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Quand le G8 devient révolutionnaire…

Quand le G8 devient révolutionnaire…

…C’est qu’il y a peut-être une anguille sous roche, tel un miroir au soleil dont les reflets dirigent notre oeil vers une autre direction pour observer une autre réalité.Ce texte ne présentera pas l’état actuel des choses et ne fournira pas une explication éclairée de ce qui se passe en Afrique du Nord, puisqu’il est écrit à distance, sous le feu des projecteurs de la scène médiatique. Donc, sous l’emprise de la désinformation, des croyances collectives préfabriquées, des trompe-l’oeil bien connus quotidiennement alimentés par les informateurs éclairés de la presse à sensations fortes.

En tant qu’acteurs socialisés en partie avec des manuels scolaires où l’arrogance rime avec néo-colonialisme, où l’on ne sait rien du «  Monde Arabe »,- les livres d’histoire-géographie au lycée ne traitent que les États-Unis, l’Union Européenne et le Japon ou l’Asie, les guerres mondiales et de temps en temps les croisades, grossièrement tout ce qui concerne l’Occident, mais pas le reste…-, il faut avoir voyagé dans un pays et discuté avec sa population pour pouvoir en parler. Ou avoir étudié cette région du monde en géopolitique à l’université. Et encore, écouter les universitaires spécialistes peut parfois être dangereux… Nous sommes tous tentés de recracher ce que les médias et les (désin)formations institutionnelles nous ont apprises, tant et si bien que nous parlons d’un phénomène comme si nous en étions les experts expliquant la réalité. Ou comment dénaturer les causes explicatives d’un phénomène, et vider tout fait observable de sa substance.

Ceci étant dit, pour écarter notamment le risque d’écrire précipitamment un article sous la forme d’un édito BHLien écrasant toute possibilité de réaction du lecteur par un méprisant message porté sur TF1 «  Je sais, je suis porteur de la vérité car je connais ce pays, j’y ai été, je vous explique », je voudrais crier une terrible crainte que j’ai, en suivant de loin ces «  Révolutions du printemps arabe ».

Une opération de manipulation occidentale ?

Et si derrière ces mouvements sociaux (je préfère à «  révolution »), se cachait une sulfureuse manipulation des élites détentrices du pouvoir, en se servant de l’espoir, du soutien populaire que suscite la colère d’un peuple tout entier voulant en finir avec l’oppression ? Pourquoi se soucierait-on soudainement du sort des populations ? Il doit y avoir des billes à jouer…

Vis-à -vis de la Libye, les formats de lecture autorisés nous offrent la possibilité de voir que le conflit oppose des forces pro-Kadhafi, et des forces anti-Kadhafi. Nous avions, il y a un mois, les mêmes pro-Moubarak, et les anti-Moubarak. Quelle formidable talent ont-ils, de simplifier l’analyse du cadrage des mouvements sociaux à un tel point qu’ils en sont ridiculisés par des clivages farfelus, pour que personne n’y comprenne rien. Vu que ce sont les pays puissants du G8 qui arment tous les pays du monde par le complexe militaro-industriel, «  pro » et «  anti » doivent se battre avec les armes issues plus ou moins des mêmes entreprises, la guerre étant une affaire rentable pour les multinationales, mais ça, il ne faut pas le dire. Tout autant qu’il faut taire les caractéristiques socio-économiques du pays et des gens. Surtout, ne rien expliquer, emmêler la pelote de laine par la rhétorique guerrière prémâchée : «  chaos, terreur, crimes, puits de pétrole en feu (trouvez l’intrus) ». Faire l’audimat et préparer du temps de cerveau disponible pour vendre la prochaine génération de voitures écolos ! (Existe-t-il des centrales nucléaires écolos, aussi ?)

Et si les pays du G8 et ses succursales préparaient un vaste plan de relocalisation des objectifs économiques sur le long terme ? La précipitation avec laquelle les États puissants (États-Unis, UE) s’emparent de l’agenda politique arabe, et multiplient les menaces d’ingérence, au nom d’on ne sait quoi, n’est pas de bonne augure. Une aide massive et militaire de l’Occident serait une aubaine pour le contrôle des richesses pétrolières en Libye. Le nouveau gouvernement, si Kadhafi est renversé, aura obligation d’allégeance au prince, et devra satisfaire les intérêts des puissants avant que de respecter la population, une fois de plus. «  On vous a aidé à accéder au pouvoir, maintenant votre pétrole sera gratuit pour nous, et il faudra privatiser ! ».

C’est à croire que les dirigeants politiques, vassaux des seigneurs économiques, n’attendaient que ça, que le peuple arabe commence à s’indigner pour lancer l’Offre Publique d’Achat sur le «  Monde Arabe ». Nul besoin d’armes de destructions massives pour déclarer la guerre et envahir un pays, une révolution nous facilite la tâche… L’on aimerait écarter d’emblée ce pronostic corroborant la thèse du complot, donc basé sur aucune rationalité et sur de la spéculation intellectuelle, mais c’est à cela que ça ressemble : mettre le téléspectateur dans l’hypnose collective sur le changement de régime, et recoloniser en coulisse les pays où il y a du flouze à se faire, à une époque où les stratagèmes pour trouver de nouveaux débouchés économiques sont de plus en plus difficile à ériger.

La dictature et la propagande, c’est toujours pour les autres…

Avez-vous entendu Nicolas Sarkozy-petit père bienfaiteur des peuples, s’exprimer solennellement à propos des Grands Soirs qui secouent les rues de la rive sud méditerranéenne ? Je l’entends encore dire : il est grand temps que les dictatures s’effondrent et que la liberté s’installe, que c’est à nous, démocraties, d’aider les peuples à se libérer du joug de leurs oppresseurs, et aussi surtout que cette période ouvre une nouvelle ère entre l’Europe et l’Afrique, proches de par l’Histoire et la géographie. Quel cynisme. Quelle ingratitude ! On croirait entendre Auguste Comte en 1830, qui, sociologue évolutionniste, proférait que l’ordre et le progrès, notre modèle de civilisation occidentale (supérieure) devait être exporté aux pays sous-développés. Et en même temps quelle lucidité : que toutes les dictatures tombent, qu’ils s’en aillent tous, et pas qu’en Afrique… Pourtant, même à l’école, on voit que les donneurs de leçons ne sont pas toujours les plus brillants et que les têtes de premiers de la classe ne sont pas les plus respectables…

Bref… On présente Kadhafi comme un dictateur sanguinaire, despotique, fou, drogué, voir paranoïaque et schizophrène. Tous les mots sont utilisables, dès lors qu’ils sont destinés dans la presse à une proie commune sur laquelle on tire à boulets rouges. Sanguinaire, despotique, fou, on n’en doute pas, c’est un dirigeant politique dont la vocation est de, comme tous, se maintenir au pouvoir politique. Drogué, peut-être, il n’y a pas que lui… Évidemment, ce dirigeant libyen est sans nul doute un dictateur. Il est en place depuis la révolution de 1969, et réprime sauvagement le peuple. Pour une majorité de personnes, la révolution a renversé des régimes tyranniques en place depuis plusieurs décennies. C’est à nuancer, car seules les têtes tombent, non les institutions. Plus, si l’on conserve ces critères juridiques et moraux pour qualifier un État de dictature, alors nous en sommes tous. Les États-Unis sont régis sous le même régime depuis 1781, la couronne britannique est en place depuis 1689, la France n’a pas changé de régime depuis 1958 (on pourrait pousser jusqu’à 1871 en excluant quatre ans de dictature fasciste de 1940 à 1944). La notion d’efficacité d’un régime et son jugement (positif ou négatif) n’appartiennent qu’à ceux qui ont créé les règles du jeu…

Mais passons, regardons la Libye, régime dictatorial depuis 1969. Nombre d’entreprises y ont été nationalisées, pour échapper aux griffes du FMI et des appétits insatiables des multinationales, les indicateurs sociaux (éducation et santé) ont aussi beaucoup progressé, et l’indice de développement humain y est le plus élevé de toute l’Afrique (même classement que la Turquie, la Russie et le Brésil). La Libye, en 2010, se place au 48ème rang mondial dans le classement du PIB nominal par habitant (même si la mesure du PIB est contestable), et se situe devant la Pologne, et la Roumanie, pourtant membres de l’UE…On nous dira ce que l’on voudra, mais dictature despotique ou non, il semble tout de même que les politiques sociales (ou interventionnistes) améliorent les classements, même ceux effectués par le FMI. Nuls doutes que si cette révolte se produisait dans un État non-exportateur de pétrole, gouverné par une caste libérale, l’on en entendrait beaucoup moins parler.

Mais retournons à nos moutons : imaginons que la société civile française se lance dans un tel mouvement de protestation pour réclamer un retour de la démocratie et la fin de la ploutocratie bananière. Imaginons que le Mercosur, ou l’Union Africaine soient très puissants et néo-impérialistes, imbus de volonté belliqueuse pour conserver leur hégémonie, et qu’ils fassent pression sur les États néolibéraux pour en faire chuter les dictateurs…Que Chavez, Castro, Morales, Kadhafi et Ahmadinejad (les seuls caractères qu’ils ont en commun sont qu’ils sont les proies idéologiques de l’Occident) placent leur armada aux abords de la côte Atlantique et Méditerranéenne pour une opération «  humanitaire destinée à protéger la population », que feraient les gouvernements, Zapatero, Fillon-Sarkozy, Berlusconi, Merkel, Cameron et Obama ? Ils crieraient honte à l’ingérence, décrèteraient l’état d’urgence, rompraient de facto toutes relations diplomatiques. Ils se déclareraient gouvernements légitimes, démocratiques et responsables uniquement devant leurs électeurs pendant que l’armée et les CRS tireraient sur la foule pacifique ! N’importe quel dirigeant ferait comme Kadhafi si d’autres puissances reconnaissaient un front uni d’opposition comme seule autorité de transition légale…

Lorsqu’un putsch survient suite à l’assassinat d’un président de la République ou que l’on regarde bien au chaud un pays sombrer dans la corruption, le crime et la guerre… (Rwanda, Sierra Leone, Liberia, ex-Zaïre, Timor oriental, etc…). Lorsque le conflit politique s’enlise dans une guerre civile et en génocide ethnique… ou lorsque les massacres se produisent loin, sans «  risque » d’immigration sous nos frontières… lorsque les flux financiers Nord-Nord ne sont pas menacés... le Conseil de Sécurité de l’ONU et toutes les organisations intergouvernementales réunies en sommets extraordinaires, se déclarent incompétents pour intervenir, ne bridant pas la règle de l’ingérence, pour empêcher que la guerre civile ne fasse trop de morts. Lorsqu’il y a des choses à contrôler, les dirigeants politiques se parent d’un vocabulaire soudainement humaniste, solidaire et humanitaire, et le droit d’ingérence des grandes puissances, toujours si prompt à être manié avec agilité, devient un devoir. Pire, ils préparent doucement, telle une commission Creel des États-Unis en 1917, une opinion publique à une guerre (propre, à frappes chirurgicales) de pacification (et de profits pour les multinationales de l’armement).

Décidemment, d’une acception idéologique à l’autre, d’une conception criminologique des relations internationales à l’autre, d’une élite à une autre, le droit international est vraiment un fourre-tout normatif insensé qui ne s’applique uniquement que lorsque cela nous arrange. Les gens qui luttent, en attendant, eux, meurent sous l’oppression policière et la violence structurelle sans que celles-ci ne disparaissent.

Samuel Moleaud.

http://sam-articles.over-blog.com

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Circus politicus
Christophe Deloire, Christophe Dubois
A quelques mois de l’élection présidentielle de 2012, les Français sont saisis d’angoisse à l’idée que la fête électorale débouchera sur une gueule de bois. La crise aidant, la politique se révèle un théâtre d’ombres où les signes du pouvoir servent surtout à masquer l’impuissance. Qui gouverne ? Qui décide ? Circus politicus révèle les dessous d’un véritable « putsch démocratique », une tentative de neutralisation du suffrage universel par une superclasse qui oriente la décision publique. (…)
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« Le pire des analphabètes, c’est l’analphabète politique. Il n’écoute pas, ne parle pas, ne participe pas aux événements politiques. Il ne sait pas que le coût de la vie, le prix de haricots et du poisson, le prix de la farine, le loyer, le prix des souliers et des médicaments dépendent des décisions politiques. L’analphabète politique est si bête qu’il s’enorgueillit et gonfle la poitrine pour dire qu’il déteste la politique. Il ne sait pas, l’imbécile, que c’est son ignorance politique qui produit la prostituée, l’enfant de la rue, le voleur, le pire de tous les bandits et surtout le politicien malhonnête, menteur et corrompu, qui lèche les pieds des entreprises nationales et multinationales. »

Bertolt Brecht, poète et dramaturge allemand (1898/1956)

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