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Le quotidien Libération remaquille le visage ingrat de l’opposition vénézuélienne.


Dimanche 10 septembre 2006.


Libération commentant la situation politique vénézuélienne fait montre d’une mauvaise foi routinière et d’un parti pris impudique. C’est le retour au temps glorieux du fanatisme aveuglé des origines de Libération, du point de vue du ton s’entende, parce que la ligne politique a un peu changé il est vrai.

Nous sommes certes habitués à la haine anti-chaviste de Libération. En janvier dernier ce quotidien prétendait insulter le président Chávez en l’accusant d’antisémitisme, sur la base d’un discours prononcé lors du Réveillon de Noël deux semaines auparavant. Cette indignation était en effet un peu tardive ; il fallait que la campagne partie des milieux les plus fanatisés aux Etats-Unis touchât les relais parisiens habituels, alors alanguis par les fêtes de fin d’année. D’où le contretemps. Au Venezuela la petite communauté juive organisée, les intéressés, avait raisonnablement et loyalement défendu Chávez, sans que Libération ne daignât en informer ses lecteurs.

L’article de François Meurisse paru le lundi 4 septembre 2006, dans Libération, « Au Venezuela, une voix tente de faire le poids face à Hugo Chávez », est fidèle à la tradition. Dès la première ligne, François Meurisse, en toute irresponsabilité, attribue le titre magnifique et débonnaire de social-démocrate à Manuel Rosales : « Le social-démocrate Manuel Rosales est le seul candidat crédible de l’opposition pour la présidentielle du 3 décembre. » Olof Palme et Salvador Allende, martyrs de la cause socialiste, se retourneraient dans leur tombe s’ils lisaient Libération. Malgré le bombardement continuel des médias vénézuéliens, journaux, radios et télévisions, qui lui sont massivement favorables, personne au Venezuela n’est au courant de cette orientation politique de Rosales. Il faudrait peut-être remonter le courant de janvier dernier, faire le crochet obligé par New York et apporter ce scoop atterrant à la société vénézuélienne, surtout à la bourgeoisie fanatisée qui ne voudrait surtout pas voter à gauche. Les véritables tenants du courant social-démocrate en Amérique latine aujourd’hui, de Tabaré Vázquez en Uruguay jusqu’à Andrés Manuel López Obrador au Mexique, ont depuis longtemps compris que leur camarade au Venezuela c’est Chávez.

« Social-""démocrate’’ » assez peu démocrate Manuel Rosales avait signé le Décret Carmona qui pulvérisa en avril 2002 la démocratie vénézuélienne, tous les pouvoirs constitués vénézuéliens et toutes les institutions représentatives. François Meurisse admet en effet que Rosales « traîne un lourd boulet depuis le 12 avril 2002. Ce jour-là , il a reconnu et soutenu l’éphémère (quarante-huit heures) gouvernement de Pedro Carmona, le ""patron des patrons’’ vénézuélien, arrivé à la tête du pays suite à un coup d’Etat contre Chávez. » Comme c’est bizarrement tourné. Carmona n’a pas fait un coup d’Etat, il est « arrivé à la tête du pays suite à un coup d’Etat ». Nuance. Quand l’oligarchie fait un coup d’Etat c’est comme par inadvertance. Si le « patron des patrons » arrive au pouvoir c’est « suite à un coup d’Etat » anonyme, c’est-à -dire commis par personne. La Constitution qui avait été envoyée au vide-ordure en avril 2002 par les putschistes Carmona, Rosales -le seul gouverneur de l’opposition à accomplir ce geste infâme- et leur acolytes, est un texte d’une essence démocratique rarement vue dans le monde.

Outre son contenu, reconnu comme l’un des plus avancés, en termes de reconnaissance des droits sociaux, de reconnaissances des droits des minorités, de garanties en termes de droits humains, etc., cette Constitution a été élaborée par tout un peuple bolivarien mobilisé durant l’année 1999. Des milliers de discussions publiques, des centaines de corrections, des heures interminables de négociations à tous les niveaux pour rechercher le consensus populaire, la rédaction finale du document par les membres de l’Assemblée Nationale Constituante élus par le peuple, la ratification par referendum populaire le 15 décembre 1999, tout cela avait été piétiné par le coup d’Etat impérialiste d’avril 2002 où Carmona et Rosales n’était en effet que des pantins. « ""Le gouvernement va ressortir cet épisode comme un disque rayé, mais tout ça, c’est du passé’’, affirme Gerardo Blyde, le directeur de la campagne de Manuel Rosales. » Ce ne serait pas déloyal de la part du gouvernement que de « ressortir » cet « épisode », ce serait simplement contribuer à la connaissance historique. Mais le gouvernement ne dispose pas de la force de frappe médiatique dont disposent l’oligarchie et l’impérialisme, qui répète sans arrêt, sur tous les tons, sous tous les prétextes possibles, que Chávez est un militaire putschiste. Le plus grave c’est que le même esprit anti-démocratique et anti-populaire habite le journaliste de Libération qui ose encore parler d’une « Constitution de 1999, écrite par Chávez lui-même » alors qu’il y a peu de Constitutions dans le monde qui aient la même légitimité démocratique que la Constitution de République Bolivarienne du Venezuela. Cependant comme elle n’a pas été écrite par les personnes qui habituellement rédigent les Constitutions -les oligarchies vassalisées et leurs serviteurs- elle peut être considérée nulle et non avenue par les uns et traitée par le mépris par les autres.

François Meurisse, prétendant stigmatiser Chávez, le signale comme l’auteur d’« une tentative de putsch ratée [sic] » en 1992, ce qui ne fait que montrer son ignorance de la sociologie politique vénézuélienne ces dernières années. Le soulèvement civico-militaire du 4 Février 1992, faisant écho au soulèvement populaire anti-FMI de mars 1989, fait partie du consensus politique vénézuélien. Imagine-t-on un journaliste accuser un politicien algérien, pour le stigmatiser, d’avoir organisé l’Insurrection du 1er Novembre 1954 ? Le candidat de l’opposition à l’élection présidentielle de l’année 2000 était l’un des dirigeants du soulèvement de 1992. Certains disaient même qu’en véritable leader il avait refusé de se rendre malgré l’enrayement du plan, tandis que Chávez appelait les Insurgés à déposer les armes. Certaines forces aujourd’hui solidaires de Manuel Rosales se présentent, de façon tout à fait comique il est vrai, comme les véritables artificiers du soulèvement civico-militaire du 4 Février 1992. C’est par exemple le cas de l’organisation marxiste-léniniste-maoïste appelée Bandera Roja (BR) [Drapeau Rouge].

Chávez célèbre avec une légitime fierté sa participation dirigeante à l’Insurrection du 4 Février 1992 -pacte signé à l’encre de Chine entre le peuple et les forces armées, implicite serment d’acier- et tous les ans le 4 Février est célébré par les anti-impérialistes vénézuéliens. En contrepartie les putschistes d’avril 2002 -pardon : ceux qui ont pris le pouvoir « suite à un coup d’Etat »- sont des marionnettes inconséquentes. Ainsi selon François Meurisse, Manuel Rosales « le candidat, lui, esquisse un mea-culpa : ""Si j’ai une dette avec la démocratie, si j’ai commis une erreur, je le reconnais.’’ Avant de contre-attaquer : ""Je n’avais rien planifié, je n’ai pas passé plusieurs années à préparer un coup d’Etat et faire [sic] des morts comme l’a fait Chávez.’’ Allusion directe [sic] à la tentative de putsch ratée [sic] de ce dernier, en 1992. » Sommet d’indignité ou d’inconséquence.

Social-démocrate vraiment particulier, et qui serait en tout état de cause plus proche de la tendance démago-vassaliste à la Alan Garcà­a que de la tendance démocratique souverainiste à la Tabaré Vázquez, Rosales avait donc soutenu le « patron des patrons » putschiste. Les véritables représentants du courant social-démocrate au Venezuela et ailleurs s’indigneront naturellement par cette qualification politique légèrement offerte par François Meurisse. Au Venezuela le Mouvement électoral du peuple (MEP), fondé par le maître Luis Beltrán Prieto Figueroa, figure éclairée de la social-démocratie incorruptible et anti-impérialiste, accompagne avec enthousiasme la Révolution Bolivarienne qui s’oriente aujourd’hui vers un socialisme novateur et frais. Luis Beltrán Prieto Figueroa (membre fondateur d’AD en 1941) avait créé le MEP en 1967, tandis que le parti AD achevait de se vendre -et d’offrir le Venezuela- à l’impérialisme.

« L’espoir de Manuel Rosales, c’est sa ténacité électorale. En octobre 2004, lors des régionales, il avait vaincu dans l’Etat de Zulia un protégé de Chávez. Tout à ses dénonciations continuelles de ""l’Empire’’ (les Etats-Unis), le chef de l’Etat, qui ne parle de lui-même qu’à la troisième personne, ne voit que deux candidats : ""Hugo Chávez et George W. Bush.’’ » Dans ce paragraphe François Meurisse maraude aux alentours du record de densité de mauvaise foi : à peu près un coup bas par ligne. La première phrase n’a absolument aucun sens, sinon la volonté du journaliste de manifester sa tendresse pour Rosales, afin que les bobos parisiens comprennent bien que c’est leur candidat. Il est absolument faux de dire que Chávez « ne parle de lui-même qu’à la troisième personne. » Pure invention, assez étrange à vrai dire.

En octobre 2004, lors des élections pour le gouvernorat du Zulia, Manuel Rosales avait en effet vaincu le candidat chaviste - cependant que l’opposition, relayée par Libération, dénonçait la non fiabilité des processus électoraux et la fraude partout où elle perdait. Rosales avait remporté 54% des voix, près de 484 000 voix, y compris celles du parti BR, avec une abstention de près de 48%. Or lors du referendum révocatoire du 15 août 2004, deux mois avant, Chávez avait obtenu plus de 605 000 voix dans le Zulia, l’abstention avait été beaucoup plus faible. Le « non » à la révocation, favorable à Chávez, avait emporté 53,14% dans le Zulia ! Courte victoire, différente des près de 60% de moyenne nationale, mais victoire tout de même. La « ténacité électorale » de Rosales si ce mot a un sens est donc toute relative ; et en décembre 2006, ce n’est pas un militant chaviste inconnu, un « protégé » de Chávez comme dit sarcastiquement François Meurisse, mais c’est Chávez lui-même qui s’oppose à Rosales. La victoire dans le Zulia est donc tout à fait envisageable pour Chávez, si on considère que tous les sondages font état d’une montée ininterrompue de la popularité du président ces trois dernières années, ce que François Meurisse est bien contraint de reconnaître, enfin, certes à sa façon. Lors du referendum d’août 2004 Libération désinformait son lectorat en présentant Chávez comme un président impopulaire. Aujourd’hui suivant la tendance de la presse de droite états-unienne, lasse de s’exalter en vain, Libération finit par admettre la popularité de Chávez, observant avec une résignation circonspecte que dans « les franges populaires » « le Président jouit toujours d’un fort soutien », manquant juste de préciser que les « franges » populaires c’est l’immense majorité du peuple vénézuélien. Effectivement : « toujours d’un fort soutien », comme en 2004, comme en 2002, comme 1999. Si on considère tout ce qui avait été écrit jusqu’ici par Libération quant à l’impopularité de Chávez le lecteur du journal risque de tomber des nues.

Cependant Rosales, « ce social-démocrate aujourd’hui crédité de 10 à 20% des intentions de vote dans les sondages ­ il est vrai peu fiables ­, contre plus de 50 % à son adversaire », a encore des chances. Hors le fait qu’il récidive dans l’emploi farfelu du qualificatif de « social-démocrate » pour Rosales, François Meurisse fait montre d’une réserve assez rare vis-à -vis des sondages et dans le même temps il se livre à une manipulation des chiffres assez peu honnête. Les sondages sont certainement considérés « peu fiables » par François Meurisse parce qu’ils sont sévères pour son chouchou. On aimerait voir Libération émettre ce genre de réserve pour les sondages dans d’autres circonstances. Il est assez surprenant de voir que Rosales est situé dans une fourchette qui le fait passer du simple au double, « crédité de 10 à 20% », chiffres donnés sans garantie de fiabilité de surcroît. Par contre pour Chávez il y a un seul chiffre, assez imprécis, « plus de 50% »... Pourquoi cette discrimination ? Pourquoi Chávez n’est-il pas crédité de 50 à 100% ? Effectivement Rosales, « le seul candidat crédible » selon François Meurisse, est loin de parvenir à la popularité du candidat sortant. Chávez a bien le désavantage de devoir présenter un bilan comme c’est naturel pour le candidat sortant, mais Chávez a le grand avantage d’être resté fidèle à lui-même et à son peuple bolivarien, Chávez a l’immense avantage d’être la figure unitaire qui incarne le renouveau apporté par la Vème République au Venezuela.

Les 20% pour Rosales correspondent à l’estimation des intentions de vote sans considération des indécis en comptant exclusivement les préférences pour l’un ou l’autre des candidats ; dans le cas d’une mesure des préférences de l’électorat toute option offerte, et en comptant les indécis comme catégorie séparée, Rosales descend à 10%. Le problème c’est que dans une estimation indécis exclus, pour mener Rosales à 20%, Chávez s’élève très haut au-dessus des 50%, attirant les sympathies d’environ les deux tiers de l’électorat ; dans le deuxième schéma, indécis inclus, Chávez reste encore effectivement à « plus de 50% ». Basse et rugueuse manipulation des chiffres de la part de François Meurisse que détectera tout étudiant ayant suivi les trois premiers cours du niveau 1 de statistique électorale.

Le même journaliste qui traduisait avec entrain les propos délicats de son protégé sait éviter d’interpréter Rosales quand cela peu être assez gênant, son projet de politique internationale par exemple : « les promesses électorales de Rosales restent floues : rétablissement de relations harmonieuses avec les Etats-Unis... » Cela n’a rien de flou, c’est le rôle stratégique tout à fait conscient des cogollos vénézuéliens à la mentalité de vassaux. Souveraineté ou vassalisation, voilà l’enjeu principal de cette élection présidentielle. Pour tout Vénézuélien un tant soi patriote le rétablissement des relations harmonieuses avec les Etats-Unis relève de la responsabilité du clan Bush qui prétend terroriser le tiers-monde. La philosophie de Bush telle qu’exprimée en octobre 2001 -« ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous » qui pourrait se traduire par « soumettez-vous ou vous courrez le sort de l’Irak ou du Liban »- a indigné toutes les personnes porteuses d’un minimum d’orgueil latino-américaniste au Venezuela et ailleurs. S’il est faux, archifaux, que Chávez « ne parle de lui-même qu’à la troisième personne », il est vrai qu’il considère que son véritable opposant c’est le président états-unien et, de façon plus générale, l’empire -que nous écrivons sans guillemet, s’agissant d’une réalité connue de toute la société humaine, excepté les bobos parisiens. Nous ne pouvons pas compter sur François Meurisse pour signaler le risque pour la souveraineté vénézuélienne que représenterait Manuel Rosales, mais nous pouvons compter sur lui pour chanter les éloges du gouverneur du Zulia.
Perdant tout contact avec la réalité François Meurisse informe que, « gouverneur de l’Etat frontalier avec la Colombie de Zulia [sic], coeur pétrolier et économique du pays, Rosales y a récolté une réputation de bon gestionnaire. »

Où François Meurisse a-t-il perçu les signes de cette réputation ? Les médias vénézuéliens, télévisions, radios et journaux, massivement acquis à la cause de l’opposition, ne se sont jamais aventurés à de tels éloges. Pourquoi ? Le quotidien régional Panorama, quotidien le plus prestigieux de la région occidentale -quotidien qui il est vrai n’est pas tombé dans l’antichavisme farouche mais conserve une posture somme toute équilibrée- fait la chronique de la gestion désastreuse de Rosales dans l’Etat du Zulia. Le ton de Panorama est modéré et pondéré mais la simple description des à -coups de la vie quotidienne, relevant de la responsabilité du gouvernorat, est un désaveu à la gestion de Rosales. Les dénonciations des cas de corruption sont quasi-quotidiennes dans le Zulia. Que penserait-on d’un journaliste étranger venant dire que Jacques Médecin était un très bon gestionnaire de la ville de Nice ? (N.d.l.r. Lire : Menace séparatiste au Venezuela : Zulia, un autre pari de Washington, par Juana Carrasco Martin.)

Rosales est un ancien militant adeco. Action Démocratique (AD) monopolisait le pouvoir politique et toutes ses ramifications pendant la IVème République si bien que tous les maffieux ambitieux avaient intégré ses rangs parce que cela représentait un des moyens les plus rapides et les plus efficaces. Au cours des années 1990, AD perdant prise peu à peu après la chute de Carlos Andrés Pérez, les politicards les plus enclins à la flexibilité quittaient ce parti pour sauver leur carrière politique. Manuel Rosales, reconverti dans la politique locale avec le parti Un Nuevo Tiempo, est l’un d’entre eux. Mais Manuel Rosales reste un adeco social. Son entourage est truffé des rebuts les plus individualistes, répressifs et corrompus d’AD. Cas emblématique : Henry López Sisco, désigné conseiller à la sécurité policière par Manuel Rosales dans le Zulia, est une personne dont on connaît l’expérience en matière de répression. Le sombre personnage est impliqué dans tous les massacres anti-populaires qui se sont produits durant la IVème République : El Amparo, Yumare, Cantaura, etc. Autant de noms symboliques qui font encore frémir dans la gauche vénézuélienne. Aujourd’hui, dans le Zulia, López Sisco est fortement soupçonné de complicité avec les paramilitaires colombiens. On sait la pénétration ces dernières années de ces hordes de criminels déshumanisés, spécialisés dans le combat violent contre la gauche pacifique, dans toutes les régions occidentales du Venezuela où les dirigeants populaires ruraux sont tombés par dizaines. Le directeur de campagne de Manuel Rosales, Gerardo Blyde, est quant à lui le tenant d’une droite dure sans complexe alignée sur Washington. Que penserait-on d’un journaliste étranger faisant le descriptif d’un candidat « social-démocrate » en France, tout en cachant la véritable nature d’un directeur de campagne qui s’appellerait Alain Madelin et d’un chef policier qui aurait nom Papon ?

« Le seul candidat crédible » peu à peu fait connaître certaines de ses idées de gouvernement. L’un de ses projets phares c’est le versement à tous les Vénézuéliens d’une allocation mensuelle qui pourrait s’élever à 1 million de bolivars par mois, selon les prix du pétrole. Somme supérieure au salaire minimum. Cette proposition politique, sommet de démagogie paternaliste, se matérialiserait par l’ouverture d’un compte bancaire pour 2 millions et demi de familles. La carte permettant d’effectuer les retraits s’appellerait « Mi Negra », certainement le mot le plus tendre de la langue populaire vénézuélienne, mais vocable complètement étranger au parler de la bourgeoisie aliénée, dont les canons esthétiques se trouvent aux antipodes de la négritude. Pari démagogique assez surprenant et somme toute très risqué : les bourgeois percevront certainement cela comme une façon de continuer de chouchouter les pauvres -c’est dans une bonne mesure ce que mezza voce ils reprochent à Chávez- ; les plus nécessiteux, les gens concernés apparemment, trop habitués aux promesses démagogiques des populistes de la IVème République, s’en remettront probablement au sage proverbe : mieux vaut un oiseau dans l’assiette que cent dans le ciel.

Reconnaissons finalement -indéniable gage d’équilibre- tout de même à Libération une audacieuse entrée en contact avec la réalité, au bout de sept ans ce n’est pas trop tôt. Dans un effort notable le journaliste reconnaît en effet du bout des lèvres -avec des guillemets hautains pour le mot « missions »- l’amélioration de la situation pour les plus pauvres : « les ""missions’’ sociales du gouvernement, ­ alphabétisation, médecine de proximité, alimentation à bas prix, etc., ont sensiblement amélioré les conditions de vie des couches les plus pauvres de la société. » Ces données élémentaires qui se trouvent au coeur de la politique en Amérique latine, la question sociale, ne sont absolument pas reconnues par l’immense majorité des médias vénézuéliens acquis à l’opposition. Les candidats de l’opposition et les médias dénoncent continûment l’appauvrissement des Vénézuéliens depuis le début de la Révolution chaviste. François Meurisse pourrait donc ajouter, mais ce serait demander beaucoup, que les médias et les candidats de l’opposition ont une piètre perception des changements survenus ces dernières années dans leur propre pays.

Né « maoïste », Libération peut aujourd’hui être considéré comme un quotidien de centre, peut-être de centre-gauche, avec certes une fascination évidente pour la société états-unienne et une bienveillance infinie pour la politique extérieure de Washington. Se lancer dans une défense tous azimuts du candidat de la droite putschiste vénézuélienne signale tout de même une surprenante embardée politique, y compris en prenant en compte l’hostilité maladive du quotidien envers Chávez. Ce petit mouvement incongru, qui voudrait vendre Manuel Rosales comme un social-démocrate, doit probablement être replacé dans le cadre des grandes manoeuvres stratégiques des véritables ennemis du Venezuela. Saborder ou briser la République Bolivarienne du Venezuela souverainiste et latinoaméricaniste, de plus en plus perçue comme un solide pôle de résistance par les peuples du monde, est l’un des objectifs les plus pressants de la Maison Blanche. Le magistral ouvrage de Frances Stonor Saunders « Qui mène la danse ? La CIA et la Guerre froide culturelle » raconte comment les agences états-uniennes chargées du façonnage de la culture politique dans le monde disposent d’un organigramme international de collaborateurs, principalement dans la presse et dans l’université.
Ces derniers, depuis la Deuxième guerre mondiale au moins, sont activés partout de façon voilée pour contribuer à l’élaboration d’une culture politique favorable aux desseins impérialistes.

Numancia Martà­nez Poggi


+ + + A LIRE aussi à la suite - Le "Rose-Brun" : Ajouts à la critique de Numancia Martinez Poggi d’un article de Libération sur le Venezuela, par Romain Migus.



L’assassinat d’Hugo Chávez, par Greg Palast.


Le danger du succès de la révolution d’Hugo Chavez, par Ted Rall.

En défense d’Hugo Chávez, Une révolution inoffensive, par B. Alvarez Herrera.


Venezuela : Le Monde s’ouvre la voie de la désinformation à vie, par Romain Migus.




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