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Yanis de retour de l’île d’Elbe

"Varoufakis, après son émancipation, a évolué sur trois niveaux parallèles. Le premier a été de de se défendre, et il a bien fait, face aux agressions qu’il a subies de la part des PME, le deuxième a été de retirer un bénéfice politique de sa notoriété en faisant une tournée européenne et mondiale pour la promotion de ses livres, et le troisième a été d’essayer d’entraîner des hommes et des femmes de gauche dans l’impasse d’une réforme de l’UE. C’est là quelque part que sa légende a commencé à chanceler..."

Peu de temps avant le référendum de 2015, j’eus cet échange avec un camarade espagnol :

 Dis-moi, si je me rends demain au centre de Séville et que je demande au premier inconnu que je rencontre s’il connaît Tsipras, que va-t-il me répondre ?
 Laisse-moi réfléchir. Ça dépend sur qui tu tombes. S’il a une culture politique, il saura qui il est ou alors s’il a vu sa photo dans le journal, il saura le reconnaître. Mais celui qu’il reconnaîtra à coup sûr, c’est Varoufakis.

Vraiment ?

Oui, à 100%. Et même, l’autre jour une de mes connaissances m’a dit que Yanis est quelque chose comme un Napoléon Bonaparte contemporain qui s’en est pris à toutes les cours d’Europe et veut fonder une autre Europe.

L’hyperbole me fit rire, mais je me trouvais surtout en pleine confusion. Je devais faire coïncider deux pensées contradictoires dans mon cerveau. D’un côté, j’abordais Varoufakis avec défiance, le considérant comme un bourgeois, un économiste keynésien, sans aucun rapport avec la Gauche, que Tsipras avait brusquement appelé pour en faire le ministre de l’Économie du premier gouvernement de gauche. D’un autre côté, le mot d’esprit de l’Andalou renforçait la satisfaction ressentie au sujet d’une conférence de presse spectaculaire de Dijsselbloem et du “Waouh !” qui a fait date1. Cette figure symbolisait dans toute l’Europe progressiste, même si d’une façon étrange, la fierté d’un peuple en lutte contre les mémorandums et l’austérité. Yanis m’avait jeté dans la confusion, de la même manière que pratiquement toute la gauche en Europe.

Je commençai à le suivre politiquement de manière bien plus proche et à faire le constat de ses contradictions successives. Un jour il s’en prenait à la troïka et le jour suivant il disait qu’il était d’accord avec 70% des politiques du mémorandum et plusieurs propositions de privatisations, en violation totale des thèses défendues par Syriza (oui, certains après le référendum les ont totalement oubliées). Mais tant que perduraient la négociation et l’espoir que quelque chose allait changer, je ne pouvais admettre qu’en réalité nous séparait le chaos idéologique et politique.

La capitulation de Syriza, le conflit avec l’Union européenne et l’éloignement de Varoufakis, dans des conditions normales, aurait conduit à une convergence de ses positions avec celles des forces de la gauche révolutionnaire, justement parce que le ministre de l’Économie en personne s’était confronté plus qu’aucun autre aux illusions en matière de changement des politiques de l’Union européenne. Yanis aurait dû comprendre de lui-même que cette Union avait été précisément construite dans le but qu’elle ne puisse être réformée en respectant l’intérêt des forces du travail.

Cependant, son attitude était tellement différente qu’elle me fit aussitôt envisager que les illusions qu’il partageait pour une démocratisation de l’UE étaient aussi nombreuses que les miennes concernant le fait que les choses pouvaient politiquement ne pas ressembler aux apparences.

Varoufakis, après son émancipation, a évolué sur trois niveaux parallèles. Le premier a été de de se défendre, et il a bien fait, face aux agressions qu’il a subies de la part des PME, le deuxième a été de retirer un bénéfice politique de sa notoriété en faisant une tournée européenne et mondiale pour la promotion de ses livres, et le troisième a été d’essayer d’entraîner des hommes et des femmes de gauche dans l’impasse d’une réforme de l’UE. C’est là quelque part que sa légende a commencé à chanceler. Son soutien inconditionnel au « Bremain » lors du référendum britannique, au moment où il jouissait encore du titre de conseiller de Corbyn ainsi que sa conception « one man show » de la politique qu’il a continué de cultiver, ont commencé à faire émerger dans le milieu de la gauche européenne que Varoufakis, alors ministre, s’était défendu face à la troïka non pas en adoptant une position de gauche, en réalité une position de bourgeois néo-libéral.

DIEM 25

La création de DIEM 252 a été essentiellement de son fait. Au départ, des partis de gauche, des organisations et des citoyens approchèrent cette entreprise dans le sillage du mythe qu’il avait forgé grâce à ses négociations. Toutefois son entreprise a commencé à décliner lentement. Son intention de réunir les forces européennes de gauche, mais pas uniquement, sous le leadership de ses idées, s’est révélée éculée. Ce qu’il n’a pas réussi à saisir, étant en réalité étranger à la Gauche, c’est que cet espace sert les dynamiques sociales et notamment les besoins et les revendications en matière sociale. À Gauche les personnalités, qui jouent toujours leur rôle, sont soumises aux sujets collectifs, et non l’inverse.

L’amoindrissement de la dynamique de DIEM 25 est pratiquement certain. D’une part, car les convergences paneuropéennes ne se produisent pas autour de la position assumée par un individu (même autour de Marx, lors de la Première Internationale, cela ne s’est pas produit), d’autre part car les propositions que formule Varoufakis peuvent difficilement satisfaire encore même la frange la plus réformiste de la gauche européenne. Une arrogance politique spécifique d’un côté pour soutenir indirectement les propositions de Macron sur l’Union européenne et de l’autre essayer d’avoir accès à l’univers de la Gauche. Cet escamotage aura bientôt des conséquences directes jusque dans ses alliances internationales sur le chemin des élections européennes. Les difficultés se feront jour lorsqu’il s’apercevra, si ce n’est déjà fait, que DIEM 25, justement parce qu’il ne dispose ni de références idéologiques concrètes ni d’une solide liaison à la masse sociale, évoluera en un simple reflet d’une influence personnelle désormais limitée.

ΜΕRΑ 25 en Grèce

Le fait que Varoufakis n’arrivera pas sur le long terme à stabiliser son nouveau parti « Front de réelle désobéissance européenne [à l’horizon 2025] »3 (sic) dans le système politique grec est, selon moi, écrit. Une telle chose n’exclut pas un succès électoral temporaire soit aux élections européennes soit aux élections législatives. Il me semble toutefois impossible qu’il puisse s’instaurer comme un pilier solide du système politique sur le long terme. À cela plusieurs raisons :

– La première, et la plus importante est qu’il crée son parti (il l’appelle Front, dont acte) dont pratiquement la seule vocation est la protestation. Les 7 points qu’il établit tournent exclusivement autour de la question d’une renégociation avec les institutions européennes. L’histoire politique contemporaine du pays a montré que, de la Transition à aujourd’hui, aucun parti de la protestation dépendant presque entièrement de son chef, dépourvu de cadres, de contenu idéologique et de liaison à la masse sociale, n’a réussi à perdurer.

– La deuxième est que, encore aujourd’hui, il essaie d’induire les gens en erreur en entretenant des illusions au cas où il serait appelé à une renégociation. Il légiférera, affirme-t-il, sur les 7 points qu’il défend et quand les institutions réagiront, le ministre grec de l’Économie refusera de siéger à l’Eurogroupe comme De Gaulle au conseil et comité des chefs d’État de la CEE (sic). Nous pratiquerons donc la politique de la chaise vide dans l’attente passive de notre destin.

– la troisième est qu’il n’a traité aucune solution de sortie de la zone euro en prenant en compte l’impasse des négociations. Il dit que le Grexit verra peut-être le jour mais point d’idée sur sa gestion. Reste qu’après le virage de Syriza en 2015, les gens sont devenus méfiants et attendent des propositions concrètes.

– La quatrième raison est qu’il ne peut viser la coopération des forces de Gauche ni le soutien des électeurs de gauche, quand, par exemple, au lieu d’évoquer la taxation du grand capital et la redistribution des richesses, sa proposition, avec laquelle pourraient fort bien tomber d’accord le gouvernement et la Nouvelle Démocratie, est de réduire drastiquement la taxation y compris des grandes entreprises. À l’évidence, également celles qui accumulent des profits excessifs et se sont enrichies au cours des années de crise.

– la cinquième est que, outre le fait d’être politisés, les Grecs sont aussi un peuple qui ne démontre aucune sympathie électorale spécifique pour les partis métapolitiques opérant dans le domaine de l’ « indéfini ». L’image que veut donner Yanis pour sa nouvelle organisation est qu’elle contient tout le monde et qu’il suffit que tous soient d’accord avec les points de vue de MERA25, c’est-à-dire, au fond, ses propres points de vue.

– La sixième et dernière raison est que, sur la base d’une personnalisation du parti à travers la figure du leader, son retentissement, qu’il soit ou non positif, dépendra toujours de la popularité du même Varoufakis et, par conséquent, deviendra extraordinairement vulnérable. Une baisse de la popularité de Varoufakis, qui après 2015 et même par la suite, reste importante, signifiera également une baisse de pourcentage pour son organisation.

En arrivant au terme de cet article, je rappellerai les mots du Sévillan concernant Yanis. Avec un ajout de ma part cette fois-ci. Si en 2015 Yanis nous faisait penser, avec une bonne dose d’imagination, à un Napoléon au faîte de sa puissance, il nous fait plutôt penser aujourd’hui à un Bonaparte revenant de l’île d’Elbe. L’île d’Elbe ne fut pas synonyme d’une défaite définitive. Il s’en échappa, revint à Paris, réorganisa ses troupes qui le suivirent sans grand enthousiasme cette fois, pour aboutir au désastre de Waterloo et à l’exil final sur l’île de Sainte-Hélène. S’il m’est permis un parallèle, je dirais que Yanis se trouve aujourd’hui dans la phase de son retour de l’île d’Elbe et au stade de la réorganisation de ses nouvelles troupes (MERA25), non pas à Paris, mais à Athènes. Mais, quel que soit son point de départ, la fin du mouvement semble être connue. La plaine de Waterloo. Le moment de la rencontre avec son destin politique, c’est à l’intéressé qu’il revient de le choisir.

Alkis Antoniadis

1 https://fr.news.yahoo.com/video/ath%C3%A8nes-versus-tro%C3%AFka-une-poign%C3%A9e-212309450.html

2 https://diem25.org/home-fr/

Source http://laiki-enotita.gr/2018/03/06/3138/

Traduction. Merci à Vanessa de Pizzol

NDT Voir également l’analyse que Frédéric Lordon a exclusivement consacrée à DIEM25 lors de sa création : https://blog.mondediplo.net/2016-02-16-DiEM-perdidi

3 https://mera25.gr/homepage-en/

»» https://unitepopulaire-fr.org/2018/...
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Maurice Tournier. Les mots de mai 68.
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« Les révolutionnaires de Mai ont pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789 » (Michel de Certeau). A la base, la génération de mai 68 est peut-être la première génération qui, en masse, a pris conscience du pouvoir des mots, a senti que les mots n’étaient jamais neutres, qu’ils n’avaient pas forcément le même sens selon l’endroit géographique, social ou métaphorique où ils étaient prononcés, que nommer c’était tenir le monde dans sa main. Une chanson d’amour des Beatles, en fin de (…)
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Si les Etats-Unis ont la prétention de devenir un Empire, comme c’est la cas pour la plupart des nations, alors les réformes internes seront abandonnées, les droits des états seront abolis - pour nous imposer un gouvernement centralisé afin de renier nos libertés et lancer des expéditions à l’étranger.

Alors le Rêve Américain mourra - sur des champs de batailles à travers le monde - et une nation conçue dans la liberté détruira la liberté des Américains et imposera la tyrannie pour assujettir les nations.

George S. Boutwell - (1818-1905), Secrétaire du Trésor sous le Président Ulysses S. Grant, Governeur du Massachusetts, Sénateur and Représentant du Massachusetts

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