RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Un espion qui tombe à pic

Une bien étrange affaire, décidément. Le 4 mars, un ancien espion militaire russe, ainsi que sa fille, sont retrouvés mourants sur un banc d’une paisible ville du sud de l’Angleterre, apparemment victimes d’une substance innervante. Immédiatement, les doigts accusateurs pointent vers le Kremlin, soupçonné d’avoir voulu tuer cet agent qui avait, entre 1995 et 2004, livré nombre de ses collègues aux occidentaux. Les limiers des services anglais brandissent un produit chimique présenté comme arme de guerre du temps de l’URSS. Moscou, sommé de s’expliquer, réclame un échantillon. En vain.

En réalité, dans ce scénario, rien ne colle. A commencer par cette question de bon sens : alors qu’une action de ce type ne pouvait qu’entraîner des représailles contre la Russie, quel intérêt auraient eu ses dirigeants à opérer une pareille vengeance à quelques jours des élections présidentielles et à quelques mois de la coupe du monde de football – deux événements certes très différents mais que Moscou entend valoriser sur la scène internationale ? A fortiori quand on sait que la victime, ayant déjà trahi, ne représentait plus aucun danger stratégique ; et qu’elle avait même, avant de faire l’objet d’un échange d’espions en 2010, purgé quatre années de réclusion sur le sol russe, où il aurait tout de même été plus simple de l’éliminer discrètement. Bien d’autres incohérences caractérisent ce dossier mystérieux.

Ce qui est en revanche tangible, ce sont les mesures de rétorsion annoncées par Theresa May, dont le renvoi de vingt-trois diplomates russes – un geste sans précédent depuis plusieurs décennies. En outre, l’autorisation d’émettre de la chaîne russe RT est sur la sellette, au motif que celle-ci aurait pris un point de vue non conforme à la thèse officielle... Initialement, d’aucuns avaient même plaidé pour le renforcement des effectifs de l’OTAN à proximité des frontières russes. Mais la ficelle serait peut-être un peu trop visible.

Quoiqu’il en soit, le premier ministre, en difficulté sur la scène politique intérieure, a soudain pu bénéficier d’une miraculeuse union sacrée au Parlement (du Labour jusqu’à ses adversaires à l’intérieur de son propre parti). Seul le chef travailliste Jeremy Corbyn, quelque peu isolé parmi ses collègues, a osé un parallèle implicite avec la manipulation qui fut montée en 2004 pour justifier l’invasion de l’Irak (la fiole agitée par Colin Powell), à l’époque relayée par Anthony Blair.

D’autre part et surtout, Londres a reçu des marques ostensibles de soutien de la part de Berlin, Paris et Washington, ainsi que de l’OTAN... et de l’Union européenne. Que Bruxelles témoigne ainsi bruyamment sa « solidarité » envers le Royaume-Uni, voilà qui n’était pas arrivé depuis que les électeurs avaient choisi la sortie de l’UE en juin 2016. Cela tombe à pic pour Mme May qui avait plaidé en vain, en février dernier, pour un accord de sécurité avec l’UE après le Brexit, mais s’était heurtée à l’intransigeance des Vingt-sept.

Enfin, il faut noter la montée d’une hystérie anti-russe. Dans la période qui a précédé le scrutin présidentiel du 18 mars, documentaires et reportages se sont multipliés stigmatisant l’« autocrate du Kremlin », tandis que « hackers », « trolls » et « fake news » passent désormais pour des termes (exclusivement) russes. Vladimir Poutine aurait manipulé la présidentielle américaine, le référendum britannique, et tenté de fausser le verdict des urnes en France et en Allemagne. Bref, il n’y a bien que sa propre réélection dans laquelle il ne s’est pas ingéré : même ses détracteurs les plus radicaux n’ont pu contester la réalité de sa popularité à la maison.

En quelques jours, le sort malheureux d’un ancien espion en retraite a donc entraîné un durcissement sans précédent des représailles et menaces contre Moscou, y compris de la part de Donald Trump, jusqu’ici plus réservé. Et cela précisément au moment où la Russie est en passe de remporter la partie diplomatico-militaire qu’elle a engagée en Syrie depuis 2013 (ce qui lui vaut les leçons de morale de ceux qui ont bombardé et réduit à l’état de ruines Rakka et Mossoul), dont l’objectif était d’empêcher un changement de régime de l’extérieur.

Avant la nomination de l’ultra-belliqueux John Bolton comme conseiller à la sécurité nationale, mais après la promotion du patron de la CIA, le faucon Michael Pompeo, comme nouveau secrétaire d’Etat, Le Monde titrait sur toute sa Une le 15 mars : « A la Maison-Blanche, la victoire des va-t-en-guerre ».

Au sens littéral ?

Pierre Lévy,
rédacteur en chef du mensuel Ruptures
(informations et abonnements : https://ruptures-presse.fr/abonnement/)

»» https://ruptures-presse.fr/actu/skripal-moscou-londres-espion/
URL de cet article 33150
  

Même Thème
TOUS LES MEDIAS SONT-ILS DE DROITE ? Du journalisme par temps d’élection
par Mathias Reymond et Grégory Rzepski pour Acrimed - Couverture de Mat Colloghan Tous les médias sont-ils de droite ? Évidemment, non. Du moins si l’on s’en tient aux orientations politiques qu’ils affichent. Mais justement, qu’ils prescrivent des opinions ou se portent garants du consensus, les médias dominants non seulement se comportent en gardiens du statu quo, mais accentuent les tendances les plus négatives inscrites, plus ou moins en pointillé, dans le mécanisme même de l’élection. Ce sont (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Le plus troublant pour moi était la soif de meurtre témoignée par les membres de l’US Air Force. Ils déshumanisaient les personnes qu’ils abattaient et dont la vie ne semblait avoir aucune valeur. Ils les appelaient "dead bastards" et se félicitaient pour leur habilité à les tuer en masse.

Chelsea (Bradley) Manning

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.