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La guerre du Pacifique, deuxième manche

Depuis la fin de la Guerre du Pacifique (1879-1883), la Bolivie, qui a perdu son littoral au profit du Chili, n’a cessé de réclamer la récupération d’une sortie souveraine vers la mer. Dans ce conflit, le Pérou, lui aussi, a perdu des terres : la province d’Atacama, aujourd’hui à l’extrême nord du Chili.

La revendication bolivienne n’a jamais faibli avec le temps. Elle s’est même, depuis dix ans, fortement intensifiée, proportionnellement au prestige grandissant de ce pays dû à une stabilité politique et une croissance économique soutenue, gagnées après l’élection du président indien Evo Morales.

Toutes les négociations, entreprises à différentes périodes, ayant échoué, en 2013, la Bolivie a déposé un recours devant la Cour Internationale de La Haye pour qu’elle oblige le Chili à commencer des négociations sérieuses afin de trouver une solution.

Historiquement le Chili s’est senti supérieur à sa voisine du nord-est de sorte que le problème de l’insularité bolivienne n’a pas été traité de manière sérieuse par les autorités chiliennes. Étant donné le volume énorme de textes juridiques auxquels se référer, il semble paradoxal que le Chili n’ait pas, jusqu’à maintenant, été capable de résoudre ce différend en satisfaisant toutes les parties.

La diplomatie chilienne n’a pas non plus été à la hauteur des exigences de la situation. Dès que la revendication bolivienne s’est faite insistante, le Chili a systématiquement développé des raisonnements qui ressemblaient plus à des fruits de l’improvisation et à force d’être répétés, à des mantras invocatoires, qu’à de véritables argumentaires.

Tout d’abord, et pendant des années, les Chiliens ont proclamé qu’il s’agissait d’une question exclusivement bilatérale. Or, toute négociation incluant les territoires du nord du Chili – anciennes possessions du Pérou – doit compter avec son aval. La question n’est donc évidemment pas exclusivement bilatérale. D’ailleurs, la solution d’un corridor accolé à la frontière péruvienne n’a pu voir le jour en 1978 car le Pérou s’y est opposé.

Ensuite la chancellerie chilienne n’a cessé de répéter que les accords et les traités sont intangibles et qu’ils sont signés une fois pour toutes. Une « fin de l’histoire » à la chilienne en quelque sorte. Là non plus la position chilienne ne tient pas la route. Les protocoles, accords et traités sur la question, entre les deux pays, sont nombreux (une liste sommaire pourrait inclure ceux de 1866, 1874, 1895 et 1904), chacun remplaçant, ou complétant, le précédent.

Enfin, les responsables chiliens ont répété sans cesse qu’il n’y avait plus de problème avec la Bolivie, car le Chili lui garantissait, selon l’accord de 1904, un accès permanent aux côtes chiliennes. Ils oublient de rappeler dans quelles conditions d’infériorité la Bolivie a du négocier ce traité et que l’accès aux ports chiliens des marchandises boliviennes est loin d’être garanti. Le trafic sur la ligne ferroviaire entre Arica et La Paz est en effet interrompu depuis 1997. Et il a suffi d’une grève des dockers chiliens, dans les ports privatisés par les politiques néolibérales menées jusqu’à maintenant, pour que la « garantie » chilienne soit suspendue comme ce fut le cas en décembre 2013. Et c’est sans parler de l’interdiction pure et simple de faire transiter des armes dans les années 1932-1935 ou de l’embargo sur les marchandises dans les années 1952-1953, interdiction et embargo décrétés par les autorités chiliennes.

Ainsi insidieusement, les allégations chiliennes se sont disqualifiées d’elles-mêmes, aux yeux de tous, laissant le champ libre aux raisonnements de la Bolivie et, de fait, la stratégie bolivienne consistant à promouvoir sa position dans le concert des nations, n’a cessé de récolter des fruits (1).

La situation chilienne

Il faut chercher les raisons de traiter cette affaire avec une telle désinvolture dans l’idiosyncrasie de la nation. Le Chili est convaincu que le recours argumentaire ultime pour régler ce différend reste la force. En effet, les forces armées chiliennes se placent en troisième position en Amérique Latine de par leur puissance, leur taille et leur budget (celui-ci étant équivalent à ceux de l’Argentine et du Pérou réunis), derrière le Brésil et le Mexique, pays bien plus peuplés et économiquement plus importants (2). Elles sont marquées par le nationalisme, le chauvinisme et l’anticommunisme, dont la dictature de Pinochet les a imprégnées depuis 1973 en adoptant la Doctrine de Sécurité Nationale, forgée dans les académies de guerre des États-Unis.

Dans les casernes chiliennes on enseignait que, outre les marxistes, les trois pays limitrophes du sous-continent (le Chili possède aussi une frontière, bien qu’éloignée, avec la France, grâce à l’île de Pâques, à travers la Polynésie (3)), sont des ennemis qu’il faut éliminer (4). C’est cette doctrine léguée par la dictature civilo-militaire de Pinochet qui domine encore aujourd’hui.

L’importance que le Chili accorde à la force est historique et le blason à lui seul est révélateur de celle-ci dans l’imaginaire chilien : « Par la raison ou par la force ». L’armée chilienne se plaît à répéter qu’« elle est une armée victorieuse, jamais vaincue ». Cependant la plupart de ses batailles, elle les a gagnées contre les habitants de son propre pays. Malheureusement, l’histoire chilienne est jalonnée de grands bouleversements internes provoqués plutôt par la force que par la raison, et assortis de tous leurs cortèges de massacres perpétrés par les forces armées. Pour ne signaler que les plus importants : 1884 (pacification de l’Araucanie), 1891 (chute et suicide de Balmaceda), 1907 (massacre de Santa-Maria de Iquique) et 1973 (coup d’État contre Allende).

La récente déclaration de l’ex-ministre de la défense, Jaime Ravinet, ripostant après le rejet de la demande chilienne par la cour de La Haye (5), dans laquelle il provoquait la Bolivie et la mettait au défi de venir retrouver une issue vers la mer les armes à la main, prouve dans quel domaine la réaction chilienne est encore le plus à l’aise (6).

Les raisons boliviennes et les défis à surmonter

Le plan en 13 points signé par les deux pays au cours du premier mandat de M. Bachelet (2006-2010) et qui comprenait une solution à l’insularité de la Bolivie, a vu repousser ses aspirations par la décision du président de droite, Sebastian Piñera, en 2010.

Le gouvernement bolivien, déçu de voir ses demandes rejetées, a alors pris la décision de faire appel au Tribunal de La Haye, sans tenir compte, peut être, de la dynamique difficile que vit le Chili depuis 1973. En effet, la dictature de Pinochet, qui s’est prolongée pendant dix-sept ans, a profondément modifié la mentalité chilienne en inoculant dans l’imaginaire populaire les « valeurs » très rétrogrades d’individualisme et de chauvinisme. Jusqu’à présent ce sont ces idées qui prédominent dans la société chilienne. Les commentaires insolites, négatifs et agressifs, diffusés par les réseaux sociaux, au sujet de l’inauguration, par une mairie communiste, d’une pharmacie qui distribue des médicaments à prix d’usine au bénéfice de tous, corroborent l’existence d’une position idéologique extrémiste et bornée, en dépit du bon sens, au sein de la population (7).

Le recours fait au Tribunal de La Haye et la campagne de promotion internationale bolivienne ont eu deux effets. Le premier, positif : l’appui international à la position bolivienne n’a cessé de grandir, additionnant des soutiens venus de tous les horizons. L’autre, négatif : mises à part les positions solidaires, mais minoritaires envers les aspirations boliviennes au sein de la société chilienne, la grande majorité des Chiliens s’est repliée dans le chauvinisme et la xénophobie face à ce qu’ils considèrent comme une agression.

La vague chauviniste qui a déferlé après la décision du Tribunal de La Haye le 24 septembre 2015 de se déclarer compétent pour statuer sur ce différend, rejetant ainsi la réclamation chilienne, montre l’état d’esprit de la population (8).

Les changements de mentalité seront forcément très lents et devront être accompagnés de transformations des institutions et de la législation qui régissent la vie des Chiliens.

Les conditions et perspectives de solution

La dernière bataille de la Bolivie pour retrouver une issue souveraine vers l’océan Pacifique a déjà commencé. Elle ne se déroulera pas sur le terrain des armes mais bien sur les terrains juridique, diplomatique et politique où la Bolivie est largement mieux placée. Ce conflit ne sera pas réglé, comme l’arborent les armoiries chiliennes, par la force, mais bien par la raison, et uniquement par elle.

La condition préalable au règlement de ce différend est une transformation de mentalité de la grande majorité du peuple chilien, un passage plus ou moins rapide, de valeurs individualistes à une conscience plus généreuse, responsable et collective, au-delà de la vie interne du pays. Malheureusement les évolutions de mentalités ne se décrètent pas. Et il semblerait qu’au Chili ce processus menant à une prise de conscience de l’intérêt commun à mettre un terme à une querelle entre pays voisins, soit facilité par une démarche parallèle consistant au démontage de l’armature pinochetiste toujours en vigueur, ce qui requiert du temps, contrairement au souhait de nombreux citoyens.

Tous ceux qui œuvrent pour soustraire le pays à l’hégémonie réactionnaire imposée par Pinochet agissent dans le bon sens et pour le moment, les plus grandes transformations dans les institutions pinochetistes ne sont venues et ne peuvent venir dans un futur proche que du gouvernement de la Nouvelle Majorité, s’appuyant sur les revendications sociales.

Donc s’en prendre au gouvernement chilien sous prétexte qu’il n’avance pas assez vite, relève de la précipitation, de l’impatience et d’une incompréhension de la dynamique en cours.

Par ailleurs, la polémique, souvent contre-productive, et d’où qu’elle vienne, ne peut créer une ambiance favorable à la compréhension et par conséquent à une solution du litige. Depuis 2013, date de la saisine de La Haye, la guérilla faite de déclarations des deux parties n’a jamais faibli. Dans l’état actuel des choses elle pourrait bien desservir la cause bolivienne.

(1)http://www.diremar.gob.bo/sites/default/files/LIBRO%20DEL%20MAR%20BILINGUE.pdf

(2) https://actualidad.rt.com/actualidad/186921-ejercitos-potentes-america-latina

(3) A ce propos une anecdote savoureuse : « En 1990 et en 1991 la France émet des timbres commémorant les exploits de la colonisation des îles du Pacifique par les polynésiens. Le libellé "Polynésie française" accompagnant des illustrations de l’île de Pâques sur les dits timbres porte à quiproquo et le Chili proteste contre ce qu’il considère comme une tentative d’hégémonie sur l’île de Pâques de la part de la France ».
http://www.jeanhervedaude.com/Easter%20Island%20stamps.htm

(4) https://www.youtube.com/watch?v=aA8xT_Z3Ibc

(5) La demande du Chili, à la cour de La Haye, de se déclarer incompétente pour statuer sur ce litige a été rejetée par le tribunal le 24 septembre 2015.
http://www.icj-cij.org/homepage/index.php?&lang=fr

(6) http://www.eldinamo.cl/nacional/2015/09/25/ex-ministro-de-defensa-ravinet-con-todo-contra-el-fallo-de-la-haya-si-bolivia-quiere-mar-que-venga-a-buscarlo/

(7) http://www.lanacion.cl/las-insolitas-criticas-en-twitter-a-la-farmacia-popular-de-recoleta/noticias/2015-10-15/160414.html

(8) http://www.elmostrador.cl/noticias/pais/2015/09/24/86-de-los-chilenos-rechazan-otorgar-mar-soberano-a-bolivia/

J.C. Cartagena et Nadine Briatte

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« Cuba mi amor », un roman sur le Che de Kristian Marciniak (Rebelion)
Leyde E. Rodri­guez HERNANDEZ
Publié chez Publibook, une maison d’édition française, le roman de Kristian Marciniak : « Cuba mi amor » circule dans Paris ces jours-ci. Dans un message personnel adressé au chroniqueur de ce papier, l’auteur avoue que Cuba a été le pays qui lui a apporté, de toute sa vie, le plus de bonheur, les plus grandes joies et les plus belles émotions, et entre autres l’orgueil d’avoir connu et travaillé aux côtés du Che, au Ministère de l’Industrie. Le roman « Cuba mi amor » est un livre (…)
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