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Lettre ouverte d’une vieille dame à un jeune homme

La figure du jeune premier, de l’ambitieux sans scrupules, est une figure historique et littéraire propre au libéralisme bourgeois. De fait, lorsque le rapport de forces avec le Travail le leur permet, les capitalistes, alléchés par des profits toujours plus prometteurs, mettent en avant leur programme, tout leur programme : droit du travail réduit, plus de salaire minimum, plus de limite d’âge (retraites repoussées, apprentissage avancé), plus d’entraves à l’activité insolente du Capital, libéré des bornes où un rapport de force moins favorable aux patrons l’avait plus ou moins circonscrit.

Il s’agit toujours, de ce fait, de mettre l’Etat « à sa place », c’est-à-dire de le cantonner à ses fonctions régaliennes de garde-chiourme au service des puissants. Puisque l’on ne fait pas d’omelettes sans casser d’oeufs (« on ne crée pas des emplois si l’on ne subventionne pas le patronat », « on ne retrouve pas la croissance si l’on ne casse pas les conquêtes ouvrières et les droits », ...), l’Etat est appelé à punir sans pitié les récalcitrants. De Jean Valjean aux Goodyear.

La pensée dominante, ânonnée dans un bel ensemble uniforme par des bouches multiples, déclare qu’il n’est d’autre politique possible, accompagne cette fuite en avant, vers toujours plus de profits, toujours plus de magouilles spéculatrices, sans programme autre envers les masses écrasées que ce slogan vicieux : « Enrichissez-vous ! »

Quand il devient acquis que la main invisible du marché s’occupe de tout (c’est-à-dire de rien), quand l’anarchie de l’exploitation (baptisée liberté : celle du renard dans le poulailler) se déploie en grand, alors, les Rastignac sont poussés sous la lumière. Grossiers, brutaux, cyniques, ils expriment sans fard les intérêts et valeurs bourgeois. Ils regardent le passé avec mépris, et là où leurs aînés, rompus à la guerre des classes, font encore montre de prudence, les jeunes loups annoncent tout crûment la fin du combat, faute de combattants. Dans le camp adverse.

Macron peut ainsi sans trembler jouer avec notre code du travail, sous les regards admiratifs des nantis de la vieille gauche, toujours gênés aux entournures par « leurs » valeurs. Ils ont bâti leurs carrières sur l’exploitation frauduleuse des grandes causes et des belles conquêtes ouvrières. Ils tremblent un peu à l’idée de se débarrasser définitivement de ces vieilleries, ces talismans qui leur ont apporté tant de bonheur électoral. Il y a dans l’oeil du bon bourgeois voyant monter Rastignac, cette espérance malade qu’on parviendra à maintenir notre avantage en accélérant la chute. Ainsi, Valls penche-t-il toujours plus à droite.

Le constat selon lequel il n’y aurait plus de lutte de classe (constat qui tout au long de l’Histoire a pris forme de voeu pieux), est toujours fait par les ambitieux, prend toujours la forme du renouvellement et de la jeunesse (Macron serait paraît-il très aimé dans les quartiers populaires... ). C’est que, une telle énormité, il faut avoir le culot de la dire.

Sarkozy l’avait dit : quand il y a une grève, on ne s’en rend pas compte, les « corps intermédiaires » doivent disparaître pour une meilleure fluidité du marché du travail, la CGT doit mourir peu après la chute du camp socialiste, bref, il n’y a plus aucune raison de ménager cet ennemi. En le présentant comme l’obstacle à la modernité, comme le repaire de quelques « privilégiés » (sic), on peut opposer deux France : celle qui veut travailler, et celle qui veut nous en empêcher. Une lutte s’engage, entre les jeunes modernes, et les tenants d’un ordre ancien. Cette présentation des choses, dépourvue de toute profondeur historique, et utilisée à des fins immédiates, c’est la négation de la politique, s’affirmant comme politique de la négation. La table rase, mais renversée.

Le libéralisme bourgeois, poussé à son extrême (et comme il balaie tous les obstacles, il en vient très vite à ses extrêmes), c’est, sous les habits de Louis-Philippe comme sous ceux de ses tardifs épigones, la répression la plus brutale envers le monde du travail. Quand on situe son « Age d’Or » au XIXème siècle, et que dans le même temps on veut revenir sur toutes les conquêtes ouvrières, sur le droit syndical, sur tout ce que le XXème (dans la lutte, le sang, la douleur) a gagné, on est tout sauf moderne. On ne fait que ranimer les rêves malades d’une bourgeoisie en total décalage avec le réel. Car, en dépit de certains silences, d’une certaine apathie, en dépit des sondages et des élections, le réel (précaire, inquiétant) travaille bien concrètement les masses, et le chemin qui mène de la réalité vécue à la conscience du réel, est totalement inconnu des Rastignac et autres étoiles filantes du personnel politique.

Aussi, il arrive que, ignorants de réalités qu’ils ne vivent pas, arrivant sur scène en renversant les tables et en snobant le décor, il arrive donc que ces jeunes écervelés, bourrés d’énergie et d’idéologie, prennent des décisions sans en mesurer les conséquences.

Monsieur Darmanin, en s’attaquant frontalement aux organisations syndicales de « sa » ville, ne mesure pas la force qui les anime ni leur poids réel. Persuadé que leur temps est révolu, il pense pouvoir passer un grand coup de balai. C’est oublier que, dans le réel, la CGT non seulement pèse (ce qui doit gêner le patronat tourquennois – et l’on sait que, hostile aux « corps intermédiaires », Darmanin est néanmoins très à l’écoute de ce lobby), mais est animée par des militants nombreux, dont la culture politique et le rôle historique l’étonneraient sans aucun doute.

M. Darmanin est lui-même la dupe de l’image qu’ont construite avant lui des générations de bourgeois : la CGT est toujours l’arrière-garde, elle est constituée de personnes grossières, violentes, incultes. Ce qui fait avancer Rastignac, c’est ce qui le perdra : l’orgueil.

La société que veut M. Darmanin, est une société de l’efficacité et du rendement, elle a été inventée dans les hautes écoles de commerce, elle est prescrite par l’économisme académique, elle est reprise par des partis bourgeois par ailleurs complètement déconsidérés. Mais cette société est un véritable cauchemar pour les travailleurs.

Sans les syndicats, il n’y aurait pas eu : l’interdiction du travail des enfants, les retraites, les congés, la Sécu. La famille politique dont fait partie le jeune Darmanin s’est toujours opposée à ces avancées. Nous ne sommes donc pas surpris par sa décision de nous priver de locaux à Tourcoing. Nous voyons aussi que l’impétuosité du jeune premier le fait agir dans la précipitation.

Nous, nous avons le temps. Les démolisseurs n’auront pas toujours de larges boulevards ouverts devant eux. Et la CGT reste l’outil le plus proche et le plus puissant de la classe ouvrière.

Nous en appelons au calme : M. Darmanin, vos projets de carrière ne doivent pas vous faire confondre vitesse et précipitation. C’est une dame de 120 ans qui vous parle, elle a connu les grandes grèves, les pelotons d’exécution, les camps de concentration, et tous les combats qui, au final, nous font vivre dans une société qui, bon an mal an, avait choisi de s’éloigner de la jungle dont vous faites les lois.

C’est tout cela, Monsieur Darmanin, la C.G.T.

Tourcoing, le 21 janvier 2016

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