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Palestine : un peuple vivant, un Etat virtuel (IV)

Deux gouttes d’eau dans la mer

C’est souvent dans l’oppression que quelques-uns éprouvent le besoin de changer les rapports sociaux, de construire quelque-chose de nouveau.

Voici deux initiatives parmi bien d’autres qui, si elles sont infimes au regard des enjeux du conflit, amènent l’espoir. L’occupant l’a d’ailleurs bien compris, car il fait tout pour les entraver.

Croire en l’homme.

La première est un centre de revalidation pour handicapés à Bethléem, la Bethlehem Arab Society for Rehabilitation (BASR) dont le directeur général est le Docteur Edmund Shehadeh qui est un Palestinien chrétien.

La Palestine, comme tout pays touché par la guerre, compte beaucoup d’handicapés aussi bien moteur que psychiques. Le centre est ouvert à toute personne quelle que soit sa religion et est constitué en une association sans but lucratif. Tout le monde y est soigné. Chacun paye selon ses moyens et ceux qui en sont incapables sont soignés comme les autres. Le BASR se finance par les dons et les aides qu’il perçoit de pays étrangers, d’associations, de la solidarité, ainsi que la vente d’artisanats palestiniens. Et cela fonctionne !

En dépit des évidents sabotages des autorités israéliennes – ainsi des équipements ultramodernes fournis par la Belgique, restent bloqués depuis deux ans au port d’Haïfa pour d’obscures raisons de dédouanement – le centre maintient un bâtiment avec un personnel compétent et dévoué et un équipement ultramoderne. Le docteur Shehadeh nous a dit : « Avant tout, je crois en l’homme ! » et c’est pour cela qu’il se bat.

Le BASR fonctionne sur la base de la méthode holistique, c’est-à-dire en traitant un traumatisme dans sa totalité par la prise en compte de l’ensemble (la situation sociale et familiale du patient, son état général de santé physique et psychologique, etc.). Ainsi, le patient est pris en charge dans un système pluridisciplinaire qui permet la spécialisation dans le traitement de son traumatisme. Le Docteur Shehadeh donne son credo : « Nous pensons que pour que chaque personne puisse vivre pleinement sa vie, nous devons tout faire pour l’aider et l’encourager à exploiter elle-même tout son potentiel.  »

Il faut tenir compte que la présence d’une personne handicapée est incontestablement un facteur de déstabilisation pour son milieu familial et pour la société. C’est donc non seulement sur le plan médical et hospitalier qu’il faut aborder le problème, mais aussi sur le plan social. La personne handicapée doit être réintégrée dans la société – surtout dans une société éprouvée par un conflit interminable – pour pouvoir revivre le plus normalement possible.

En dépit du terrible contexte dans lequel vit la Palestine, cette démarche est exemplaire. Certes, cette institution, le BASR, a cinquante années d’expérience. Cinquante années au cours desquelles ses dirigeants et ses équipes ont réussi à franchir tous les obstacles de la guerre, de l’occupation, de l’oppression pour apporter à des milliers d’handicapés de toute la Palestine les soins appropriés dans tous les domaines comprenant la réhabilitation médicale, psychologique, et aussi l’éducation et les loisirs, afin de permettre la meilleure réinsertion possible dans la société.

Mais les Israéliens voient cette institution d’un mauvais œil. Ainsi, le blocage de matériel médical fourni par la Belgique et destiné au BASR depuis deux ans à la douane du port de Haïfa.

De la musique avant toute chose

A Ramallah, capitale administrative et politique de la Palestine où se trouve la tombe de Yasser Arafat, existe dans la Vieille ville, une école de musique. Quelle peut être donc l’utilité d’une telle école dans un pareil contexte, demanderont les esprits chagrins.

Elle est née dans la tête d’un jeune résistant Palestinien, Ramzi Aburedwan qui est devenu un violoniste. Il a eu la possibilité d’être formé à Angers. Ramzi, enfant, lançait des pierres sur les soldats israéliens. Il raconte qu’un jour, il cala un caillou vers un groupe de soldats. L’un d’eux pointa son arme dans sa direction. Ramzi le défia : « Dépose ton arme et viens me chercher si tu es un homme ! » Piqué au vif, le soldat déposa son fusil et s’avança vers le jeune Palestinien qui redoubla d’ardeur, balançant pierres sur pierres vers les militaires. Ils n’osèrent riposter de peur d’atteindre le soldat désarmé qui s’avançait vers lui !

Ramzi habitait le camp de réfugiés Al Amari à Ramallah. Il fonda l’école appelée Al Kamandjati (le violoniste) qui a pour objet de soutenir l’éducation et la scolarisation des enfants palestiniens en leur permettant d’apprendre et de jouer de la musique. Afin de rendre celle-ci accessible au plus grand nombre, ils vont jouer dans des camps de réfugiés, dans les villages dans toute la Palestine et au Liban.

L’intifada culturel

Grâce à la solidarité, à l’aide internationale, au partenariat avec d’autres institutions culturelles, à la vente de CD et de DVD, à la recette des concerts que les jeunes musiciens d’Al Kamandjati donnent un peu partout et même en Europe, l’école parvient à assurer son financement et même à donner des bourses d’études.

Un des effets les plus pervers de l’occupation israélienne est l’atteinte au patrimoine culturel des Palestiniens. C’est une des manières les plus efficaces d’affaiblir un peuple. C’est donc un acte de résistance d’éduquer les enfants à un des aspects fondamentaux de la culture, la musique. C’est donc l’intifada par la culture. C’est cela le projet de Ramzi Aburedwan.

En plus, Al Kamandjati emmène des groupes d’enfants jouer près des check points et même à Jérusalem devant la porte de Damas, une des principales entrées dans la Vieille ville qui est interdite aux Palestiniens. C’est ainsi que la culture devient une arme redoutable.

Les Israéliens l’ont d’ailleurs bien compris : ils mettent des entraves au fonctionnement de cette école, par exemple, en n’accordant pas de visas à des professeurs étrangers invités, ou en ne dédouanant pas des instruments et du matériel de musique nécessaires à l’enseignement et aux concerts.

Cela n’empêche pas l’extension de Al Kamandjati. Ainsi, un centre a été ouvert dans le principal camp de réfugiés de la Palestine, dans la vieille ville de Jenine, située au nord de la Cisjordanie, avec entre autres l’appui de la fondation hollandaise du Prince Claus, du Fonds arabe pour les arts et la culture et bien d’autres associations.

Cette aventure est loin d’être terminée. Le Peuple palestinien connaît toutes les armes pour se libérer. Et l’une d’elles est incontestablement la musique.

Une chanson intitulée « Oh this World ! » évoque la violence que connaissent les enfants palestiniens aussi bien dans leurs écoles qu’à l’extérieur par la chape de plomb de l’occupation. La violence est un des principaux problèmes de la jeunesse palestinienne. Et son origine se trouve dans l’occupation.

Ramzi qui lançait des pierres pendant son adolescence, aujourd’hui, a choisi la voie de l’éducation par la musique pour préserver et épanouir la culture du peuple palestinien et aussi user de l’art comme arme de résistance.

Cette chanson a été composée par Ivad Staiti et chantée par les élèves d’Al Kamandjati à Jénine.

Voici la traduction anglaise de cette chanson entonnée par les enfants qui est à la fois un message de résistance, de paix et d’espoir.

When a child of my country speaks
When he laughs, when he cries

It means he has a message and he wants
It to be received, this is how a child complains

Oh world… I have the right
For the world to hear my words

Oh my teacher (male) oh my teacher (female)
We don’t understand ideas with a stick

Don’t turn my school into a prison
It’s nice for the school to be a family

Oh world… I have the right
For the world to hear my words

Al Rosana… Al Rosana
Children speak in songs

With violence they can silence our tongues
But our eyes will sing

I have the right to carry my dreams
And not be stopped by violence or checkpoint

My dream in my bag should not be searched
And my dream should not be tied and disabled

Ala Al Daloona… Ala Al Daloona
Children light up the darkness of the world

Let us dream and play
Let us keep hiding us in a warm embrace

Hala Laha Laya… Hala Laha Laya
Come on, take my hand

Don’t leave me alone
The life is difficult for me

Oh world… I have the right
For the world to hear my words

C’est dans cet état d’esprit que des Palestiniens éclairés forment les jeunes à la fois dans la résistance non violente, dans la liberté et dans l’ouverture sur le monde.

Que conclure ?

Voilà donc, tel que j’ai pu le décrire, ce court – trop court – parcours en Palestine merveilleusement organisé par S’Académie, « coaché » de main de maître par Rebecca Lejeune et bénéficiant de l’accueil et de l’hospitalité de tous les Palestiniens et les Israéliens que nous avons eus le privilège de rencontrer.

Ce conflit déchirant deux peuples que l’histoire contraint à vivre côte à côte, est devenu le terreau de fanatismes plongeant leurs racines dans d’antiques et incertaines légendes qui ne cherchent qu’à séparer les hommes dans la violence et dans le sang.

« Je crois en l’homme » proclame le Docteur Shehadeh. Le conflit oppose-t-il Juifs et Arabes ? Non, il oppose des fanatismes, des intolérances qui se nourrissent l’une et l’autre du sang de leurs victimes.

Etre « pro Israélien » ou « anti Israélien », être « pro Palestinien » ou « anti Palestinien » n’ont aucun sens. Le véritable engagement est de combattre pour la Justice, valeur universelle sans tenir compte des identités coupables de combien de meurtres.

Il est indéniable – et c’est l’argument utilisé par le lobby sioniste en Europe – que des antisémites européens tirent parti du conflit pour stigmatiser la communauté juive en général. Mais, à y réfléchir, ces gens là font partie du lot des fanatiques et des intolérants qui s’abreuvent de cette guerre.

La Justice signifie donner à chaque peuple sa dignité, c’est-à-dire une nation où il pourra disposer de lui-même sans entraves. La Justice implique de donner à chacun un Etat qui lui assure protection, liberté et ouverture sur le monde. La Justice exige que la solidarité s’exerce partout où c’est nécessaire.

Pierre Verhas

Le blog de Pierre Verhas

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