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“Venezuela” : le mot unique qui sert aux médias états-uniens à contrer la menace socialiste (FAIR)

Le socialisme — quel que soit le sens qu’on lui donne — revient à la mode. Un récent sondage de la firme Gallup (13/8/18) montre qu’une majorité de l’actuelle génération états-unienne y est favorable, et le préfère au capitalisme. Le leader du Socialisme démocratique Bernie Sanders est l’homme politique le plus populaire aux Etats-Unis, et les politiques de la nouvelle députée de gauche Alexandria Ocasio-Cortez d’imposer les grandes fortunes, de rendre gratuits les frais de santé et de scolarité dans les collèges publics, sont hautement populaires – même chez les électeurs républicains (FAIR.org,23/1/19).

Inquiet face à la menace croissante de politiques progressistes à l’intérieur des Etats-Unis, l’establishment a découvert une arme faite d’un seul mot pour stopper la marée montante : Venezuela. Le jeu consiste à attaquer toute figure ou mouvement politique même vaguement orientées à gauche en les accusant de vouloir transformer le pays en un “champ de ruines socialiste” (Fox News, 2/2/19) dirigé par une dictature corrompue, abandonnant sa population à la famine et à la dévastation.

A la tête de cette campagne, on trouve Fox News et d’autres publications conservatrices. Un article d’opinion de Fox (25/1/19) affirmait que les états-uniens devraient être “absolument dégoûtés” par l’“escroquerie” de Bernie Sanders et de démocrates comme Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), Elizabeth Warren et Cory Booker, qui “continuent à promouvoir un système qui provoque une famine massive et la faillite d’un pays”, avertissant le lecteur que c’est exactement ce que produiraient aux Etats-Unis leurs politiques socialistes qui ont échoué partout. (Si on revient au monde réel, notons que si Sanders et Ocasio-Cortez se revendiquent comme socialistes, Warren se définit comme capitaliste, et Booker est connu pour ses liens avec Wall Street, dont il aurait sollicité l’appui pour son offre présidentielle). Un deuxième article de Fox News (27/1/19) continue dans la même veine, pour nous avertir qu’“au coeur de l’écroulement du Venezuela il y a une liste interminable de politiques socialistes qui ont décimé son économie.

Dans un article intitulé “Bernie Sanders, Jeremy Corbyn et les enfants affamés du Venezuela”, le Washington Examiner (15/6/17) avertit ses lecteurs de “se méfier de l’utopie socialiste”, la décrivant comme une dystopie où les enfants souffrent de famine grâce au socialisme. Le Wall Street Journal (28/1/19) a récemment condamné Sanders pour son appui au “dictateur” malgré le fait que Bernie a fortement critiqué le président Nicolás Maduro, et a traité son prédécesseur Hugo Chavez, de “dictateur communiste mort” (Reuters, 1/6/16).

Même des publications considérées plus au centre reprennent le même angle d’attaque. Dans le New York Times Bret Stephens (25/1/19) argumente : “Le Venezuela est une catastrophe socialiste. A l’ère de Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), il faut réapprendre la leçon”— à savoir que le “socialisme ne marche jamais” et que “20 ans de socialisme” ont abouti à “la ruine d’une nation”. Le Miami Herald (1/2/19) trouve honteux que Sanders et AOC puissent trouver des arguments en faveur du socialisme alors qu’il y a tant de preuves contre lui, et décrit le refus de la gauche de soutenir l’autoproclamé président Juan Guaidó – quelqu’un dont moins de 20% des vénézuéliens ont entendu parler et pour qui un pourcentage moindre encore a voté -, comme “moralement répugnant”.

Cette arme utile contre la gauche ne peut fonctionner que dans la mesure où elle occulte un grand nombre d’éléments-clefs – parmi lesquels le principal est le rôle des Etats-Unis dans la dévastation du Venezuela. Les sanctions des USA, selon le tsar en économie de l’opposition vénézuélienne, sont responsable d’une baisse de 50% de la production pétrolière (FAIR.org, 17/12/18). Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a formellement condamné les Etats-Unis et évoqué le paiement de réparations. Le rapporteur spécial des Nations Unies a décrit les sanctions de Trump comme un probable “crime contre l’humanité” (London Independent, 26/1/19). Ces faits n’ont été rapportés par personne ni dans le New York Times, ni dans le Washington Post, ni à CNN ni dans aucune autre publication d’infos en “résistance” aux Etats-Unis, où les médias ont par contre fait preuve d’une grande célérité dans l’appui aux plans de Trump de changement de régime (FAIR.org, 25/1/19).

De même, le rôle de la droite locale, soutenue par les Etats-Unis, dans la crise économique est à peine mentionné. L’opposition qui contrôle la majeure partie de l’approvisionnement en nourriture du pays, a assumé officiellement sa responsabilité dans l’organisation d’une “guerre économique” qui accapare de la nourriture et d’autres biens essentiels.

Par exemple, l’entreprise monolithique Polar contrôle la majorité de la production et de la distribution de farine, cruciale pour confectionner l’arepa de maïs, aliment de base au Venezuela. Le président du C.A. de Polar est Leopoldo Lopez, coordinateur du parti d’extrême droite de Juan Guaidó Voluntad Popular, et son PDG, Lorenzo Mendoza, a envisagé de se présenter contre Maduro lors des élections de 2018 qui ont beaucoup agité la sphère médiatique (FAIR.org, 23/5/18).

Il est évident que ce sont les produits sur lesquels Polar détient un quasi-monopole qui connaissent de fréquentes pénuries . Ce n’est pas un secret et pourtant ce fait n’est jamais mentionné dans les copieux articles (CNN, 14/5/14, Bloomberg, 16/3/17, Washington Post, 22/5/17, NPR, 7/4/17) qui se focalisent sur les files d’attente au Venezuela.

Autre fait rarement rapportés : les multiples missions d’observateurs internationaux ont déclaré que les élections présidentielles de mai 2018 ont été libres et justes, et la proportion du PIB (souvent prise comme baromètre du socialisme) dépensée par le gouvernement du Venezuela est en réalité moindre qu’aux Etats-Unis, et beaucoup moindre qu’en Europe, selon la conservatrice Heritage Foundation.

Indépendamment de ces faits gênants pour eux, les médias ont continué à présenter la dictature “socialiste” du Venezuela comme étant l’unique responsable de la crise et comme un avertissement pour tous les progressistes qui seraient tentés par de mauvaises idées. Un outil si utile qu’il est employé contre les mouvements progressistes partout dans le monde. Le Daily Express (3/2/19) et le Daily Mail (3/2/19) ont condamné le leader du Parti Travailliste Jeremy Corbyn pour sa “défense” d’un “dictateur”, tandis que le Daily Telegraph (3/2/19) nous explique que la catastrophe du Venezuela n’est autre que le projet des travaillistes pour le Royaume-Uni. Pendant ce temps, la reconnaissance par le parti grec Syriza de Maduro comme président légitime (position officielle partagée par les trois-quarts des pays membres des Nations Unies) est condamnée comme “honteuse” (London Independent, 29/1/19).

Le “Venezuela” est aussi utilisé comme réponse-à-un-seul-mot pour clore les débats et contrer toute idée ou pensée progressiste. Lorsqu’un panel d’invités sur ABC’s The View (23/7/18) discutait d’une législation progressiste comme le Medicare pour Tous et de la réforme de l’immigration, la conservatrice Meghan McCain a répondu en évoquant le Venezuela. “Ils meurent de faim” a-t-elle expliqué, laissant les autres invités perplexes.

Le président Trump aussi l’a employé. Après s’être moqué des racines indigènes de la sénatrice Elizabeth Warren en la traitant de “Pocahontas”, il a répondu aux critiques de celle-ci en affirmant qu’elle “transformerait notre pays en Venezuela” (Reuters, 15/10/18).

L’efficacité de l’arme ne peut fonctionner que sur la base de médias étroitement liés aux objectifs gouvernementaux de changement de régime. Nul hasard dans le fait que les médias se focalisent sur les difficultés d’un pays relativement petit et sans importance dans la « cour arrière » américaine et que l’image du Venezuela soit si superficielle. Bien au contraire, le récit simpliste d’une dictature socialiste affamant son peuple est d’une grande utilité en tant qu’arme qui permet à l’establishment de vaincre la « menace » intérieure du socialisme, en associant des mouvements et des personnalités telles que Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez et Jeremy Corbyn à une caricature diabolique conçue avec beaucoup de soin.

Alan MacLeod

Alan MacLeod est membre du Groupe sur les Médias de la Glasgow University. Son dernier ouvrage “Bad News From Venezuela : 20 Years of Fake News and Misreporting” (Venezuela : 20 ans de mensonges ou d’inexactitudes) a été publié par Routledge en avril 2018.

https://fair.org/home/venezuela-medias-one-word-rebuttal-to-the-threat-of-socialism/

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

 https://venezuelainfos.wordpress.com/2019/02/11/venezuela-le-mot-unique-qui-sert-aux-medias-etats-uniens-a-contrer-la-menace-socialiste/
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COMMENTAIRES  

12/02/2019 07:25 par hf

Avant "Venezuela", dans la longue liste il y eut des dizaines d’années URSS, totalitarisme/monde libre, puis ce fut la "Corée du nord" et demain ce sera autre chose. Au PCF on en sait quelque chose. Le mac maccarthysme a procédé ainsi, comme un fusil à tirer dans les coins par une hystérisation du débat, d’abord contre les membres du PC US, puis ses sympathisants, et enfin tout ce qui, de près ou de loin, ressemblait à de la gauche. Il tomba une fois les Républicains élus en la personne d’Eisenhower car il avait cessé son utilité.

12/02/2019 07:41 par hf

Pour reprendre cette fois la dernière partie de l’article sur ce que j’appelle les média-pouvoir, il faudra s’interroger chez nous sur la censure absolue du PCF dans les média publics, il ne passe littéralement jamais en dépit de toutes ses activités et interventions, et réfléchir au pourquoi de la place réservée à LFI présente en toute circonstance. N’importe quelle observation peut le constater. Comment cette organisation est instrumentalisée par le pouvoir, symétriquement à Le Pen, pour architecturer un théâtre à 3 dans lequel Macron est sûr d’être élu au final.
Je le répète ici, dans l’antiquité, les bêtes promises au sacrifice final étaient toujours mieux traitées que les autres dans l’ignorance de leur fin. D’où ce mélange constant de présence médiatique et de fonction repoussoir. Le pen a joué longtemps ce jeu là seule dans un cadre "droite/gauche, omniprésente tout au long de l’année puis massacrée entre les deux tours comme un diable en personne, mais avec la réorganisation "centrale" du macronisme, il a besoin d’un double repoussoir à la fois de droite et de gauche à l’exception de tous les autres. On a inventé à cet effet, on l’a vu, la notion de "meilleur opposant" à Macron à cette fin là : bipolariser l’opposant qui aura le droit d’affronter Jupiter. Je ne vois pas en quoi, par exemple, on peut dire que Corbière est "meilleur opposant" que Roussel...

12/02/2019 08:15 par Vigie rouge et insoumise

@hf
La censure contre le PCF n’est pas "absolue", comme vous le dites, mais néanmoins réelle.
Des années de tisane tiède de Pierre Laurent qui, sur le fond et sur la forme, ne présentait aucune aspérité, y est pour quelque chose.
Une autre raison est que les médias étaient dispensées de ferrailler avec l’ectoplasme PCF qui, à l’antenne, les flattait, les respectait, se soumettait à eux. Le seul qui les a affrontés, durement, dans les émissions mêmes, est Mélenchon. Il en est résulté qu’il fallait le combattre (donc, le faire exister). De plus, ses sorties anti-médias étaient télégéniques. Mélenchon est devenu un "bon client" (audimat = rentrées publicitaires). Il a d’ailleurs expliqué qu’il a joué de ça.
Marx a dit que les capitalistes vendraient la corde pour les pendre. Les médias font ça,. Lappât du gain pour les médias étant souvent aussi fort que l’intérêt de classe de leurs propriétaires.
Le jour ou Roussel aura décidé de se battre contre le quatrième pouvoir, la presse, de le dénoncer jusque dans ses repaires, il va exister à leurs yeux.
L’attitude qui consiste à accepter leur pilonnage pendant les émissions, leurs mensonges entre deux émissions, est mortelle.
Si vous voulez qu’on entende le cliquetis de l’épee PCF dans le pré, sortez-là du fourreau et croisez le fer avec les médias.
Et ne me dites pas que vous êtes octracisés à cause de votre dangerosité. Vous êtes à l’agonie et ne respirez que par votre patrimoine spirituel et immobilier. Relevez-vous et mordez cette meute, bordel !

12/02/2019 08:23 par chb

hf, l’opposant dans ce système organisé autour du macronisme a besoin d’un minimum de visibilité et de crédibilité, et le PCF n’a plus guère ni de l’une ni de l’autre il me semble. N’a-t-il pas quasiment disparu - de son fait et à cause des médias – depuis l’union de la gauche ?
Avec tout mon respect pour certains militants qui restent sur le terrain, dont ceux qui arborent encore la faucille et le marteau sur leurs vieux drapeaux de manif.

12/02/2019 11:12 par Assimbonanga

D’ailleurs ne faudrait-il pas songer à transformer le siège du PC en bibliothèque nationale, centre de formation à l’éducation populaire et l’Humanité en musée ? Il faut protéger toutes les archives pour le jour de la Renaissance !

12/02/2019 11:15 par Georges SPORRI

Le Venezuela est moins socialiste que la France entre 1981 et 1983 ou entre 1997 et 2002 ! Cependant les bolivaristes ont essayé d’éradiquer la misère et de réaliser quelques progrès ... sans démanteler l’armée nationale et sans exproprier la bourgeoisie compradore ! En instaurant les RIC, ils ont d’ailleurs fourni une arme redoutable à tous les réactionnaires, ce qui a freiné les réformes qui déplaisaient à l’église catholique ou au secteur réac de l’armée. Cela prouvera peut être que la révolution républicaine - citoyenne est une voie très lente, aussi difficile et violente que celle de la révolution communiste classique mais avec des résultats moins intéressants.

12/02/2019 11:47 par Dominique

Dans un communiqué du 24 janvier 2019, Bernie Sanders dit tout et son contraire sur le Venez...

12/02/2019 18:46 par pauvre 2

@ hf, c’est vrai qu’au PCF ils sont perquisitionnés tout les deux jours. On vient leur piquer leurs ordinateurs pendant qu’il dorment, prendre les données personnelles des adhérents, etc. Persécutés quoi !

12/02/2019 19:14 par hf

Je reprends donc : en quoi ce que dit Roussel a moins de teneur que ce que dit Corbière ou maintenant Aubry ou Maurel, il y a à présent davantage de socialistes sur votre liste que sur celle de Ian Brossat ; sinon la construction médiatique que vous prenez pour une réalité. Le programme l’humain d’abord est très largement partagé... Que la direction du PCF ait des responsabilités dans la situation, je veux bien l’admettre, mais du point de vue du pouvoir ce n’est pas ça qui est en jeu. J’ai assisté par hasard à un débat il y a quelques semaines où Brossat et Bompart étaient présents, si vous pouvez le regarder, Brossat était autrement affuté que l’insoumis (L’insoumission est un état que tous les communistes partagent, ils lui donnent au delà une traduction concrète dans le nom d’un projet de mise en commun qu’est le communisme, quel est le nom du vôtre ?). Lorsque des centaines de milliers de personnes assistent à la fête de l’Huma, tout près de Paris, la seule préoccupation des journalistes est de souligner l’absence de Mélenchon... Le plus souvent on croit jouer et on est joué.

12/02/2019 21:24 par jean-marie Défossé

Si j’ai beaucoup de respect pour tous les militants communistes de la base et dont je suis . Je ne peux pas en dire autant des différents dirigeants du PCF , du passé comme du présent .

Je ne crois pas à l’incompétence de ces derniers mais plus volontiers à leurs trahisons quant aux véritables valeurs communistes .

Leur politique communiste se limite à la seule contestation , voire quelques bonnes actions locales de bénévolat non critiquables mais insuffisantes au regard de l’adversité à combattre . Se faire la 5ème roue du carrosse français , mais jamais au-delà pour ne pas froisser la vieille garde droitière française qui tient toujours les manettes du pouvoir en France .

N’ont-ils pas décidé tout dernièrement de mettre au panier les symboles de la faucille et du marteau ?

N’ont-ils pas également et auparavant , décidé de "blanchir" la représentation communiste , autant dans le journal l’Humanité que sur les logos et sur les affiches ? La couleur rouge ou la couleur jaune doit leur donner probablement de l’urticaire .

La couleur blanche , symbole de la Paix , mais surtout couleur préférée des monarchies , qui ne devient symbole de Paix que lorsque les oligarchies en ont décidé ainsi ; c’est à dire quand l’hécatombe des "petits" est suffisante pour remplir les monuments aux morts et que leurs accus bancaires sont rechargés à bloc .

17/02/2019 10:20 par Ouallonsnous ?

C’est : "Le Vénezuela ressent comme une menace le capitalisme américain" que doit s’intituler votre article !
Il est dangereux d’inverser opprimés et oppresseurs !

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