RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
14 

"Nous sommes le peuple !"

Londres, Berlin, Rome, Madrid, Bruxelles, Stockholm. Et Paris. Si un européiste s’était éclipsé de l’UE il y a quelques années et ré-atterrissait aujourd’hui, il serait atterré, éberlué, anéanti. Où qu’il porte le regard, il ne découvrirait que ruines et cataclysmes...

...A commencer par ce fait de portée littéralement historique : pour la première fois, un pays va quitter l’Union européenne après en avoir démocratiquement décidé. Certes, les soubresauts ne sont pas terminés. Mais, d’une manière ou d’une autre, fût-ce à une échéance un peu plus éloignée qu’espéré par certains, le Royaume-Uni va reprendre le contrôle de ses lois, de ses deniers, de ses frontières.

L’Allemagne est, quant à elle, plongée depuis les élections de septembre 2017 dans une instabilité politique durable. Elections régionales calamiteuses, coalition chancelante et démission forcée de la patronne des chrétiens-démocrates : nul ne se risque à pronostiquer la fin de ce chaos qui paralyse Berlin sur la scène européenne.

A Rome, le cauchemar de la Commission européenne s’est réalisé : la coalition baroque des « populistes » et de l’« extrême droite » est au pouvoir et ne s’estime pas tenue par les règles sacrées de l’euro. Certes, des signes de compromis sont envoyés vers Bruxelles. Mais le fait est là : l’un des pays réputés les plus euro-enthousiastes durant des décennies a tourné casaque.

L’Espagne était il y a quelques mois encore décrite comme l’un des derniers pays immunisé contre ladite extrême droite. Or le parti Vox, jusqu’à présent marginal, vient d’entrer de manière fracassante dans le parlement régional d’Andalousie, et nourrit des espoirs réalistes de s’allier avec le Parti populaire (conservateur) en vue d’être associé au pouvoir à Madrid, peut-être dès 2019. La Belgique vient de plonger dans une crise gouvernementale. La Suède n’a toujours pas de gouvernement, près de quatre mois après les élections.

Et si notre néo-huron tentait de se consoler en se tournant vers l’Est, le spectacle achèverait de le désespérer. La Pologne et plus encore la Hongrie sont en conflit avec l’Union qui a entamé contre elles des procédures pour « grave atteinte à l’Etat de droit ». Quant à la Roumanie, elle est en passe de rejoindre le camp des moutons noirs « illibéraux », mais là avec un gouvernement social-démocrate. Comble de malheur : Bucarest prend au 1er janvier la présidence semestrielle du Conseil de l’UE.

Dans ce qui représente pour les fans de l’Europe un champ de ruines et de mines, on ne saurait oublier la France. On peut même penser que le mouvement des Gilets jaunes constitue, parmi les Vingt-huit et hors Brexit, la crise la plus ample, la plus profonde, et la plus dangereuse pour l’intégration européenne.

Parti d’un rejet ô combien légitime d’une taxe supplémentaire sur le carburant visant officiellement à imposer la « sobriété » énergétique « pour éviter la fin du monde », cette mobilisation allie dans une même dynamique l’irruption de la question sociale, à travers la révélation que la pauvreté et le mal-vivre ne sont pas le lot des seuls « exclus », mais bien de millions de ménages qui forment le monde du travail ; et la prégnance de la question nationale, comme en témoigne l’omniprésence du drapeau tricolore et de la Marseillaise. Deux mots sont revenus comme un leitmotive : pouvoir d’achat pour vivre décemment ; et souveraineté populaire, pour décider ensemble. Une auto-politisation accélérée résumée en une formule : « nous sommes le peuple ». Explosif et ravageur pour un président de la République symbolisant la richesse éhontée et l’arrogance assumée.

Ce dernier n’est pas seulement démonétisé dans l’Hexagone. Il a largement perdu son crédit au sein des élites de l’UE, qui, il y encore un an, voyaient en lui le jeune et brillant sauveur de l’Europe. La presse allemande, en particulier, ne lui pardonne pas d’être tombé de son piédestal jupitérien. C’en est fini des espoirs de réformes « audacieuses » et des ambitions européennes déclamées dans le discours de la Sorbonne.

Concluant son intervention solennelle du 10 décembre, le maître de l’Elysée a usé notamment de deux formules : « mon seul souci, c’est vous » ; « notre seule bataille, c’est pour la France ». La première est un aveu involontairement humoristique ; la seconde relève évidemment de l’escroquerie, mais révèle la force d’un mouvement qui a contraint le chantre de la « souveraineté européenne » à passer ce soir-là l’Europe par pertes et profits.

Rien ne sera plus jamais comme avant.

Pierre LEVY

rédacteur en chef du mensuel Ruptures

Editorial paru dans l’édition de Ruptures datée du 18 décembre.
(informations et abonnements : https://ruptures-presse.fr/abonnement/)

»» https://ruptures-presse.fr/actu/ue-ruines-allemagne-italie-espagne-sue...
URL de cet article 34330
  

Même Thème
Europe Israël : Une alliance contre-nature
David CRONIN
Israël est souvent perçu comme le 51ème État des États-Unis. Désormais, il serait en passe de devenir membre de l’Union européenne. David Cronin a parcouru les couloirs de Bruxelles pour interroger hauts fonctionnaires et diplomates. Il a épluché les programmes européens et examiné les liens étroits que tissent les entreprises du continent avec ce petit État du Moyen-Orient. Loin des discours officiels, vous trouverez dans ce livre les résultats d’une enquête déroutante qui montre comment le prix Nobel (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Je ne pense plus que les journalistes devraient bénéficier d’une immunité particulière lorsqu’ils se trompent à ce point, à chaque fois, et que des gens meurent dans le processus. Je préfère les appeler "combattants des médias" et je pense que c’est une description juste et précise du rôle qu’ils jouent dans les guerres aujourd’hui.

Sharmine Narwani

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.