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Un vent noir et rouge soufflait au Sud-Est de l’Ukraine

On retrouve un peu de l’esprit de Makhno dans la révolte menée aujourd’hui par les résistants de l’Est de l’Ukraine. Comme si le vent de la Makhnovtchina (lien video) soufflait à nouveaux pour emporter tous les tyrans de la Terre unis dans l’infamie Otanazienne de ce début du XXIème siècle.

Après le bain de sang du Maïdan, les oligarques aux intérêts multinationaux ont fait main basse sur le pays et ceci grâce à des milices fascistes nostalgiques du grand Reich et de ses croix gammées. Face à une telle ingérence, seule une guerre dans l’état, pouvait donner le pouvoir au peuple tout en renouant un lien social fort entre les diverses ethnies habitant dans la région.

Ce nouveau drame se déroule sur les terres de Nestor Makhno, entre le Dniepr et la mer d’Azov, englobant la zone d’influence de ses actions révolutionnaires (voir la carte en tête de l’article). D’ailleurs, le contexte n’est pas sans rappeler celui de l’époque où, seule contre tous, la Makhnovtchina se battait pour défendre la liberté des peuples à décider d’eux-mêmes. Elle a vaincu l’armée blanche du régime tsariste mais s’est fait massacrer ensuite par l’armée rouge, permettant aux bolcheviques d’installer leur pouvoir. C’est hélas le triste sort des anarchistes : faire le sale boulot, se faire éliminer par les récupérateurs guettant, tel des vautours, puis sombrer dans l’oubli. Il en va de même de la révolution française qui a coupé les têtes des royalistes mais a été finalement récupérée par la bourgeoisie dont sont issus nos courageux dirigeants républicains.

Le but de cet article n’est pas de faire l’éloge des séparatistes de l’Est de l’Ukraine. Il y a parmi eux quelques milices adoratrices d’Alexandre Douguine qui me laissent un goût amer – quand on commence à mélanger le fanatisme religieux avec la liberté des peuples, cela conduit à des massacres et à des injustices dont nos livres d’histoires sont hélas remplis.

Je ne tiens pas non plus à faire l’éloge des anarchistes révolutionnaires, je laisse ce soin aux nombreux libertaires qui font de Makhno leur mascotte.

Je m’adresse simplement à ce brave paysan, décrit comme un homme parfaitement ordinaire par Ida Mett qui l’a très bien connu (voir un extrait de son livre Souvenirs sur Nestor Makhno) pour lui dire qu’il n’est pas nécessaire d’être un héro ou un chef guerrier quand on défend un idéal.

Il ne faudrait pas confondre, non plus, anarchie et révolution sanguinaire. L’anarchie est un mode de vie qui refuse tout système du pouvoir ; c’est exactement l’inverse de la politique. Elle ne peut pas gouverner mais elle peut conduire à un monde sans frontières où tous les hommes seraient égaux en droit et se prendraient en charge selon un processus essentiellement basé sur l’autogestion, la cohésion sociale et le partage. Qu’il faille parfois montrer les dents et sortir du pacifisme est bien sûr envisageable mais ce n’est certainement pas la règle générale de l’esprit d’un anarchiste.

L’anarchiste le plus pur est celui qui considère que le monde ne peut pas être possédé : Un sans terre à qui appartient toute la Terre. Il vit en harmonie avec son environnement à l’image des peuples du vent. On est bien loin de notre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui reconnaît un droit quasi sacré à la propriété, conséquence de tant de guerres, d’inégalités et de discriminations. Notre société n’a de cesse de suspecter, de surveiller, de traquer, de clôturer, de parquer, de ghettoïser, etc ...

Ceci étant précisé, il faut bien admettre que Makhno, cet homme tout simplement, inconnu de la plupart des historiens, est devenu malgré lui une légende dans certains milieux de gauche. Tous reconnaissent son rôle majeur dans la lutte contre les armées blanches de Denikine et de Wendel mais c’est la suite de son parcours qui crée des divergences selon les sensibilités : version bolchevique ou version libertaire.

Les bolcheviques parlent des bandes de Makhno, qui deviennent avec le temps les bandits de Makhno. Puis on rajoute un peu d’antisémitisme, qui était très à la mode à cette époque dans ces lieux reculés de l’Europe de l’Est, sauf que c’est complètement faux ! La Makhnovtchina a régulièrement condamné et fusillé les manifestations anti-juives dans ses rangs sans pour autant perdre sa popularité auprès des paysans.

Les anarchistes considèrent la Makhnovtchina comme un mouvement révolutionnaire autonome de paysans dirigé par Nestor Makhno, qui ont créé des unités agricoles autogérées sur les terres des Koulaks expulsés. Mais en 1918, Lénine abandonne l’Ukraine aux Austro-Hongrois puis aux nationalistes ukrainiens alliés à Denikine ce qui entraîne un retour au tsarisme et aux privilèges fonciers de la noblesse. De 1918 à 1921, la Makhnovtchina lutte d’abord contre les Allemands puis contre l’armée blanche tsariste et leurs alliés anglais. Makhno et ses amis organisent une résistance de type guérilla très efficace, mettant en échec les plus grandes armées. La plupart de leurs armes sont prises à l’ennemi. Ils aident l’armée rouge à plusieurs reprises contre les armées blanches, d’abord celle de Denikine puis celle de Wendel. Mais l’implantation d’une société paysanne libertaire, ainsi que l’autonomie des makhnovtchistes, déplaît profondément au pouvoir central. Les rapports deviennent conflictuels entre Makhno le paysan et les autorités intellectuelles citadines bolcheviques, c’est-à-dire essentiellement Lénine et Trotsky. À partir de ce moment là, la Tcheka fait régner un régime de terreur, pillant les productions rurales au profit des villes. Les brigades d’intervention de l’armée rouge se livrent à des répressions violentes. Dans de telles conditions, un conflit sanglant éclate entre les partisans de Makhno et l’armée rouge. En novembre 1920, alors que la victoire contre les blancs est désormais assurée, c’est la grande trahison : les bolcheviques tendent une embuscade aux makhnovtchistes et massacrent la plupart d’entre eux. Makhno passe à travers ce piège et continue sa lutte avec un petit groupe jusqu’en Août 1921. Puis, blessé, il se réfugie en Roumanie, en Pologne et finalement à Paris où il meurt en 1934 dans la misère et dans l’abandon.

Peu importe si Nestor Makhno était un chef de bandes ou un simple révolutionnaire. Il a réussi à installer en Ukraine un embryon de société rurale libertaire, prouvant ainsi que l’anarchie n’est pas seulement une utopie.

Était-il un anarchiste authentique, conscient de l’importance primordiale de la liberté ? Le témoignage de Ida Mett nous éclaire un peu plus sur ce point et je terminerai sur deux extraits de son livre ; chacun se fera sa propre idée :

« Makhno avait-il vraiment une croyance en l’anarchisme dont il se réclamait comme adepte ? Je ne le crois pas. Il avait plutôt une espèce de fidélité aux souvenirs de sa jeunesse, quand l’anarchisme signifiait une croyance que tout peut être changé sur la terre et que les pauvres ont droit aux rayons de soleil. »

« Il n’était nullement un homme insouciant, au contraire, c’était dans le tréfonds de son âme un paysan économe, qui connaissait parfaitement la vie de la campagne et les espoirs de ses habitants. »

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