En AL les forces réactionnaires ont expérimenté toute une panoplie d’outils pour empêcher les peuples d’accéder à une véritable indépendance. L’incapacité des partis politiques de droite à contenir la lutte de ces peuples a abouti à la multiplication de coups d’État dans les années 70. La faillite de pratiquement toutes les dictatures imposées par Washington s’est accompagnée d’un discrédit des armées. Depuis le début du siècle, le seul pouvoir pratiquement intact des bourgeoisies locales subsiste dans les groupes de presse restés comme des îlots de résistance de la droite dans des sociétés qui n’ont pas cessé d’évoluer vers le rejet du néolibéralisme, à des degrés divers.
De ce fait, tous les gouvernements de progrès qui ont été élus en AL ont été violemment attaqués par ces groupes de presse, souvent monopolisés, qui ont appuyé les dictatures et milité pour leur maintien en devenant des acteurs (parfois des meneurs) politiques à part entière.
Au Venezuela en 2002, certains groupes de presse, tels que RCTV, ont allègrement applaudi le coup d’État. Par la suite, lorsque la concession de fréquence n’a pas été renouvelée à RCTV, une campagne mondiale a été déclenchée pour qualifier le gouvernement de Chàvez de liberticide, comme si le soutien à un coup d’État entrait dans les prérogatives de la presse. Ainsi des journaux français (1) se sont-ils indignés, accusant le Venezuela, où la presse privée représente 80 % des titres édités, de dictature, alors que ces mêmes médias trouvent normal que 90 % de la presse chilienne soient aux mains de deux personnes. Deux poids, deux mesures : une bien curieuse façon de défendre la diversité d’opinion et la liberté de presse !
Les propriétaires de groupes de presse, et les journalistes à leur solde, ne s’embarrassent pas de considérations éthiques. Les calomnies et les injures ont foisonné dans les colonnes du El Universal en Equateur pour vilipender le président Correa lors de la tentative de coup d’État organisé contre lui en 2009. Lorsque celui-ci a porté l’affaire devant la justice, la presse du système, y compris en France, l’a accusé d’attenter à sa liberté d’expression (2). Ainsi les journalistes pourraient se permettre de diffamer quiconque, y compris des chefs d’Etat, sans en porter aucune responsabilité. La déstabilisation d’un pays, nous l’avons vu dans toutes les dernières agressions occidentales (en Yougoslavie, Irak, Libye, ou Syrie), commence toujours par la déconsidération de ses responsables.
En Argentine les quotidiens La Nación et El Clarín ont constamment critiqué les politiques menées par Néstor Kirchner et Cristina Fernández. La campagne s’est intensifiée lorsque la loi sur les services de communication audiovisuelle, prévoyant une vraie diversité, a été votée au parlement.
Les journaux sont allés jusqu’à accuser C. Fernández de l’assassinat du juge Nissan, sans l’ombre d’une preuve bien sûr. Une des premières mesures prises par le gouvernement Macri fut l’abrogation par décret de la loi de presse, ouvrant ainsi la possibilité de pérenniser le monopole (3).
Au Brésil le rôle joué par le groupe O Globo grâce à de fausses accusations, aura été primordial dans le processus de destitution de Dilma Roussef (4). Même si elle est réintégrée dans sa charge, son image et son action sont irrémédiablement flétries. En discréditant Dilma Roussef, l’objectif à terme recherché par O Globo est de salir l’image de Lula et de déprécier aussi son action politique, afin d’assurer sa défaite aux prochaines élections présidentielles, dont il reste encore le grand favori. Toute alternative au système néolibéral, fut-elle minime, leur est insupportable.
Le cas le plus extrême est celui de El Mercurio au Chili, dont le propriétaire, Agustin Edwards, a entrepris un voyage express aux États Unis en 1970, quelques jours après l’élection d’Allende, pour demander à son ami Kissinger d’empêcher par n’importe quel moyen l’accession à ses fonctions du Président élu. Les États Unis ont mis trois ans pour honorer cette demande. Le régime étasunien a par la suite financé généreusement ce groupe de presse, lequel a non seulement appuyé la dictature mais participé activement à des campagnes d’extermination d’opposants à Pinochet. Et que dire des campagnes quotidiennes de diffamation, des insultes et menaces proférées à l’encontre de ces opposants ! En 2015 le Collège des journalistes, dirigé par une militante communiste depuis les dernières élections, a décidé d’en expulser Agustin Edwards, à cause de son rôle de conspiration avec les États-Unis dans la chute de Salvador Allende et de son active complicité dans la légitimation de crimes commis pendant la dictature (5). En 2006 déjà, des journalistes de ce groupe avaient été non seulement expulsés du Collège mais aussi condamnés par la justice pour leurs méfaits, certains ayant participé en tant qu’agents de la police de Pinochet, à des campagnes d’extermination de démocrates (6).
Le duopole existant au Chili (El Mercurio et Copesa), qui contrôle encore aujourd’hui 90 % des médias, n’a jamais reconnu sa responsabilité dans le drame qu’a vécu le peuple chilien, en perdant la démocratie et subissant 17 ans de dictature.
Récemment deux nouveaux pas dans l’escalade de la guerre médiatique contre les mouvements progressistes ont été franchis : le premier au Chili, le deuxième en France.
Au Chili, un hebdomadaire du groupe Copesa (Qué pasa ?) a accusé la présidente Michelle Bachelet de corruption. Devant le tollé provoqué par une telle accusation, la page internet a été retirée et de plates excuses ont été présentées par le directeur de la publication (7). Comme cette accusation s’apparente fortement, selon de nombreux observateurs (8), à une campagne de déstabilisation et de discrédit, Michelle Bachelet a porté l’affaire devant les tribunaux, en tant que citoyenne et non en tant que Présidente comme le lui permettait la loi de sécurité de l’État. Malgré cela, le propriétaire du groupe et les responsables des publications ont dénoncé une tentative d’atteinte à la liberté de la presse, annonçant qu’ils utiliseraient toutes les ressources et instances, tant nationales qu’internationales, pour s’opposer à de telles mesures. D’après eux, donc, injures et calomnies sont des prérogatives de la profession et ne constituent en aucun cas un manquement à l’éthique journalistique ou un délit.
Le Collège de journalistes du Chili s’est toute de suite désolidarisé de tels comportements qui ne respectent pas le code éthique et la déontologie de la profession. Comme l’a souligné le groupe de députés du Parti Communiste et de la Gauche citoyenne, « le propos était de porter atteinte à l’image de la Présidente et de son gouvernement, avec le but ultime de freiner les avancées démocratiques de son programme réalisées pendant cette dernière période » (9). La droite, en l’absence d’arguments, utilise ce qu’elle sait manier le mieux avec la violence : la désinformation, la calomnie et l’injure.
En France la campagne médiatique contre les gouvernements progressistes d’AL a été relayée par le journaliste François Lenglet de France 2. Celui-ci, suivant peut-être l’exemple de ses collègues chiliens, s’est permis de diffamer en direct le Président bolivien Evo Morales en le traitant de corrompu, et ceci sans la moindre preuve, puisqu’à ce jour la commission spéciale mise en place au sein du parlement bolivien et composée de membres de la majorité et de l’opposition a avoué ne disposer d’aucune preuve compromettant le Président. Notons ici la probable connivence de David Pujadas dans la préparation de cette séquence puisque la photo du président Morales est apparue en fond d’écran simultanément. Dans la réponse de François Lenglet à une lettre de protestation adressée par l’ambassadeur de Bolivie en France, il admet avoir employé des termes peu appropriés pour qualifier le président Morales, mettant ainsi en évidence son absence d’éthique dans le traitement de l’information (10). Mais rien de plus, pas d’excuse par exemple. En fait sa tâche était de discréditer, de manière urgente, un président qui met en oeuvre un processus non conforme à la pensée unique si chère aux journalistes et médias occidentaux.
Ces manœuvres sont sans doute des étapes indispensables avant l’organisation de révolutions colorées qui devraient mettre au pas les pays indociles qui ne répondent pas aux diktats de l’ordre occidental.
Dans cette perspective, quels rôles sont appelés à jouer F. Lenglet et ses collègues à l’avenir ?
J.C. Cartagena et Nadine Briatte