Rentrée des classes : l’esprit d’entreprise au sein de l’école

L’école est une institution que nous croyons tous connaître pour l’avoir fréquentée durant de nombreuses années. Pourtant, une nouvelle idéologie y pénètre, trompant notre vigilance démocratique, pour mieux servir le « management » qui attend les futurs salariés. Son fonctionnement repose sur 3 concepts : compétitivité et excellence, culture de l’ évaluation, responsabilisation et citoyenneté.

Compétitivité-excellence

L’enseignement doit servir, par son excellence, à développer une Europe compétitive.

Historiquement, socialiser et éduquer les enfants du peuple fut la première fonction de l’école obligatoire. Considérée comme un outil d’émancipation des classes populaires, en réalité l’enseignement se met pour l’essentiel au service des idées dominantes qu’on retrouve actuellement dans les discours des organisations internationales telles que l’OCDE, la Commission européenne, notamment.

Ainsi, l’école devient le lieu de la promotion de concepts tels que l’employabilité, le développement des compétences, de performance et de compétition, d’efficacité, de mérite et d’ apprentissage tout au long de la vie.

Tout ceci est en complète contradiction avec les valeurs de solidarité, de gratuité, d’égalité, de fraternité, de justice sociale. Le pacte d’excellence lancé par Madame Milquet (Ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance en Belgique, NdR) repose sur les idées que :

« Notre marché du travail est demandeur de qualifications croissantes et d’innovations constantes. »

« Un enseignement de qualité permet d‘accroître le nombre d’emplois ». (1)

C’est sans tenir compte que beaucoup de jeunes sans emploi ont obtenu des diplômes d’ études supérieures, que les offres en matière d’emploi ne sont pas suffisantes pour donner du travail à tous et que le marché propose aussi une grande part d’emplois non spécialisés ou non appris à l’école (nettoyer, remplir les rayons des magasins, conduire des camions... )

Le pacte d’excellence fait régulièrement référence à l’OCDE et aux partenariats avec les entreprises dans une logique de soumission jamais remise en question. Il oublie au passage l’ « excellence sociale » et ne prévoit pas de nouveaux financements pour l’enseignement : il y a moyen de faire mieux avec ce qu’on a ! Il suffirait d’appliquer les « bonnes recettes ». Mais on reste très vague sur la manière d’y arriver et il est certain que, en conservant le fonctionnement hiérarchisé auquel les professeurs doivent se soumettre, cela ne pourra pas se réaliser.

Les politiques sociales devraient avoir pour objet l’ amélioration des conditions de vie des citoyens, notamment par la redistribution des revenus et des profits. En mettant l’accent sur la prise de risques individuelle, en oubliant les injustices sociales que subissent parents, élèves et professeurs, nos écoles se transforment en un mécanisme d’approfondissement des inégalités et camouflent les injustices de notre système économique : l’élève est devenu « capital humain »

La connaissance est considérée comme une marchandise ou comme un luxe, alors qu’elle est avant tout un droit.

Evaluations

L’élève, devenu « capital humain » doit donc être flexible, réactif et ses compétences suivront l’évolution du marché du travail. Celui-ci implique spécialisation, subdivision et hiérarchisation des tâches.

L’évaluation devrait lui servir à se situer pour améliorer son apprentissage et les méthodes utilisées pour y arriver. Au lieu de cela, elle devient un projet de domination, de contrôle et de tri, au service du profit et de la concurrence. Il est prévu, sans cesse, de réactualiser les enseignements, de placer les individus dans des profils imposés, de produire un « carnet des compétences acquises » standardisé.

Cette course à l’évaluation entraîne une lourde gestion administrative. Les équipes pédagogiques pourraient bénéficier des progrès de l’informatique pour faciliter cette opération mais on en est encore bien loin. Les bulletins à remplir via internet et les fichiers informatiques pensés pour simplifier ces tâches doivent être achetés par les écoles à des développeurs privés. Le service public n’ a que très peu pris en charge ce domaine. Les écoles manquant de moyens s’en trouvent donc pénalisées.

Les professeurs, apparemment libres d’organiser leur travail, sont soumis à des choix pédagogiques imposés qui ne correspondent pas à la réalité du terrain et qui ne tiennent absolument pas compte du bien être des individus, professeurs et élèves.

Une organisation administrative lourde, non transparente et tatillonne complique la tâche. Par exemple, les bilans et examens produits par les élèves sont actuellement archivés en vue d’une homologation dont la fonction de double contrôle est discutable. Ces travaux devraient plutôt être rendus aux étudiants afin de leur donner la possibilité d’en comprendre l’évaluation et de les retravailler comme cela se fait dans la plupart des systèmes d’enseignement.

Le fonctionnement même des conseils de classe est pervers. On décide en peu de temps (beaucoup d’élèves sont passés en revue) du sort des étudiants sans que ceux-ci puissent avoir accès à ce qui se dit à leur sujet. Le secret des délibérations est même sacré dans certains établissements. Les décisions sont présentées comme collégiales et les méthodes pédagogiques, le système mis en place ne sont pas évalués. Des injustices de fonctionnement sont constatées et on croit mettre tout le monde sur un pied d’égalité grâce à des évaluations externes. On se dirige ainsi vers un enseignement « standardisé » où l’enseignant ne peut plus faire passer un savoir qui lui est propre de la manière qui lui semble la plus profitable. Il devient un « coach » qui prépare les jeunes à se mettre sur le marché.

Une évaluation n’est pas neutre. Toute personne évaluée essaie de « coller » aux critères de l’évaluateur. Ainsi, actuellement, pour « passer » il vaut mieux être moyen dans tout que excellent dans quelques matières et mauvais dans d’autres. On préfère faire redoubler un élève qui n’a pas sa moyenne en math alors qu’il est excellent dans les branches littéraires et qu’il désire faire « droit » ou « journalisme » par exemple. L’excellence promise n’est actuellement pas encouragée.

« L’important est de « respecter les règles », qui sont les mêmes pour tout le monde. L’élève en question n’aura qu’à faire un effort, tant pis si sa confiance en lui en prend un coup. Loger tout le monde à la même enseigne rend-il le système plus « juste » pour autant ? » (2)

Aligner tout le monde sur une ligne de départ et décréter que les règles doivent être les mêmes pour tous ne débouche évidemment pas sur un parcours égalitaire. L’enseignement ne consiste pas à produire le règlement d’une compétition mais à entraîner tous les participants pour en faire des « athlètes ».

Citoyenneté-Responsabilisation

Malgré les exigences d’autonomie et de responsabilité, la soumission à l’autorité et au respect des normes est présente partout. Il ne s’agit pas de repenser le monde mais de s’ y adapter : si l’élève (ou le prof) ne se conforme pas aux attentes de l’école, s’il est hors normes, il sera mal évalué.

L’ adhésion spontanée et l’apprentissage tout au long de la vie semblent pourtant être préférés à l’obéissance imposée. Le discours est dangereux car il a l’apparence d’ un progrès. Ce ne sont d’ailleurs pas ces valeurs qu’il s’agit de combattre mais bien l’usage qui est en est fait : en réalité, tout le monde finit par obéir aux « lois du marché » qui sont présentées comme naturelles et rarement remises en cause.

L’ individualisme développé dans les parcours scolaires gomme la part de responsabilité des pratiques pédagogiques dans les échecs individuels. Les élèves sont amenés à faire des choix, sans qu’on se préoccupe des conditions sociales et matérielles qui déterminent leur rapport à l’école. Il ne peut ainsi plus être question de se révolter contre une injustice puisque les individus ont « choisi » leur parcours. Sans envisager que, peut-être, n’ont-ils pas eu vraiment le choix ?

Quant à l’ autonomie souhaitée, elle est très contrôlée et se borne souvent à proposer un nombre limité de méthodes pour atteindre les objectifs déterminés par les idéologies dominantes.

La citoyenneté responsable se situe en bonne place dans le pacte d’excellence. Un projet de « cours de citoyenneté » est d’ailleurs à l’étude. La citoyenneté devrait pourtant être l’affaire de tous les cours et de tous les moments dans une école fonctionnant de manière démocratique et participative : on est encore très loin d’atteindre cet objectif.

C’est d’abord un étudiant « consommateur » qu’on tente de former. La vraie citoyenneté consiste à être capable de porter un regard critique sur les choses plutôt que de s’y adapter à tout prix, à chercher l’équilibre possible entre liberté individuelle et intérêt collectif. Pour y arriver, il sera nécessaire de développer les connaissances de base en économie et sociologie, en philosophie et histoire de la pensée, en psychologie, en anthropologie... Toutes ces matières qui ne font pas partie du « programme » scolaire ou alors si peu...

Que faire ?

Dans un monde où la rentabilité et la compétitivité comptent plus que la gratuité et le « bien vivre », enseignants, parents et élèves doivent cultiver « l’être ensemble » plutôt que la lutte pour une place. L’enseignement est un partage. Il est indispensable de s’opposer ensemble à une école de « consommation », d’exiger un enseignement obligatoire réellement gratuit pour tous et de dénoncer les discours et les pratiques soumis aux lois du marché.

En France et en Belgique, notamment, sont apparus des mouvements indépendants qui dénoncent les dérives des pratiques actuelles dans la recherche et l’enseignement et appellent tant à un ralentissement – la Slow Science – qu’à un recentrage sur des valeurs favorisant l’émergence d’un travail de qualité : partage, désintéressement, honnêteté, plaisir...

Il faut : 
Refuser de traiter les étudiants en « clients » ou « consommateurs », notamment : 
- en mettant au cœur de l’enseignement ce qui fait la force, le plaisir et la richesse de la recherche dans la construction des savoirs – par exemple, par la multiplication de liens entre cours, séminaires et travaux pratiques, et par le développement de dispositifs pédagogiques qui permettent la construction conjointe des savoirs ; 
- en combattant l’infantilisation des étudiant-e-s dans le processus d’apprentissage (dû, entre autre, à la standardisation des contenus et des attentes), qui concourt plus à les maintenir dans un statut « d’étudiant » qu’à former des adultes curieux et critiques ; 
- en évitant de recourir à des évaluations formatées et standardisées ». (charte de désexcellence) (3)

Michèle JANSS est membre de l’Aped (Appel pour une école démocratique)

Notes :

(1) Pacte d’excellence - http://www.pactedexcellence.be/tele...

(2) opinion de Leyla Yilmaz, étudiante (La Libre, avril 2014) - http://www.lalibre.be/debats/opinio...

(3) http://lac.ulb.ac.be/LAC/charte_fil...

31 août 2015

 http://www.michelcollon.info/Rentree-des-classes-l-esprit-d.html

COMMENTAIRES  

16/09/2015 11:04 par Autrement

Je partage tout à fait l’analyse de cet article, qui concerne la Belgique, mais qui s’applique parfaitement à la France, dont le système éducatif naguère si efficace (même compte tenu de l’essor démographique) et si justement renommé, est désormais l’objet d’un démantèlement systématique de la part de nos gouvernants. Toute la communauté éducative est à juste titre hostile à la "réforme du collège" de madame Najat, Young Leader (voir ICI , pour ceux qui n’auraient pas encore soupesé la chose), et va être demain en grève unanime (au vu de toutes les organisations qui y appellent), pour essayer de contrer une des attaques les plus violentes qu’on ait connues contre l’instruction publique et l’élévation du niveau culturel de la nation. Et la contrer aussi dans l’opinion publique et chez les parents d’élèves, bernés déjà depuis des années par les sucreries à l’eau bleue de rose du "pédagogisme" et de la "professionnalisation", censées profiter aux élèves : vite patchwork d’EPIcerie, vite enseignement bonbon-ludique, vite sans défense livrés aux Marchés avec leurs "compétences" tatouées sur le bras (autant la notion de compétence peut avoir un sens fructueux du point de vue de l’aptitude professionnelle, autant elle n’en a aucun - et devient une arme de ségrégation massive - dans l’enseignement général) . Il faut lire le coup de massue sur la tête, et les bras vous en tombent (encore la stratégie du choc !) de 31 pages, qu’on peut se procurer en pdf sur le site de Terra Nova, officine du P"S" imbibée de tout ce que l’idéologie Euro-OCDE a de plus réactionnaire. Sous couleur de refonder "l’école de la république", c’est la mise au pas définitive des enseignants, et l’introduction dans l’école publique du management-roi, qui sont le but de l’opération. Le plus Pétain de ce libelle est entre autres l’imposition aux enseignants d’une pédagogie forcée, prédéfinie par les technocrates du pouvoir. Et ne parlons pas de la formation des maîtres, où tout est fait pour dévaloriser les dits "savoirs académiques" (autrement dit la connaissance), au profit de petites recettes de "projets éducatifs" prédigérés, et de l’aplatissement "éthique et responsable" devant la hiérarchie.
Vous n’aurez jamais de bons enseignants sans respect des contenus de ce qu’ils enseignent, et sans la liberté pédagogique. Et sans contenus ni liberté, il ne reste que le dressage des futurs esclaves.
Vive la grève intersyndicale et largement participative de demain 17 septembre, soutenez-la, car vous savez d’avance ce que nos médias vont en dire !

16/09/2015 22:11 par alain harrison

Bonjour.
L’éducation comme la démocratie, les peuples sont attaqués par la financiarisation du pouvoir politique même.

Voici ce que j’ai envoyé aux politiciens du plus meilleur pays du monde, j’ai dit le Canada - Québec inc. inclus.
Inspirons-nous les uns les autres, cassons les dualités, respectons nos façons de s’exprimer. Devenons une force synergétique citoyenne. Ce n’est plus à nous de suivre les politiciens, mais à eux.....
Message :
L’heure des choix sonnent.

Nous sommes 7 milliards, vers 2050, 9 milliards semble-t’il.
Encore 2 milliards de croissances, quel marché !
La croissance est le moteur du profit. Et après....
Le tournant Historique nous impose une mutation au niveau de la conscience.
Krishnamurti : le contenu de la conscience est le contenant de la conscience, et le contenant de la conscience est son contenu.
Trop élémentaire pour vous ?!
Le Boyer : une fois qu’on a rencontré le regard de l’enfant naissant, c’est terminé, on ne le traite plus comme un objet,
..........On a en face de nous une personne...........Le conditionnement tombe...
D’où L’urgence d’une éducation juste, dans le sens de justesse.
Marx : “Le comportement borné des hommes en face de la nature conditionne leur comportement borné entre eux.”
Jean Jaurès :
« « Pour Jean Jaurès, la révolution socialiste n’est concevable que dans le cadre de la légalité démocratique, c’est-à-dire par une conquête graduelle et légale par le prolétariat des institutions parlementaires et de la puissance de la production. » »
Le Vénézuéla, tout comme le Chili d’Allende, suit cette voie et c’est remarquable. L’Humain d’Abord, dont la gauche française se revendique. Timidement ?!
L’ idéologie néo-libérale, alias capitalisme sauvage et de son sytème managérial des années 80, démontre clairement son infantilisme dangereux. Comme un enfant mal élevé et toujours frustré, elle est demeurée primaire......et combien de dégats encore. Autre siècle, Amérique Latine, en ce siècle L’UE, le M.-O.......et encore l’A.L.
UBER, est-il le prototype du nouveau marketing qui opère selon le nouvel ordre mondial de bush, celui de la dérèglementation :
la provocation la violence et la stupidité ?
Les conflits de toute sorte, se globalisent.
Le Devoir de philo
Freitag ou la nécessaire critique de l’école-marchandise
Le sociologue québécois défendait l’éducation contre son instrumentalisation technico-économique
12 septembre 2015 | Éric Martin - L’auteur est professeur de philosophie au cégep Édouard-Montpetit et membre de l’exécutif de la Nouvelle alliance pour la philosophie au collège (NAPAC). Il participera au colloque Cégep inc., la destruction programmée de la culture, le samedi 19 septembre à la Grande Bibliothèque.|Santé

« « La société ressemble de moins en moins à un navire piloté par la réflexion éthico-politique, et de plus en plus à une vaste machinerie automatisée qui semble fonctionner toute seule. Dans ces sociétés, on ne demande plus aux citoyens de savoir, de réfléchir, de juger et décider politiquement. On leur demande plutôt de savoir s’adapter au « réel », lui-même réduit aux soubresauts de l’économie et de l’évolution rapide des technologies. On ne demande plus à l’école de former des sujets cultivés et des citoyens moraux, mais des objets polyvalents capables d’obéir et de renouveler sans cesse leur « stock de compétences » (vite obsolètes) afin d’épouser les contours d’un « monde en constant changement », comme on aime à le dire. » »

http://www.ledevoir.com/societe/sante/449911/freitag-ou-la-necessaire-critique-de-l-ecole-marchandise

Cette pratique, nous en voyons les résultats avec le matraquage, devenu systématique, du policier, et l’obéissance aveugle militaire.
À la guerre préventive, on a le matraquage préventif.

17/09/2015 23:33 par Rio

Un bon article qui reprend ce qui a été développé dans "L’école prostituée" de Nico Hirt.

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