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"Quand le journalisme tousse, la démocratie s’enrhume" : une idée de remède inspirée du modèle de la Sécu.

Sondage après sondage cette opinion se confirme : beaucoup de français estiment que les médias font mal leur travail. Ils ne remplieraient pas bien leur rôle de quatrième pouvoir, celui de garde-fou surveillant les autres pouvoirs, rouage indispensable au bon fonctionnement d’une démocratie. Moi-même, réalisateur de documentaires de critique des médias, je partage cet avis sur ce secteur en crise. Les journaux sont généralement déficitaires faute d’abonnés ou d’achats au numéro en kiosque, et la précarisation des journalistes les pousse trop souvent à s’autocensurer, par peur de “faire de vagues” ou de gêner les annonceurs publicitaires qui colmatent ces déficits. Pour autant je crois que cette situation n’est pas une fatalité car les bons journalistes sont nombreux, et des solutions existent. Rappelons-nous qu’en 1945 le droit à la santé est devenu effectif pour tous les français, grâce à la création de la Sécurité Sociale. Faut-il s’inspirer de cet exemple pour faire en sorte qu’une bonne information devienne à son tour un droit pour tous les citoyens ?

Puisqu’une logique économique strictement libérale a plongé nos médias dans ce marasme, le défi qui se pose est celui de leur injecter des fonds publics, sans pour autant les mettre sous influence, sous dépendance de l’organisme public qui serait chargé de calculer et d’injecter ces fonds. Autrement dit, il faut éviter les deux écueils opposés de la dépendance financière (et donc de l’influence subie) à l’État/Collectivité ou aux annonceurs publicitaires. Or il existe déjà un important secteur d’activité qui répond à ces critères : c’est la médecine libérale. En effet c’est la collectivité qui finance, via une cotisation sociale, les consultations médicales de l’ensemble des citoyens, tout en laissant chaque citoyen absolument libre de consulter le médecin de son choix. On a bien à la fois le financement public, qui fait que personne n’hésite à aller consulter, et une absence d’influence des pouvoirs publics (les médecins dépendent financièrement de la décision de chaque patient d’aller les consulter, et non d’un quelconque organisme). L’idée serait donc de transposer ce modèle au secteur des médias : chaque année la collectivité financerait un droit pour chaque citoyen à s’abonner à un média de son choix (presse papier, internet, tout média proposant un système d’abonnement), via une nouvelle cotisation sociale prélevée directement sur les salaires, qu’on pourrait appeler par exemple ’cotisation information’.

Il y aurait bien sûr un plafond, par exemple à hauteur de l’abonnement à un hebdomadaire, quitte à ce que plusieurs citoyens puissent mettre en commun leur droit pour s’abonner à un quotidien, plus cher, qu’ils devraient ensuite se prêter. De cette manière on peut calculer que cette nouvelle cotisation s’élèverait à moins de 1% du budget de la Sécurité Sociale, ce qui représente un faible investissement au regard des bénéfices qu’on peut attendre, en terme de démocratie, d’un quatrième pouvoir qui aurait les moyens de contrôler réellement tous les autres, y compris les puissances économiques. Cette mesure inciterait beaucoup de gens à s’abonner pour la première fois à un journal, puisque ça leur serait remboursé, de la même manière qu’on n’hésite pas à aller au médecin. Elle donnerait un sentiment de sécurité aux journalistes qui voudraient dénoncer les travers de notre système et lancer des alertes, en éloignant par exemple la crainte de représailles sous forme de licenciement économique. Et elle instituerait une sorte de méritocratie parmi les médias, les plus intéressants engrangeant plus de recettes d’abonnement, et pouvant ainsi ’investir’ davantage pour approfondir leurs enquêtes, engager de nouveaux journalistes, etc.

La santé est-elle une marchandise comme les autres ? Non, évidemment. Mais il a fallu attendre 1945 et la création de la Sécurité Sociale pour que cette évidence se traduise dans les faits. Quant à l’information, n’est-elle pas un bien particulier, une condition nécessaire à l’existence de la démocratie ? Dans ce cas on doit se donner les moyens d’avoir un journalisme de qualité, suffisamment financé, alors qu’il est aujourd’hui exsangue. Dans un contexte où l’État de droit et l’État social sont grignotés lentement mais sûrement, il est urgent de reconnaître à l’information un statut différent de celui d’un banal produit de consommation.

Cyrille Martin
réalisateur de documentaires de critique des médias

https://nouveaudreyfus.net/

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COMMENTAIRES  

19/01/2018 11:07 par Assimbonanga

Moi-aussi, j’ai une "bonne idée" à soumettre. Je l’ai d’ailleurs soumise à Le Media, mais c’est resté sans réponse autre que "On n’a pas le temps pour le moment mais merci quand même " (en gros).
Il s’agirait d’appliquer le programme France Insoumise sur les 14 tranches d’imposition : le tarif de l’abonnement à le Media serait indexé sur le revenu et étalé selon 14 tranches de 12€ à 150€/an. Parce que je trouve saumâtre qu’un journaliste, prof de fac, juge, avocat, député, sénateur, toubib, chir, rentier, ne paie que 50€, une paille pour lui, alors que le smicard ou RSAiste n’envisage même pas de détourner une telle somme de son entrain mensuel déjà si serré.

19/01/2018 11:08 par Assimbonanga

Vite-fait au passage. Les Français prennent une majuscule. Fermer la parenthèse.

19/01/2018 16:05 par Roger

@assimbonanga
Excellente idée, qui pourrait d’ailleurs être appliquée pour l’accès à beaucoup d’autres prestations nécessaires à l’exercice de la démocratie et au respect des droits de l’homme et du citoyen inscrits dans notre Constitution (pourtant bien imparfaite)...

19/01/2018 16:41 par Ellilou

à Assimbonanga
Excellente idée pour l’échelonnement du tarif d’abonnement au Média : plus en accord et dans la logique même du programme l’Avenir en Commun.D’autant que ce sera bien plus dans mes moyens, car nous soutenons (à notre petit niveau) ce nouveau journal mais au prix d’un effort certain (un seul salaire pour la famille...). Je pense que je vais m’inspirer de votre idée et la soumettre également, on verra ;-)

19/01/2018 18:49 par Xiao Pignouf

@Ellilou, bien que je trouve l’idée très bonne aussi, dites-moi si je me trompe mais Le Média et la FI n’ont rien de plus à voir qu’une sympathie réciproque. La plupart des grands médias essaient de les acoquiner, de faire croire que ce serait une sorte de MélenchonTV...

20/01/2018 09:55 par François

On pourrait deja moraliser le service public. Plus de financement de programmes debile pour courrir derriere le privé, plus de salaires indeçant, independance par rapport à l’executif et le legislatif.
Mais ça ne suffirait pas, il faudrait aussi punir sévèrement les mediamensonges par une interdiction d’émettre ou de publier.
Mais ne rêvons pas, tout cela n’arrivera jamais dans notre pseudo democratie sans que le peuple s’en mêle.
Finalement, on en revient toujours au meme problème, reveiller le peuple endormi dans un confort relatif que l’exploitation du tiers-monde permet de généraliser dans l’Oxydant (l’Occident qui rouille cette planete).

20/01/2018 17:17 par Assimbonanga

De ce que j’en ai compris, c’est Gérard Miller l’initiateur Du Média. Gérard Miller étant un proche de Jean-Luc Mélenchon. Mais je ne dirais pas que c’est une Mélenchon-TV au sens où l’entendent les médisants. (D’ailleurs, je trouve que France Inter ou France 2 sont très Macron-TV...) Je suis persuadée que les journalistes embauchés ont à cœur de faire vivre une véritable alternative à celle de la presse uniformisée et que c’est leur joie, leur fierté, leur moteur. Mélenchon, c’est pas le genre à superviser les programmes. Il a d’autres chats à fouetter. Par contre, la légende est entretenue que c’est un dictateur. Dictateur ? Il n’a jamais gouverné sauf un court ministère de l’enseignement professionnel ! C’est comme ça : il faut dissuader quiconque de voter LFI. La légende du dictateur en est le moyen. Elle n’est fondée sur rien.
Bon, j’ai eu un peu peur que ma "bonne idée" soit un pavé dans la mare, une démagogie facile. Mais apparemment, après deux personnes enthousiastes que je remercie, il semble qu’elle ne soit pas devenue virale :) Cela pourrait créer des complications, il faudrait joindre un justificatif pour prouver que son revenu corresponde au tarif choisi. Mais pourquoi pas ?
Dans un mouvement idéal cela devrait être la base. De même que, dans un mouvement utopiste idéal, le média devrait être l’émanation de tous les journaux alternatifs et radios et vidéastes éparpillés. Un élan collectif installé en copropriété où les appartements seraient des créneaux horaires. Que les plus farfelus côtoieraient les plus sérieux. Un esprit de la Commune, de l’anarchie, de la ZAD et Nuit Debout réunis. Que ça parte d’en bas, de l’existant, de la presse pauvre et contestataire.
Dans la vraie vie, apparemment, ce n’est pas ce qui s’est passé. Gérard Miller -que j’adore- a voulu faire vite, j’imagine.

20/01/2018 17:22 par Assimbonanga

Le service public, ah... « Pour le journaliste Vincent Jauvert, il est temps de moraliser la fonction publique d’Etat. Dans son livre Les Intouchables d’État, le journaliste Vincent Jauvert dévoile de nombreux agissements et dénonce cette "caste" que seraient devenus les hauts fonctionnaires de l’état français. »
J’ai appris ça sur France Inter ce midi. L’émission dure 8 minutes. https://www.franceinter.fr/emissions/l-interview/l-interview-20-janvier-2018
Effrayant. Écœurant.
(Il reste toujours sur France Inter des recoins qui font pardonner ses fautes. )

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