L’affaire Benalla en France a son volet politique : La méfiance des partis d’opposition français, toutes tendances confondues, envers Emmanuel Macron qu’il soupçonne d’ambitions césariennes et d’évoluer vers un pouvoir autoritaire, échappant au contrôle parlementaire.
Mais cette affaire a aussi les allures d’un roman à la Stendhal, où le Julien Sorel du Rouge et le noir serait Alexandre Benalla. Certains l’ont fait d’ailleurs remarquer dans la presse française. C’est l’histoire en effet qui se répète toujours, de ceux qui, tel le héros du roman de Stendhal, ne font pas partie du monde social auquel ils cherchent à s’intégrer et qui, au final, en sont rejetés. Un Julien Sorel, certes, mais un Julien Sorel de notre époque, un Julien Sorel qui viendrait d’Evreux, un Julien Sorel arabe.
Cela personne ne le dit ou n’ose le dire, mais on le sent bien dans ces non dits, dans ce rejet qui est là, en permanence, en arrière plan, comme ces fichiers cachés qu’on ne voit pas dans l’ordinateur mais en déterminent le fonctionnement. Alexandre Benalla le sent lui même. Il le dit à demi-mots lors de son interview au journal Le Monde : "Je viens d’Evreux, je ne suis pas sorti de l’ENA".
Il a rasé sa barbe lorsqu’il semble avoir compris qu’elle lui donnait un air islamiste. Et puis il s’appelle ou s’est fait appeler Alexandre. Mais rien n’y a fait. Il est pourtant parfait. Sur TF1, Il parle très bien. Son discours, sa tenue, sa sobriété, sa cohérence sont impressionnants. Fines lunettes cerclées d’argent. Pas un cheveu qui dépasse. Pas un mot de plus, à part ce mot "conneries" mais qui peut passer pour une coquetterie d’aristocrate du XVIème. Et au fond, même cette intervention violente du premier mai, n’est- elle pas à mettre plutôt, au compte d’une marque de zèle, de cette propension à en faire plus, à en faire trop qu’ont tous ceux qui doivent sans arrêt prouver quelque chose. Il est vrai que c’est sur le zèle des serviteurs et l’attachement au chef qu’on constitue une garde prétorienne, comme on en soupçonne Emmanuel Macron.
Cléopâtre, dit on, était la plus belle femme du monde. Mais elle était aussi reine d’Egypte, grenier et banquier de Rome. Elle avait séduit César et portait son enfant. Un vent de panique saisit l’opinion romaine et le Sénat. Une barbare et son fils pourraient diriger Rome ! Peu après, César était assassiné à la sortie du Sénat, par un groupe de sénateurs, dont son fils adoptif Brutus, qui le soupçonnaient de vouloir détruire la République et rétablir la royauté. Mais l’assassinat de César va au contraire accélérer le passage à la royauté impériale, On peut se demander si ce n’est pas aussi ses relations avec une barbare qui ont joué un rôle dans la fin de César.
Depuis Rome jusqu’à nos jours, ce syndrome du barbare traverse toute l’histoire de l’Occident. Par contre, il ne semble pas avoir influencé le monde arabo-islamique : beaucoup des dynasties qui ont régné sur le monde arabo-musulman n’étaient pas issues de la péninsule arabique : Berbères Almohades ( Al Mouwahhidoun ) et Almoravides ( Al Mourabitoun), Turcs ottomans etc.. C’est le cas aussi des élites qui l’ont administré ou qui ont développé sa vie culturelle et scientifique : perses, afghans, chrétiens, juifs etc. Tandis que l’occidentalisation, même parfaite d’un "barbare" n’est en rien la garantie de son acceptation.
Mais si Alexandre Benalla a des allures à la Julien Sorel, Emmanuel Macron, lui, a des airs de Rastignac. Tout y est, ou presque. Sa jeunesse qui inquiétait déjà les Français, l’incroyable concours de circonstances qui a abouti à son élection, son ascension fulgurante, son audace conquérante.
De l’intérêt de la littérature en politique.
Djamel LABIDI