Avec la fin de la Guerre Froide, le bloc représenté par les États-Unis et leurs alliés a tout d’abord pensé que son hégémonie serait garantie pour le siècle à venir. Le PNAC (Project for a New American Century), soutenu par le complexe militaro-industriel états-unien à tendance néo-conservateur, est l’incarnation de cette pensée dans sa forme la plus politiquement agressive . Cette vision géopolitique états-unienne s’alterne sempiternellement avec celle des démocrates qui entendent utiliser les droits de l’homme et la démocratie comme prétexte à la guerre. Ces deux visions, bien que différentes dans la forme, représentent toutefois la même contestation de la notion irrémédiable d’équilibre des puissances. L’émergence de puissances telles que la Chine ou l’Inde a manifestement été perçu comme un obstacle majeur à ce nouveau siècle américain. Dés lors, la paix internationale ne peut être assurée que si cette notion d’équilibre des puissances est absorbée par la structure des Nations-Unies Pourtant, rien de cela n’arrive, et ceci pour plusieurs raisons :
Tout d’abord, le conseil de sécurité des Nations Unies demeure un système hermétique et profondément inégalitaire. Deuxièmement, et cela est nettement plus méconnu, le système d’accréditation des ONG (organisations non gouvernementales) permet aux mêmes puissances dominatrices de pousser leurs idées au sein d’une organisation des Nations Unies pourtant sensée ne reconnaître que la stricte expression des souverainetés nationales.
La Guerre en Libye et les droits du plus fort.
La Guerre en Libye peut donc apparaître comme le point d’orgue de cette logique irréaliste car elle a, pour se justifier, usé de tous les artifices possibles et imaginables. Mais surtout, parce qu’elle a démontré de façon quasi-définitive que l’organisation des Nations Unies était bien un instrument de domination des États-Unis et de leurs alliés. Sa crédibilité, déjà précaire depuis au moins la chute du monde soviétique, est désormais sévèrement remise en cause par des puissances comme la Chine et la Russie qui n’entendent plus se soumettre au bon-vouloir de l’Europe et des États-Unis comme ils l’ont fait remarquer par leur récent véto contre la résolution à l’encontre de la Syrie.
Comme le montre notre entretien avec le Dr Sliman Bouchuiguir (depuis nommé ambassadeur de Libye en Suisse), les allégations à l’origine des actions entreprises contre la Jamahiriya arabe libyenne sont invérifiables et il n’existe aucune preuve allant dans le sens de ces allégations. Pourtant, via le système d’accréditation des ONG au Conseil des droits de l’Homme, la Ligue Libyenne des Droits de l’Homme, la National Endowment for Democracy (qui n’est pas une ONG) et U.N Watch, sont parvenues avec l’appui des médias à faire de ces allégations des vérités admises. En admettant que les ONG disent la vérité, et donc que le Dr Sliman Bouchuiguir disait vrai sur la "Stratégie de terre brûlée" du Colonel Kadhafi, comment expliquer qu’il n’y ait pas eu d’enquête ? Les ONG sont elles vouées à être à la fois juge et partie ?
Notre point de vue est donc le suivant : Les ONG peuvent se révéler être un outil de domination diplomatique tout en bénéficiant d’une image prétendument neutre. Bien sur, l’idéologie des "droits de l’homme" renforce le soi-disant bien fondé de ces organisations et tétanise tout débat critique quant aux objectifs réels derrière cette idéologie. Le système de domination qui entend user des Nations Unies afin d’assurer sa survie utilise donc à la fois le Conseil de Sécurité et les ONG accréditées au département économique et social des Nations Unies. Ces deux stratégies ne peuvent, au moins dans le cas de la guerre en Libye, être dissociées.
Cela fait déjà plusieurs années que nous dénonçons les pratiques d’influence des ONG et il semble que ceci se vérifie. Nous avons également attiré à plusieurs reprises l’attention de nos lecteurs sur certaines volontés d’institutionnaliser et de codifier le rôle des ONG dans la politique internationale. Il existe là encore un risque majeur. Car dés le moment où les Nations Unies deviennent un outil de domination des puissants, alors son organisation ne peut être pensée que pour maintenir cette hégémonie : soit garantir qu’elle demeure entre les mains de ceux qui souhaitent l’orienter dans le sens de leurs intérêts. C’est exactement ce à quoi nous avons assisté lors des débats sur la question de la Responsabilité de Protéger (R2P). Perçue comme une logique des puissants par les pays émergents, elle a été encensée par les ONG, validant ainsi la marche en avant pour la codification du droit d’ingérence.
Or, dans le contexte d’un affrontement entre l’Occident et les puissances émergentes (BRICS en premier lieu), l’installation d’un monde multipolaire est inévitable tout comme la coopération entre les Nations au sein d’une organisation sensée limiter les risques de guerre. Le jusqu’au boutisme des États-Unis et de ceux qui ont choisis d’être leurs alliés risque donc de provoquer une escalade belliciste. De plus, leur régression économique est inévitable tant qu’ils limitent leur coopération avec les puissances dont ils ne souhaitent pas l’émergence. Sécuriser les approvisionnements en énergie par des actions militaires, ce qui a par ailleurs pour conséquence le reniement du droit inaliénable des peuples à disposer de leurs propres choix, risque vite d’être perçu - si ce n’est pas déjà le cas - comme l’expression d’un impérialisme sans fin.
Nous mettrons bientôt une base de données pour enquêter sur la Guerre en Libye sur notre site www.laguerrehumanitaire.fr
Julien Teil