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Pinochet, la CIA et les terroristes cubains

2 septembre 2003

Terrorisme en Amérique latine

parHernando Calvo Hospina

Dans la nuit du 11 septembre 1973, les anticastristes organisent à Miami une manifestation de soutien au coup d’Etat de Pinochet. Ils sont probablement les seuls au monde à le faire. Ces Cubains, qui ont reçu tout au long des années soixante une formation en activités terroristes dans les écoles de la CIA, voient en Pinochet un allié stratégique dans leur guerre contre le gouvernement de La Havane. Les auteurs du coup d’Etat, en retour, ont besoin de leur expérience dans le cadre du dispositif international criminel connu sous le nom de « Plan Condor ».

Pour la Direction d’information nationale (DINA), services de renseignements politiques créés et contrôlés par Pinochet, le « Condor » doit favoriser les actions conjointes avec d’autres organismes de sécurité latino-américains, en particulier ceux des dictatures argentine et paraguayenne. Des terroristes cubains mais aussi des groupes politiques extrémistes qui peuvent apporter leur collaboration logistique et opérationnelle sont intégrés au « Condor ». Le Chili devient ainsi le sanctuaire des terroristes croates, des fascistes espagnols, italiens, de l’OAS française, des nazis, et autres spécimens latino-américains. Le « Condor » permet de mettre en place un dispositif coordonné pour « persécuter et extirper le danger marxiste » où qu’il se trouve, comme l’a constaté le rapport réalisé par la Commission de vérité et de réconciliation du Chili.

Selon cette Commission, d’autres enquêtes indépendantes et le Département d’Etat lui même, le général Vernon Waltersz, sous-directeur de la CIA, n’était pas simplement au courant : son agence collaborait tout bonnement à cette entreprise criminelle. Dès le mois d’avril 1974, Waltersz avait donné sa bénédiction au « Condor » lors d’une réunion avec Juan Domingo Peron, immédiatement suivie d’une rencontre avec Pinochet. [1]

En ce qui concerne les Cubains, en décembre 1974, un document interne du FBI fait référence à ces « relations particulières » qui sont en train de se mettre en place ; un autre, daté du 29 avril 1986, confirme une rencontre entre plusieurs terroristes cubains et Pinochet en personne, célébrée le 17 mars 1975.

En février 1975, durant l’une des premières actions conjointes planifiées par la DINA, la tentative d’assassinat des dirigeants exilés Carlos Altamirano et Volodia Teitelboim, au Mexique, échoue. Ses auteurs : des terroristes cubains mais aussi un Etasunien, Michael Townley, homme de main de la CIA et de la DINA.

Townley et Virgilio Paz, un Cubain de la CIA, se rendent de Mexico à Madrid. Ils y rencontrent Stefano Delle Chiaie, dirigeant du groupe terroriste italien Avanguardia Nazionale, pour préparer, avec le soutien de la police secrète franquiste, l’assassinat de Bernardo Leighton, dirigeant démocrate-chrétien chilien. Le 6 octobre 1975, à Rome, il est blessé par balles, ainsi que son épouse ; ils demeureront invalides.

Soulignons que durant les quelques heures que Pinochet passe en Espagne, pour assister à l’enterrement du « généralissime » Francisco Franco, il en profite pour s’entretenir avec le terroriste Stefano Delle Chiaie, puis avec le roi Juan Carlos.

En mars 1976, au Costa Rica, Pascal Allende, le chef du MIR, survit à son tour à une tentative d’assassinat. Le chef du commando cubain, Orlando Bosh, est arrêté puis laissé en liberté peu après. Bosh, homme de main de la CIA, bien que recherché par le FBI pour des attentats meurtriers aux Etats-Unis, est arrivé à Santiago en décembre 1974 accompagné de l’ambassadeur chilien à Washington. Il entre et sort du Chili sans difficultés jusqu’à la fin de l’année 1976.

Les terroristes agissent et se déplacent impunément avec une aisance étonnante. Mais des attentats ont lieu aux Etats-Unis et la sonnette d’alarme retentit. Ces attentats n’ont apparemment pas de lien direct avec le « Condor », mais avec des Cubains qui en font partie. Un trop grand nombre de groupuscules terroristes cubains, dont les membres sont tous liés de près ou de loin à la CIA, est difficile à maîtriser. La CIA, dirigée par le futur président George Bush, encourage donc la création du Commando d’organisations révolutionnaires unies (CORU) pour les regrouper. [2] Ainsi naît en juin 1976 en République dominicaine l’un des réseaux de terrorisme international les plus criminels du continent. Le CORU est tout naturellement intégré au « Plan Condor », avec « l’ordre » de ne pas agir sur le territoire étasunien.

En tant qu’éléments du « Condor », les terroristes cubains entretiennent de bons rapports avec la dictature argentine, qui a déjà coopéré avec la Junte chilienne pour assassiner le général Carlos Prats et son épouse, le 30 septembre 1974 à Buenos Aires. Les services répressifs argentins sont les seuls en Amérique latine à ne pas avoir sollicité l’aide de conseillers étasuniens. Dès 1976, ce sont les Français qui se chargent d’améliorer les techniques de disparition, torture et assassinat des opposants politiques. Avec succès.

Les Argentins et la DINA favorisent la tentative d’enlèvement de l’ambassadeur cubain à Buenos Aires, mise en oeuvre par des anticastristes. Peu après, en août 1976, dans la même ville, ils parviennent à enlever et faire disparaître deux diplomates cubains. Les terroristes cubains Virgilio Paz et Guillermo Novo sont de la partie. Novo est notamment réputé pour le tir de bazooka dirigé sur le siège de l’ONU à New York le jour du discours du Che Guevara en 1964. Son compatriote Luis Posada Carriles, important homme de main de la CIA et ancien chef de la police politique vénézuélienne, avait donné son feu vert au commando dirigé par Gaspar Jimenez, déjà impliqué dans un attentat contre l’ambassade cubaine à Paris à la même période.

L’assassinat de l’ancien ministre d’Allende, Orlando Letelier, élément clé de l’opposition à Pinochet, est l’exemple le plus célèbre de la sinistre collaboration entre la DINA et les terroristes cubains. C’est à Washington, le 21 septembre 1976, qu’une bombe explose dans son véhicule, tuant aussi sa collaboratrice étasunienne. Ce terrible drame bouleverse l’opinion étasunienne. Pour la première fois, le sang coule au coeur même du territoire étasunien. Tous les yeux se tournent vers la dictature chilienne, mais le chemin pour y parvenir est plein d’embûches. Bien que George Bush ait promis la collaboration de la CIA dans l’enquête, ce sont finalement le procureur fédéral et le FBI qui élucident l’affaire au bout de plusieurs mois. Ils démontrent que la CIA s’est chargée de retarder l’enquête. Au moment où le crime était sur le point de rester impuni, on découvre sans surprise que la DINA a tout planifié et désigné Townley et les Cubains comme exécutants. Posada et Bosh ont autorisé leurs compatriotes Dionisio Suarez, Virgilio Paz, Alvin Ross et les frères Novo à agir.

Townley, peut-être le principal terroriste au service de la DINA, est extradé du Chili en 1978. Au bout de cinq ans de prison, il obtient une réduction de peine. On le retrouve aujourd’hui sous une nouvelle identité dans le cadre du Programme Fédéral de protection des témoins.

Orlando Bosh, après avoir fait de la prison au Venezuela pour l’attentat contre un avion de Cubana au-dessus des Barbades, le 6 octobre 1976, peu après l’assassinat de Letelier, rentre aux Etats-Unis où il est arrêté. Malgré le désaccord du Département de la justice, le président George Bush intervient personnellement pour qu’on lui octroie la liberté conditionnelle. Son fils Jeb Bush, entre autres, le lui a demandé : il vise le poste de gouverneur de Floride et sait que cela lui vaudra les voix des anticastristes.

Luis Posada Carriles est également emprisonné au Venezuela pour l’explosion de l’avion de Cubana. Mais il s’enfuit avec la complicité des autorités vénézuéliennes et réapparaît comme conseiller de la Contra nicaraguayenne pour le compte de Washington. Après une série d’actes terroristes contre Cuba, préparés depuis des pays centraméricains, il est fait prisonnier au Panama en novembre 2000 lors du Xème sommet ibéro-américain, alors qu’il tentait de faire sauter l’université où le président Fidel Castro allait donner une conférence. Guillermo Novo et Gaspar Jimenez sont arrêtés avec lui.

Les frères Novo, libérés après quelques années de prison pour l’assassinat de Letelier, se mettent au service de la Fondation nationale cubano-américaine (FNCA), une organisation créée par le Conseil national de sécurité de Ronald Reagan en 1981.

José Suarez et Virgilio Paz, en fuite pendant douze ans, au cours desquels le FBI les a inclus dans le programme télévisé « America’s Most Wanted », sont condamnés à perpétuité puis libérés contre la volonté du Département de justice. C’est le président George W. Bush qui autorise leur sortie de prison, dix-huit jours avant l’autre terrible 11 septembre, celui de 2001. Comme l’affirme, notamment, la journaliste d’investigation Ann Louise Bardach [3], cette décision constitue une sorte de « paiement » du président pour le « service » rendu par les groupes extrémistes cubains de Miami. N’oublions pas que c’est en Floride que s’est jouée sa victoire électorale, pour laquelle l’influence de la FNCA, une institution au pouvoir économique et politique très étendu dans cet état, a été décisive .

Le 20 mai 2002, à Miami, devant un public anticastriste enthousiaste et nombreux, le président G.W. Bush donne un discours sur la lutte apparente que mène sa Nation contre le terrorisme. La Fondation a organisé l’événement. Bosh, Suarez et Paz sont dans la salle.

Le « Condor » ne vole plus, mais il semble que ses ailes en protègent encore certains.


NOTES :

[1] Francisco Martorell, « Operación Condor, el vuelo de la muerte », LOM Ediciones, Santiago, 1999.

[2] John Dinges et Saul Landau : Assassination on Embassy Row, Pantheon Books, New York, l980

[3] The Guardian, Londres, 2 décembre 2002

* * * * *

Hernando Calvo Ospina est journaliste et écrivain colombien, résidant en France.

© COPYLEFT Hernando Calvo Ospina 2003.

Source : RISAL

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