoile, tient l’espace, certains collectifs humains doivent bien provenir des débris des trous noirs et constituer un résidu de cette énergie sombre. Incidemment à l’échelle humaine, ce phénomène peut s’observer en Haïti. Et oui, la déchéance collective dans laquelle baignent passivement, et parfois allégrement, les Haïtiens et les Haïtiennes, malgré la diversité des talents et des compétences disponibles dans leur écosystème, peut s’apparenter à ce paradoxe.

Environ douze millions d’êtres pétris de talent individuel dont certains sont bourrés de titres académiques et honorifiques qui acceptent pourtant de vivre dans une indigence défiant toute intelligence. Des millions d’hommes et de femmes, animés d’une débrouillardise qui tient lieu de malice et d’art dans un milieu où la seule norme est de survivre dans le déni de toute dignité, dans le mépris de toute exigence de qualité, dans une proximité suffocante avec tout ce qui révolte toute humanité intelligible.

Toute la réalité sociale, économique, politique et culturelle haïtienne est conditionnée par ce rayonnement indigent. C’est lui qui projette, en couleurs vives et à vitesse vertigineuse, sur les murs des succès que certains brandissent et revendiquent avec arrogance et fierté, le film de cette déshumanisation à laquelle Haïti habitue le monde. On eût dit un foyer nourri par un gigantesque fumier laissant échapper une flamme qui enfume sans jamais atteindre l’incandescence, sans jamais parvenir à rayonner. Et ce n’est pas tant parce que l’énergie et la chaleur du foyer ne sont pas suffisantes. Bien au contraire ! C’est juste un phénomène lié à la nature des corps qui forment le brasier, que dis-je, le fumier !

Un fumier pour célébrer l’imposture

Dans leur frénésie et leur culte de célébration de leur talent individuel, de leur réussite et de leur succès, pourtant sans effet sur leur écosystème, le collectif haïtien ressemble à ces brindilles éclairées parées pour un grand feu de paille. Une fois regroupées dans un creuset pour faire un flambeau, elles perdent leur éclat et deviennent fumée et cendres. C’est comme si les succès individuels célébrés et médiatisés à souhait n’avaient aucune propriété additive, aucune structure de groupe, aucune reliance, aucun rayonnement ! Et pourtant, on ne cesse de les brandir comme des références à imiter, à reproduire : Une haïtienne d’origine est élue maire adjoint dans le district nord de Miami ! Une haïtienne d’origine rentre comme professeur au Massachussetts Institute of Technology ! Une Haïtienne d’origine est élue secrétaire générale de la francophonie ! Cinq restaurateurs haïtiens vont cuisiner dans un restaurant parisien ! Une Haïtienne remporte le Nobel de la littérature aux USA ! Les écrivains haïtiens et les grands prix littéraires français ! Une Haïtienne reçoit la légion d’honneur des mains de ses anciens maitres français ! Un Haïtien devient un illustre immortel et rentre à l’académie française !

Empressons-nous de dire que nous n’avons rien contre ces éminentes personnalités ; toutefois, nous essayons de voir comment elles mettent leur aura, leur célébrité à contribution pour transformer leur pays ou leur lieu de transit. Car il nous semble insensé de continuer de célébrer les réussites individuelles en attendant que la prochaine secousse sismique, la prochaine onde cyclonique et la prochaine crise politique viennent nous ramener à nos indigences : un peuple qui ne survit que par l’assistance humanitaire ! Un peuple de 12 millions d’êtres dont 90% sont constitués de potentiels migrants tricheurs et de boat-people ! Un peuple dont la résignation et l’aliénation ont fini par transformer son habitat en un trou de merde à force de supporter, par complicité, par surdité et par cécité, des trous de cul, des voleurs, des gangsters et des criminels comme des dirigeants rien qu’en raison de leurs accointances avec les donneurs d’ordre français et américains !

On peut aisément comprendre la joie, la frénésie et l’hystérie de tout un peuple qui célèbre, dans les titres individuels obtenus par toutes les personnalités qui ont un lien étroit, rapproché ou même éloigné avec son histoire. Il voit dans ces distinctions toute la grandeur, toute la dignité et toute la fierté auxquelles il aspire pour son collectif, mais que le leadership médiocre qui lui sert d’élite ne lui a pas inculqué à gagner par ses luttes, par ses exigences, par ses insoumissions et par ses révoltes ! Alors, frénétiquement, il se jette et se projette sur ces vastes mystifications, ces fumisteries qui sont des espaces d’impostures et n’ont d’existence que dans leur isolement, dans leur cloisonnement et dans leur dislocation. Souvent, elles ne sont que des récompenses et des distinctions conçues pour soumettre, brider l’intelligence et récompenser les plus soumis. On n’a qu’a se rappeler que la liberté et la dignité ne se gagnent ni par légion d’honneur, ni par les distinctions, ni par les célébrations. La liberté se gagne au bout des luttes populaires et collectives par la révolte contre l’oppression. La dignité se mérite par l’entêtement d’un peuple à refuser la fatalité en osant faire autre chose de ce qu’on a fait de lui.

Tant que ceux et celles qui reçoivent ces honneurs et ces distinctions, tant que les détenteurs et détentrices des titres académiques et honorifiques, tant que ceux et celles qui cumulent les succès professionnels, artistiques, littéraires ou économiques ne comprennent pas qu’ils et qu’elles doivent devenir l’avant-garde agissante pour conduire le peuple vers sa transformation par la déviance, leurs succès continueront de s’étaler en cascade sur le plan individuel, mais se projetteront toujours, sur les murs de la cohésion sociale et de la performance globale, comme les reflets ombragés d’une sourde médiocrité faite d’impostures, de crapulerie et d’indignité.

Quel gâchis humain que ces talents individuels enfumés et disloqués qui ne savent pas conjuguer leur savoir et leur expérience pour s’offrir un modèle de cohésion, magnifier leur société, leur pays, leur État et laisser aux générations futures quelque chose de grand à honorer en leur mémoire ! Étincelants en tout point de leur trajectoire individuelle, ils réussissent presque partout et n’arrêtent pas de vivre dans le culte de l’immédiateté, des rêves et des envies d’ailleurs. Ils restent incapables de se fusionner dans une intelligence collective pour entretenir le flambeau de la transmission intergénérationnelle. De fait, les Haïtiens ne peuvent que se tourner vers le passé pour évoquer le moindre fait de gloire collective. Quand le passé d’un peuple contient davantage d’honneur et de dignité que le présent, c’est qu’il a consommé sa part de lumière et ne peut plus rien offrir à l’avenir. Ainsi, le collectif haïtien, vidé de toute reliance et de toute intelligence, semble n’être plus qu’une étoile en extinction ! Sauf, si une avant-garde agissante surgit et montre au peuple la voie de la régénération qui est l’étape indispensable à toute transformation sociétale véritable. Il n’y a rien d’évident dans ce postulat, mais c’est une exigence d’humaine intelligibilité. Il faut donner à la population les moyens pour qu’il entreprenne sa régénération en quittant la voie obscure qu’on lui a tracé pour se replacer sur la trajectoire d’un avenir lumineux.

Pleins feux sur les comètes pour vaincre l’obscurité

En effet, là où Victor Hugo voyait, en 1860, dans l’Haïti, d’après la révolution de 1804, « une lumière » qui s’imposa au monde par la révolte des esclaves au nom de la liberté, il ne subsiste, environ deux siècles plus tard, qu’un immense trou noir qui se désintègre peu à peu, en fragments dispersés, sous le poids de la soumission et de l’indignité de ceux et celles qui n’ont pas su raviver la flamme du flambeau éclaireur pour guider la route du progrès. Quand l’évolution d’un peuple est figée dans le temps, la notion du collectif disparait peu à peu. Il ne reste plus qu’un regroupement d’êtres, dont la majorité, humainement fissurée, ne peut que se verser dans une imposture de plus en plus démesurée. Immense débris d’un trou noir désintégré dérivant dans l’espace-temps de l’histoire !

Douloureux constat qui appelle à une exigence de vérité quitte à choquer et à blesser les susceptibilités. C’est ce pari que nous voulons tenter ici et dans la suite de cette réflexion en montrant la source de cette sombre énergie qui diffuse uniformément dans l’écosystème haïtien ce rayonnement indigent. Tant pis, si par cette démarche nous choquerons ceux et celles qui croient que c’est en masquant la vérité, en se détournant des difficultés, en ignorant leurs causes racines pour se concentrer sur le futile et l’insignifiant, autrement plus facile à maitriser, que l’on projettera une bonne image du pays.

Nous croyons dans la complexité de la vie et conséquemment dans l’exigence d’une intelligence de plus en plus éthique, qui n’est jamais évidente, jamais sans douleur, pour entamer la régénération comme prélude à la transformation. En accord avec la pensée d’Edgard Morin, nous rappelons que "toute vérité est une hérésie", et qu’il faut assumer le dissensus social, car "il n’y a pas de consensus préalable à l’innovation". C’est dans la turbulence et dans le chaos que l’intelligence finit par prendre le dessus sur l’indigence.

Puisque nous avons réfléchi, la tête tournée vers les étoiles, pour s’échapper de l’obscurité, alors quittons-nous sur une note de lumière en paraphrasant Hubert Reeves : Dans le vide intersidéral, chaque boule de feu qui scintille est la chance d’une diminution du rayon obscur qui déforme indigemment l’univers !

Enflammons-nous de colère et brillons de dignité pour mériter notre statut de poussière d’étoiles, cessons d’être les débris de trou noir en refusant d’être des reflets merdiques d’improbables succès !

URL de cet article 35226
   
SALARIÉS, SI VOUS SAVIEZ... DIX IDÉES RECUES SUR LE TRAVAIL EN FRANCE
Gérard FILOCHE
« Le droit du licenciement doit être assoupli », « les 35 heures n’ont pas profité aux salariés », « les charges sociales sont trop lourdes », « les fonctionnaires sont des privilégiés », « à terme, on ne pourra plus financer les retraites », etc. Telles sont quelques-unes des idées reçues qui dominent le débat public sur le travail en France. En dix réponses critiques, chiffres à l’appui, Gérard Filoche bat ici en brèche ces préjugés distillés par la vulgate néolibérale pour tenter de (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

(CUBA) "Tant qu’il y aura l’impérialisme, nous ne pouvons nous permettre le luxe du pluri-partisme. Nous ne pourrions jamais concurrencer l’argent et la propagande que les Etats-Unis déverseraient ici. Nous perdrions non seulement le socialisme, mais notre souveraineté nationale aussi"

Eugenio Balari
in Medea Benjamin, "Soul Searching," NACLA Report on the Americas 24, 2 (August 1990) : 23-31.

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.