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Sabogal, un film d’animation sur les crimes commis par les paramilitaires en Colombie

Cinéma• Le thriller d’animation, « Sabogal », de Juan José Lozano, présenté dans le cadre de Filmar en America latina, revient sur les crimes commis par les forces paramilitaires colombiennes de 1999 à 2005 au nom de « la lutte anti-terroriste » contre les guérillas et les défenseurs des droits humains.

Coréalisé par Juan José Lozano et le chef opérateur Sergio Mejía, le long-métrage nous plonge au cœur de crimes commis entre 1999 et 2005 par les forces paramilitaires et le Département de la sécurité (DAS), la police secrète largement infiltrée par les paramilitaires et dirigée par Jorge Noguera. 20’000 homicides ont été commis annuellement en Colombie entre 2002 et 2006, dont plus de 60% par les paramilitaires.

Un thriller destiné à toucher un public juvénile

Sabogal mêle scénario de thriller, animation multiforme et fiction. Il est destiné à toucher un public juvénile, qui « n’est guère habitué aux réalisations documentaires et peu sensibilisé à la situation de la Colombie ces 20 dernières années ». Ce, par fatalisme face à des réalités qui ne sont guère interrogées. Tous les faits dans ce film, au plan archivistique et historique, sont avérés. Il y a en ce pays une violence endémique qui légitime un terrorisme d’Etat et le combat contre des guérillas (Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l’Armée de libération nationale (ELN))aux dérives progressivement mafieuses très éloignées de leurs idéaux de départ. Largement méconnues selon Juan José Lozano, ces guérillas se financent, à des degrés divers, par le trafic de drogue, la prise d’otages, les extorsions et l’impôt révolutionnaire. Elles sont toujours considérées comme « terroristes », notamment par les Etats-Unis, le Canada et l’Union Européenne.

Les droits humains et/ou la vie

Dans son inscription entre documentaire et fiction, Sabogal donne à voir, à travers l’animation, une mémoire douloureuse travaillant encore la Colombie, sommée de choisir entre demande légitime de justice pour les victimes de crimes commis en 50 ans de guerre civile et souhait officiel de paix/cohésion sociale/stabilité sécuritaire, qui a conduit à des remises de peine et amnisties notamment pour l’écrasante majorité des 30’000 membres de forces paramilitaires colombiennes, Autodéfenses unies de Colombie (AUC). Les AUC sont responsables de la grande majorité des 3,5 millions de déplacés par la guerre.

A travers la lutte pour la justice de l’avocat prénommé Sabogal, personnage fictif basé sur des témoignages d’acteurs de la justice colombienne, cette réalisation de fiction tirée de faits tristement réels se concentre sur le scandale dit de la « parapolitique », qui a secoué la Colombie dans la première décennie de l’an 2000. Depuis la fin 2006, les révélations et procès se multiplient autour des relations entre des membres de la classe politique, certains secteurs économiques, les multinationales de l’agro-industrie (Chiquita, Del Monte, Dole) et les tueurs d’extrême droite membres des AUC. Au centre de ces nébuleuses criminogènes ralliées à la « lutte contre le terrorisme », l’ancien Président colombien de 2002 à 2010, Alvaro Uribe, aujourd’hui sénateur. Ce dernier n’a jamais vraiment été inquiété par la justice jusqu’en octobre dernier. Le Procureur général de Colombie a alors requis une enquête sur l’implication de l’ex-Président dans un massacre commis en octobre 1997 par des paramilitaires dans le département d’Antioquia (nord-ouest), dont il était Gouverneur, et pour obstruction à la justice.

Opération Genesis et Jaime Garzón

Le film mêle plusieurs genres d’animation, dont principalement la 3D en motion capture, qui étend les ombres expressives comme au pochoir, tout en ménageant des pauses contemplatives accentuant la solitude des avocats et défenseurs des droits humains. Par son esthétique, il évoque d’illustres modèles dans le cinéma, comme le rétrofuturiste cauchemar cyberpunk Renaissance (2006) et Nebel (2011). Sabogal a conservé toute la profondeur en jouant habilement sur la symbolique pesante des nuits en décor épuré et vide traversés de corps en encre et ombres noires prononcées.

Il y a aussi la 2D colorisée en images naïves déployées planche par planche pour évoquer notamment l’« Opération Genesis ». Sous ce nom de code, l’armée et les paramilitaires des AUC (Autodéfenses unies de Colombie) lancent début 1997 une vaste offensive contre les bastions de la guérilla des Farc dans la région de l’Uraba, « laboratoire de la lutte antiguérilla » selon le cinéaste. Bombardements, villages incendiés, massacres... L’« Opération Genesis » se traduit par le déplacement forcé de plus de 15’000 paysans qui abandonneront terres, récoltes et bétail. Malgré la loi de restitution de terres aux victimes du conflit armé adoptée en 2010 par le gouvernement du président Santos, qui a encouragé de nombreuses communautés à revendiquer leurs droits, le bureau des Nations unies en Colombie signalait, dès 2011, l’assassinat de vingt-huit dirigeants paysans impliqués dans ce processus de restitution.

En incrustation d’archives télévisuelles, le film d’animation revient sur l’exécution en pleine rue du « Coluche colombien », le journaliste et humoriste Jaime Garzón. Sa fin brutale suscitera une mobilisation aussi grande que les attentats visant Charlie Hebdo en 2015, selon Lozano. Le 10 mars 2004, Carlos Castaño, chef des AUC, a été condamné par contumace à 38 ans de prison pour l’assassinat de Jaime Garzón.

Par la présence d’une jeune stagiaire, agente infiltrée par le DAS (Services de sécurité colombiens) et figure archétypale du polar, assistant Sabogal et son ami juriste dans leurs investigations, c’est un autre pan de la répression qui est mis en lumière. En 2007, une enquête menée par le Parquet général a révélé que le DAS mène depuis longtemps une politique de surveillance secrète des activités syndicales, surtout des dirigeants syndicaux. Avec ce film d’animation, on entrevoit l’ampleur de l’espionnage illégal touchant les défenseurs des droits humains, les opposants politiques et les journalistes « étiquetés » de gauche, ceux-ci étant accusés de collaborer avec les « terroristes » de la guérilla.

De faibles espoirs

De manière plus générale, alors que l’ELN devrait entreprendre des négociations courant 2016 avec le gouvernement colombien, l’accord sur la justice de transition signé le 23 septembre dernier par le gouvernement et les FARC, « fait naître une lueur d’espoir pour les millions de victimes de violations des droits humains et d’atteintes à ces droits commises au cours du conflit armé qui a sévi pendant 50 ans en Colombie », selon Amnesty International.

Toutefois les possibilités d’amnistie passées et à venir, les crimes prescrits, les « logiques de la paix sociale et de la réconciliation nationale », font craindre que de nombreux responsables d’atteintes aux droits humains n’aient pas à répondre de leurs actes devant la justice. De plus, la pacification semble pour le moins relative, tant les assassinats de défenseurs des droits de l’homme se multiplient dans l’impunité. Le coordinateur de l’ONU dans ce pays, Fabrizio Hochschild, a affirmé en août 2015 que 69 de ces activistes ont été assassinés depuis le début de l’année.

Sabogal, samedi 28 novembre à 14h, aux cinémas du Grütli, à Genève

Lozano : Un cinéaste engagé à dénoncer les injustices et les crimes

Né en 1971 à Ibagué (Colombie) et installé à Genève depuis 1998, Juan José Lozano a notamment réalisé au chapitre du genre documentaire : Impunity – Quel genre de guerre existe en Colombie (2010), mettant en exergue l’hypocrisie et la corruption des classes dirigeantes colombiennes qui soutiennent l’impunité des paramilitaires. Témoin indésirable (2008), lui, suit la démarche du journaliste indépendant colombien Hollmann Morris qui risque sa vie et celle de ses proches pour dénoncer injustices et se battre pour le respect des droits humains. Son portrait a fortement influencé le personnage principal prénommé Sabogal du documentaire d’animation éponyme, qui se permet de tutoyer la pertinence d’un modèle du genre, Valse avec Bachir, film d’animation sorti en 2008 qui revenait sur une expérience individuelle de la guerre du Liban à travers les massacres de civils commis en septembre 1982 par les Phalangistes libanais dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila encerclés par l’armée israélienne.

Des évolutions positives

Le cinéaste et scénariste, qui prépare actuellement un film sur la période allant de 2005 à 2013 en Colombie, relève dans ce pays, « une société civile très organisée, où des communautés de base, associations et organisations s’engagent et font un travail remarquable. Parmi elles, les avocats, qui, dans les années 80, étaient en première ligne pour éviter les disparitions, rechercher les disparus, dénoncer les exécutions extra-judiciaires et faire sortir les victimes de prison ».

Il ajoute que, « regroupés en associations, ces avocats ont ensuite compris qu’un travail de lobbying tant dans le pays qu’à l’étranger était crucial. Trente ans plus tard, nombre d’associations d’avocat-e-s s’efforcent de dénoncer les crimes systématiques contre l’humanité, massacres et disparitions. Pour créer le personnage de l’avocat Sabogal, nous nous sommes inspirés de l’expérience d’une vingtaine d’avocats, dont le doyen Gustavo Gallon, directeur de la Commission colombienne des juristes. Est apparue ces dernières années une génération d’avocats, de juges et de procureurs qui ose davantage que par le passé ». Entre janvier 2009 et juin 2013, 219 homicides perpétrés contre des défenseurs des droits de l’homme sont restés impunis. Et un seul aurait abouti à une peine ferme contre ses auteurs.

Juan José Lozano le souligne : « Depuis cinq ans, avec le président colombien Juan Manuel Santos, les campagnes de terreur visant avocats, journalistes et opposants sont en régression dans les grandes villes, Bogota, Medellin et Cali. Auparavant les pressions des groupes paramilitaires n’étaient pas condamnées par le gouvernement. Mais dans les régions, où ont eu lieu des usurpations de terres et déplacements importants de population, les paramilitaires continuent à semer la terreur et assassiner journalistes, leaders paysans et syndicalistes, à proximité des voies d’accès pour l’exportation de la cocaïne. Le fait notamment que ce film Sabogal soit produit par une télévision publique atteste d’un changement de mentalités visant à davantage dénoncer des crimes récents. » Ainsi, le président colombien Juan Manuel Santos a signé le 31 octobre 2011, un décret supprimant le DAS, Département administratif de sécurité. Ce service d’espionnage intérieur dépendait directement du palais présidentiel. « Alvaro Uribe en avait fait un usage incontrôlé, transformant la lutte contre les guérillas en combat contre toute personne se déclarant en désaccord avec la politique gouvernementale, qu’il soit journaliste, politique, magistrat, diplomate ou militant des droits de l’Homme. »

Bande-annonce du film :

»» http://www.gauchebdo.ch/2015/11/25/un-film-danimation-sur-les-crimes-c...
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