RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Paul Ariès (et al.). Les mondes d’après. Nouvelles d’anticipation écologique

Association d’idées : lorsque la couverture de cet ouvrage m’a accroché le regard, j’ai bien sûr pensé au Monde d’après ; une crise sans précédent, de Gilles Finchelstein et Matthieu Pigasse, qui nous invitait à sortir du capitalisme libéral et aussi de la dictature de l’urgence ; je me suis également remémoré Le monde d’hier, souvenirs d’un Européen, de Stefan Zweig. Merveilleux livre du salzbourgeois se replongeant, en l’idéalisant quelque peu, dans un monde de culture, d’humanisme, de cohésion, un monde de « force spirituelle et morale » que le capitalisme allait balayer. Zweig avait fort bien compris - certes un peu tard, en 1942 - pourquoi l’inflation délirante avait engendré l’hitlérisme et pourquoi les grands konzerns l’avaient porté au pouvoir. Malgré tout, Le monde d’hier était sublimé par un devoir d’idéal.

En 1942, les esprits libres craignaient le coup de grâce. En 2011, les militants qui ont collaboré à ce recueil de nouvelles se demandent si nous sortirons de la pauvreté grandissante et du fascisme rampant par le haut : une écologie révolutionnaire, ou par le bas : un vert-kaki autoritaire et hygiéniste.

La cinglante post-face de Fred Vargas nous prévient, elle aussi, d’un coup de grâce possible :

« Nous y voilà , nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l’incurie et de l’humanité, nous y sommes. Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l’homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu’elle lui fait mal. […] Il y a du boulot plus que l’humanité n’en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver l’eau, décrasser la terre. […] A condition que la paix soit là , à condition que nous contenions le retour de la barbarie. » Nous sommes loin de la phrase marketing gouvernementale, tellement mensongère, tellement " com’ " qui a inspiré le titre de cet ouvrage : « Avec le Grenelle de l’environnement, entrons dans le monde d’après. »

Face à la situation décrite par Vargas, la littérature, la fiction seront ici consolation, avant de laisser libre cours à la violence, l’humour décapant, la bouffonnerie, le constat glaçant, l’anti-phrase, l’emphase ou l’ekphrasis. Écoutons le biologiste Jacques Testart nous dire (en ayant à l’esprit le sort du grand savant britannique Alan Turing) que, dans la logique actuelle des choses, tout progrès est une régression : « Nul ne peut contester que l’élection, par cybervote, du professeur Graham, mathématicien et marathonien, démontre la maturité de nos populations. »

Jérôme Leroy n’exagère nullement en prévoyant un avenir proche d’interconnexion de tous les êtres humains : « L’implantation [des puces] s’est généralisée aux nouveaux-nés. Tout le monde était branchée avec tout le monde. On ne pouvait plus jamais être seul. En permanence, vous étiez surveillé, par la police, bien entendu, mais aussi par les médecins qui pouvaient consulter votre dossier à tout moment et vous envoyaient des mails pour vous signifier que vous ne seriez pas remboursé par ce qui restait de la sécurité sociale si vous mangiez cette boulette d’Avesnes avec du beurre alors que vous saviez très bien que vous aviez trop de cholestérol. »

Comment s’étonner que, dans un tel monde, les amoureux retrouvent le seul comportement rebelle qui vaille, celui du défi orgasmique, tel que le met en scène Corinne Morel-Darleux (" Fuck’m all ! " ), dans un court texte directement inspiré de la relation amoureuse de Winston et Julia dans le Pays doré de 1984 ? Mais la police veille : « Mademoiselle Mitchell, Monsieur Denol. Vous venez de déclencher la procédure 84. Restez calmes. Ne paniquez pas. […] Vos mouvements sont captés, vos voix enregistrées. Ne tentez pas de fuir. Nos agents seront sur place dans quelques minutes. Ne bougez pas. »

Avec Maxime Vivas (" La mobylette bleue " ), nous sommes dans un monde à front renversé. Son narrateur a décidé de quitter « la ville embouteillée et bruyante, gorgée d’oxyde de carbone, agglomérat de citoyens solitaires dans une foule autiste qui déambule sous la surveillance de mille caméras. » Pauvre rebelle, dans le collimateur du ministère de l’Environnement, de la Survie de la planète et de la Répression qui avait refusé l’installation, pourtant gratuite, de toilettes sèches ! Il va découvrir que les espaces ruraux sont hostiles, que l’expérience y est intransmissible, que la communication entre les êtres y est vaine et que la foule solitaire urbaine subit, pour finir, des peines moins afflictives que celles des riverains du canal du Midi.

Paul Ariès nous joue " le monde d’après " de manière franchement didactique (" Le cauchemar climatisé de Sony " ). Nous sommes passés de la Société du Travail obligatoire à la Société du Partage obligatoire. 2050 a vu la fin du capitalisme vert. Le slogan « Moins de biens, plus de liens » a triomphé. La spéculation est impossible car la monnaie a retrouvé sa fonction unique d’échange. Les grandes usines ont été remplacées par des petites unités coopératives. La décroissance est devenue ludique.

Frédéric Denhez envisage une France sans pétrole (" Car bonne fut la France ! " ). En 2022, le capitalisme s’est emballé dans une logique darwinienne terrifiante. Carrefour a racheté tous les agriculteurs des alentours. Wal Mart a racheté Carrefour. Chinese Food a racheté Wal Mart. Ravagés par la LRU, les chercheurs français sont allés vendre leurs méninges dans les pays émergents. Renault et PSA ne sont plus que des assembleurs. Le pays n’est plus solvable.

Parce qu’il est polyphonique, ce petit livre nous rend un grand service en nous prévenant que le grand soir n’est pas un moment d’équilibre parfait. Chaque nouvelle étant à la fois euphorique et dysphorique, sachons que, dans la lutte ardente et joyeuse, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Postface de Fred Vargas. Villeurbanne : Golias, 2011.

URL de cet article 13702
  

Même Auteur
Thomas Frank. Pourquoi les pauvres votent à droite ? Marseille : Agone, 2008.
Bernard GENSANE
Rien que pour la préface de Serge Halimi (quel mec, cet Halimi !), ce livre vaut le déplacement. Le titre d’origine est " Qu’est-ce qui cloche avec le Kansas ? Comment les Conservateurs ont gagné le coeur de l’Amérique. " Ceci pour dire que nous sommes en présence d’un fort volume qui dissèque les réflexes politiques, non pas des pauvres en général, mais uniquement de ceux du Kansas, dont l’auteur est originaire. Cela dit, dans sa préface, Halimi a eu pleinement raison d’élargir le débat et (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Je ne pense plus que les journalistes devraient bénéficier d’une immunité particulière lorsqu’ils se trompent à ce point, à chaque fois, et que des gens meurent dans le processus. Je préfère les appeler "combattants des médias" et je pense que c’est une description juste et précise du rôle qu’ils jouent dans les guerres aujourd’hui.

Sharmine Narwani

Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.